Champ de Foire, Colombier-Saugnieu (FR)
Date 7 et 8 juillet 2023
Groupes (7 juillet) Myrath, Vertex, Mass Hysteria, Nightmare, Blind Guardian, Suasion, Akiavel, Ever After

Groupes (8 juillet) Carpenter Brut, Crisix, Alcest, Ten56, Paradise Lost, Resolve, Visions of Atlantis, Bad Situation, Last Addiction, ODC, Kamizol-K

Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://planerfest.com

En ces premières semaines d’été, les températures sont chaudes en région lyonnaise. Comme le disent nos amis anglophones, what better times, then, to Rock in Montcul ? C’est en effet ce hameau au nom insolite, affilié à la commune de Colombier-Saugnieu, qui accueille depuis maintenant plus de dix ans le Plane’R Fest. Depuis sa création en 2012, le festival a connu diverses évolutions et adaptations qui lui ont permis de se constituer une place confortable parmi les rendez-vous musicaux estivaux alternatifs ainsi qu’un public de fidèles amateurs de rock et de metal, entre autres grâce à sa programmation toujours aussi variée d’année en année. Ainsi, en ces 7 et 8 juillet 2023, habitués comme nouveaux venus sont ravis de se rassembler autour de l’affiche de cette dixième édition, qui fait se côtoyer représentants de la scène locale et française et, grands noms de la scène internationale. Sous le soleil de fin d’après-midi, boost de vitamine D dans le cerveau et appareil photo en bandoulière, je pars pour ce qui est pour moi une découverte de ma région d’adoption…

Peu après l’ouverture des portes, les Lyonnais d’Ever After ouvrent les hostilités, en douceur, cependant, armés pour cela de leur premier album Fucking Phoenix, sorti en 2022. Le look scénique qu’arbore la chanteuse Hélène Finaud est d’ailleurs dans ce thème, évoquant un oiseau jusque dans le maquillage… Le groupe officie dans un metal symphonique respectueux des codes du genre, jusqu’au bout des cheveux rouges de sa frontwoman, proposant au public une entrée en matière classique mais efficace. Qui plus est, ce set offre l’occasion d’entendre fuser les premières blagues sur le nom du lieu où se déroule le fest, gracieuseté du bassiste Laurent Moulin… « Je sais pas si on a mangé du piment, mais en tout cas y a le feu à Montcul ! » Par ailleurs, il forme un joli duo de voix avec Hélène, mélodieuse pour elle, extrême pour lui ; de même, la complicité et l’enthousiasme dont font montre les musiciens fait plaisir à voir. En seulement une demi-heure de set, Ever After crée une ambiance de bonne humeur générale et une découverte musicale pleine de charme. Que demander de mieux pour un début de fest ?

Cette première soirée se poursuit sous le signe du Metal à chant féminin avec Akiavel sur le Terminal 1, dans un style toutefois différent, pour ne pas dire radicalement opposé. Plutôt que des contes à fin heureuse pour toujours, ce sont des histoires bien plus macabres que narre la frontwoman Aurélie Gérard de son growl surpuissant, accompagnée par les riffs lourds et les grosses rythmiques de ses camarades Jay, Chris et Butch. Pour qui connaît l’univers d’Akiavel et a déjà vu le groupe sur scène, il n’y a rien de surprenant à constater que tous les quatre se montrent plus théâtraux les uns que les autres dans leurs expressions, entre tirages de langue, grimaces et sourires de psychopathe — façon Harley Quinn pour la chanteuse. Il n’en fallait pas moins pour relater les ignobles méfaits de vils tueurs en série qui font le beurre salé du groupe depuis cinq ans et trois albums ! À l’inverse, il n’aura pas fallu plus de temps au groupe pour construire à la fois cet univers et un public de fidèles, fidèles présents en masse en ce jour. Ils réservent un accueil comme il se doit aux titres tels My Lazy Doll, déjà culte, ou Souls of War (« I will kill you! »), extrait du récent album Veni Vedi Vici. Le meilleur moment reste tout de même celui où, à la question d’Auré leur demandant s’ils connaissent Jeffrey Dahmer, les spectateurs répondent en clamant en chœur le titre du morceau concerné (« Zombie* ! Zombie! Zombie !* »). Akiavel remporte un succès bien mérité et confirme qu’il est sur la bonne voie pour repousser les frontières de son univers.

