Max Enix
Far from Home
Genre metal progressif symphonique
Pays France
Label WormHoleDeath Records
Date de sortie 09/06/2023

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De tous temps et dans tous domaines, divers artistes ont cherché à créer la représentation parfaite de la beauté du monde qui nous entoure et de l’essence de la Vie. Ce rêve d’une vie a priori hors d’atteinte, Max Enix l’a fait sien, rêve auquel le compositeur-interprète français offre une première concrétisation sous la forme du projet Constellia et de son EP Secret Garden en 2019. Le 9 juin 2023, ce même rêve s’approche encore plus de la réalité avec la sortie du double album de son projet éponyme, Far from Home, édité par WormHoleDeath Records. Véritable « opéra metal cinématographique », tel que décrit par l’artiste et son label, il se fait le reflet de l’ambition de l’un comme de l’autre ; une ambition qui dépasse les frontières de l’imaginable ! Cette production titanesque rassemble en effet, au long de deux heures quarante (!), durée qui n’est pas sans évoquer celle d’un film, plus de grands noms de la scène metal européenne qu’il n’est possible d’en citer en une fois aux côtés de l’orchestre symphonique de Budapest, autour d’un concept narratif axé sur des thématiques futuristes et environnementales… autant dire que la barre est placée très haut !

Lors de la première écoute, il conviendra d’adopter un état d’esprit de « pure » découverte et se laisser simplement impressionner par le gigantisme de l’ensemble et des moyens mis en œuvre par Max Enix et son label pour parvenir au résultat. Indubitablement, le cœur mis à l’ouvrage est bien présent et se ressent, bien plus qu’il se constate, sur tous les aspects qui constituent l’identité de Far from Home. Au sujet des artistes et genres musicaux ayant influencé le processus créatif, Max Enix en revendique un éventail très large, qui s’étend de Dream Theater et Hans Zimmer à sa base musicale ainsi qu’Avantasia pour celle de son concept, progressant — le mot n’est pas peu dire — vers les plus hautes sphères du metal progressif et symphonique européen (avec Opeth, Ayreon, Therion, pour ne citer qu’eux) en saluant au passage Bowie, Mercury et autres stars des 80’s… jusqu’à atteindre des horizons inattendus avec l’inclusion d’éléments jazz et hip-hop ! De ce point de vue, la promesse est largement tenue. À n’en pas douter, Far from Home est le fruit d’un travail de longue haleine pour rendre hommage à ces dernières. Chacune des quatorze compositions a bénéficié du même soin méticuleux dans sa construction, grâce auquel les divers effets de style empruntés aux artistes dont l’auteur s’inspire et autres changements de rythme cohabitent et donnent à chaque morceau son identité et sa saveur toute personnelle. De ce fait, bien loin de ressembler à une compilation, les deux parties de l’album conservent leur rythme, leur variété et surtout leur cohérence globale, les morceaux s’enchaînant avec fluidité et recelant chacun sa part de richesse, y compris les pistes d’intro que sont The End of an Era et Childhood Emotions. En outre, certains, tels City of Mortals ou The Broken Face, adoptent une structure construite sur des motifs de boucle et montées en puissance les rendant accessibles et faciles à l’oreille. Aucun risque, alors, de se retrouver face à une musique trop complexe pour être compréhensible ; pas un petit exploit au vu de la densité de l’ensemble !

Cette diversité sur laquelle se construit l’identité de Far from Home, cet album-film la doit à celle des acteurs ayant contribué à sa réalisation. De ceux dont les noms résonnent comme familiers à ceux issus de formations émergentes ou artistes solo, principaux comme secondaires, tous apportent avec eux leur touche personnelle ; à commencer par les têtes d’affiche que sont les chanteurs et chanteuses. À l’instar d’Ayreon et Avantasia, ce sont en effet les voix et leur dialogue, plus notablement le dialogue entre chant masculin et féminin, que Max Enix place au cœur de Far from Home ; la sienne en premier lieu, ainsi que les parties vocales féminines principalement assurées par la chanteuse strasbourgeoise Élise Wachbar. Après tout, quoi de plus naturel que de mettre cette dualité, essence de la Vie, au centre d’un album qui en fait son cœur thématique ? Tous deux forment en tout cas un beau duo de voix, les nuances multiples de Max et le timbre plein de douceur et de charme d’Élise se répondant à merveille.

À ce duo principal répondent de nombreuses autres performances vocales, d’horizons parfois radicalement différents. Pour un peu, les reconnaître en deviendrait un jeu ! Parmi les plus marquantes, celle de Fabio Lione sur Tears of Earth, les parties rap assurées par Michael Herrington Onetwenty sur le même morceau ainsi que l’éponyme Far from Home, le chant lyrique masculin toujours sur Tears of Earth, le chant extrême sur Angels of the Apocalyptic Storm, ou encore la performance de Max lui-même sur Beyond my Blood, où ce dernier incarne plusieurs personnages par les nuances de sa voix — et par son jeu d’acteur dans le clip vidéo —, livrant un dialogue avec lui-même tout en expressivité et émotion. Une émotion qui, par-delà tous les aspects techniques, constitue l’essence même de ce que Max Enix et consorts cherchent à transmettre au travers de Far from Home, présente à chaque instant qui s’en trouve empli de passion et de cœur. La voix étant le principal transmetteur de ladite émotion, il paraît alors logique que tous ces chanteurs deviennent le principal véhicule, par leurs mélodies et leurs mots, du message de protection de la nature au cœur de l’opus, message universel s’il en est qui touchera plus d’une âme ici-bas…

En outre, n’oublions pas non plus les musiciens, qui par leurs moyens d’expression passant par d’autres canaux que les mots apportent une contribution non négligeable à ce dialogue musical et théâtral ! Sous forme de collectif, pour l’orchestre philharmonique, ou à échelle individuelle en ce qui concerne le noyau dur du projet et les musiciens invités, pour la plupart des guitaristes issus du prog. Les amateurs de shredding s’amuseront à les reconnaître selon leur jeu ; étant pour ma part très loin d’être une experte en la matière, je m’amuse plus de voir réunis les deux anciens collègues de Misanthrope, Jean-Jacques Moréac et Xavier Boscher, et de reconnaître leurs jeux très caractéristiques…

Tous ces éléments réunis feraient-ils alors de Far from Home une œuvre que tout le monde peut et se doit d’écouter ?

Oui… et non.

En vérité, des principales qualités de Far from Home découlent ses principaux défauts, les unes comme les autres résidant dans une caractéristique intrinsèque au genre musical dans lequel s’inscrit l’album qu’est : la démesure assumée. Au nom de cette dernière, Max Enix et ses collaborateurs s’adonnent à tous les excès possibles et imaginables connus des fans de metal progressif, dans un lâcher-prise total… au point, par moments, de tomber dans la complaisance vis-à-vis de certains de ces excès, au risque de perdre les auditeurs dedans. Parmi eux, et y compris chez les amateurs de double-albums, rares sont déjà ceux ayant deux heures quarante à y consacrer, et plus rares seront ceux qui restent jusqu’à la fin. La raison à cela se trouve à la racine de l’album, dans sa méthode de composition, décrite par Max Enix comme inspirée entre autres de Hans Zimmer et Dream Theater. Ces influences se ressentent dans l’aspect épique des morceaux ; épique étant, dans ce cas, synonyme d’orchestral, narratif et long. Avec cela en tête, au-delà des trois ou quatre premiers, une trame s’esquisse, pour se dessiner au fil des écoutes. À peu de chose près, cette trame se construit de la même façon : chaque piste s’appuie sur des motifs similaires, qu’il s’agisse de la base piano/orchestre façon bande originale de film, des lignes vocales chiadées ou de la structure de montée en puissance aboutissant à une conclusion magistrale… qui, surprise ! n’en est en réalité pas une et ouvre la voie à un nouveau motif en crescendo. Ceci à reprises multiples, au point que l’effet de surprise des quelques premières fois perd inévitablement son efficacité ; qui plus est, la répétition de ce motif peut donner l’impression de morceaux étirés artificiellement en longueur, de manière à justifier une durée dépassant dix minutes.

De là à affirmer que l’imprévisible devient prévisible, il n’y a qu’un pas, de même qu’à considérer que l’album finit par se répéter en dépit de l’immense variété de ses influences… Au final, Far from Home trouve ses moments les plus marquants dans ceux où il se détache du confort de sa formule de base pour explorer des voies différentes, comme celles de l’extrême sur l’entièreté d’Angels of the Apocalyptic Storm, du hip-hop au niveau des passages dédiés sur Tears of Earth et le final éponyme, ou encore du folk via les quelques passages exploitant la harpe et la flûte. Voire, plus simplement, en allant à l’essentiel sur des morceaux moins longs tels les pistes d’intro… ou Tears of Earth, encore !

Hormis cet étirement parfois excessif, un autre élément ne jouant pas en la faveur de Far from Home et de son approche de la composition en ce qui concerne le maintien de l’attention des auditeurs réside dans la place qu’il accorde aux uns et aux autres, aussi bien au sein même de sa production qu’en dehors, du côté du public. En cause, un fil conducteur centré avant tout sur le fond et une trame calibrée en conséquence pour mettre au premier plan les principaux véhicules de ce message que sont, comme souligné plus tôt, les chanteurs et les textes. Concrètement, cela se traduit par une mise en retrait des passages purement instrumentaux, qu’il s’agisse des intros, réduites au strict minimum — voire carrément absentes sur certains titres tels The Dark and Bright Tunnel et The Broken Face —, ou des moments dédiés au shredding ; le tout de façon à laisser la place à un dialogue vocal et verbal qui en devient du coup quasi-continu. Au vu de la multitude de choses à dire sur le sujet traité, cela fait certes sens… au détriment de certains, qui pourraient bien se sentir laissés de côté. À commencer par les amateurs de gros riffs et de jeux de cordes virtuoses, dont les instruments fétiches et leur dialogue plus abstrait ne bénéficient que d’un espace d’expression limité. Même les aficionados du chant ne sont pas à l’abri de décrocher, cette quasi-absence de « pause » instrumentale ne leur laissant à eux aussi qu’un espace réduit pour assimiler ce qu’ils viennent d’entendre.

Un autre problème vis-à-vis de cette omniprésence des voix, le plus subjectif s’il en est, réside dans celle de son interprète principal, Max Enix. Aussi versatile soit-il dans ses expressions vocales, il n’en possède pas moins une expérience moindre dans ce domaine en comparaison aux « grands noms » que comprend la longue liste d’invités. À ce titre, il faut bien reconnaître qu’il place souvent pour lui-même la barre trop haut par rapport à ses propres capacités, ce qui résulte en des lignes et effets de voix qui semblent forcés par moments. Ajoutons à cela un timbre pas forcément facile à apprivoiser, pour aboutir à une performance qui l’est tout autant…

Au vu de ce qu’il ressort de son écoute, il ne fait nul doute que Far from Home est un album extraordinaire, au sens premier du terme, de par ses ambitions dépassant des frontières rarement atteintes et les perspectives du voyage musical auquel il invite les auditeurs à prendre part. Imaginons donc un peu l’exploit que cela a dû représenter que de rassembler tous ces artistes de talent issus d’horizons et de pays si différents, autant sur le plan logistique et financier que sur celui de l’écriture et de l’arrangement musical ! En plus des aspects pratiques, c’est aussi sur d’autres plus abstraits qu’il sort de l’ordinaire, de par l’immensité d’âme et de cœur qui y a été investie et qui s’en dégage. Pour des points de bonus, Far from Home trouve une force supplémentaire dans sa capacité à se redécouvrir à chaque nouvelle écoute, qui lui permet de se bonifier comme un bon vin ! Projet passion d’un artiste passionné, il n’a cependant pas encore trouvé son équilibre entre ladite passion et la raison qui se doit de l’accompagner et se perd dans des excès de zèle qui l’empêchent de se rendre accessible à tous. Gageons toutefois que Max Enix, en artiste complet, saura faire évoluer sa formule et créer de nouvelles surprises pour une suite qui parait d’ores et déjà prometteuse. En attendant, Far from Home est à écouter en prenant son temps et, surtout, en se laissant transporter…