Pour de nombreux festivaliers présents au Plane’R Fest, l’auteur de ce live report y compris, Suasion faisait jusqu’à ce soir partie des groupes inconnus au bataillon, autrement dit, des potentielles découvertes du festival. Avant même de commencer à jouer, le quatuor venu de Belgique se distingue d’emblée par les tenues de scène de ses membres, tout en toile de jute et en nuances de jaune et orange. Leur musique se révèle, à l’image de ce look, atypique et pleine de personnalité, mélange entre les codes du metalcore, du metal industriel et du progressif, qui trouve son équilibre et aux thématiques s’inscrivant dans un univers de science-fiction — du « Cinematographic Metal », tel que l’appelle le groupe. Dans la continuité de cette ligne directrice, les quatre musiciens et chanteur vivent et jouent leur prestation tels des acteurs de cinéma, chacun incarnant son personnage au travers de son instrument et de ses expressions. Dans le rôle du meneur de l’expédition stellaire à bord du vaisseau Suasion, le frontman Steven Rassart s’investit au maximum, du drapeau qu’il brandit sur l’introduction à toutes les cordes vocales qu’il possède à son arc ; sa voix ne sonne certes pas toujours parfaitement juste en chant clair, elle n’en demeure pas moins riche en nuances. De même, s’il se montre un peu timide face au public, ce dernier se prend au jeu à c(h)œur joie lorsqu’il l’invite à reprendre un refrain à l’unisson ! En quarante minutes de set, Suasion se révèle comme l’excellente surprise du Plane’R Fest. Cette révélation scénique combinée à la signature du groupe chez Atomic Fire Records et à la sortie de son deuxième album cette année, confirme son statut d’étoile montante du metal aux atmosphères cinématographiques. Un pas de plus vers la conquête des cieux…

Ils étaient très attendus, les voici prenant place sur le Terminal 1 peu après 20 h 30, je parle bien entendu des Allemands de Blind Guardian, en pleine promotion de leur dernier opus The God Machine. Le set démarre sur les chapeaux de roue avec Imaginations from the Other Side, avant de se poursuivre sur le ton de la période 90’s du groupe avec Welcome to Dying. Suit un premier moment de communion entre le groupe et le public sur l’iconique Nightfall. Je ne peux toutefois assister qu’à la performance de ces trois premiers titres — le temps de prendre des photos — avant de devoir retrouver l’espace presse pour une interview avec Myrath… le comble pour moi qui ai vécu la même situation au Summer Breeze 2022 ! Ce petit intermède me conduit à manquer une partie du show, par là même ce que Marcus Siepen présente en interview comme un grand moment chargé en émotion sur The Lord of the Rings… Par chance, je reviens à temps pour les derniers morceaux du set, en d’autres termes, « le meilleur », comme l’affirme Hansi Kürsch. Au sujet de ce dernier, sa « routine très stricte », telle que la décrit toujours Marcus Siepen, se révèle fort efficace à la vue de la puissance de l’interprétation ! Cela étant, mon retour coïncide de peu avec le moment où il dit avoir besoin de prendre du repos pour laisser au public soin de prendre le relai… N’importe quel fan de Blind Guardian qui se respecte l’aura compris, il s’agit de The Bard’s Song – In the Forest ; l’occasion d’assister à un autre grand moment de communion avec des spectateurs qui connaissent bien évidemment les paroles par cœur. La communion est également présente sur scène, membres de longue date du groupe et musiciens de session fonctionnant les uns avec les autres, chacun assurant son rôle avec assurance et entrain ; ceci jusqu’aux dernières notes de Valhalla, conclusion logique du set que les festivaliers ne se font bien sûr pas prier pour reprendre avec eux. Avec ce show, Blind Guardian offre au Plane’R Fest une démonstration de ses longues années d’expérience accumulées qui lui évite de tomber dans l’excès, ainsi qu’un bel exemple de symbiose que vient renforcer l’échelle humaine de l’événement.

L’appel de l’estomac ayant pris le dessus après cette première moitié de soirée, je n’aurai pas assisté à la prestation de Nightmare. Néanmoins, pour ce que j’en entends depuis le stand de restauration, puis depuis l’espace VIP, elle me paraît manquer quelque peu de punch et de variété dans son rythme pour être réellement captivante. Qui plus est, loin de moi l’idée de nier les talents de chanteuse de Barbara Mogore — pour en avoir été moi-même témoin lors de mon premier live report — il n’empêche que l’ajout de scream sur certains passages me laisse dubitative… À redécouvrir d’une autre façon sur un prochain album ?

Il est près de 23 h lorsque Mass Hysteria prend le relais sur le Terminal 1. Plongés dans la nuit noire et la fumée, tout en lumières tamisées, l’ambiance appelle les « furieux et furieuses » du public, tels que le groupe nomme ses fans, à une union quasi-religieuse autour du même désir de liberté qui anime les uns comme les autres. Une impression que vient confirmer le début du set, sur Mass Veritas et sa critique virulente des lois restrictives, qui voit se lever les premiers poings dans la foule… et les premiers slammeurs débouler dans le crash barrière ! Autant dire que dans de telles conditions, les prises de vue ne sont pas une mince affaire à obtenir… Cela étant, je ne peux que saluer le sens de la mise en scène dont fait preuve le groupe au travers de son set-up, plus notablement les superbes jeux de lumières très contrastées, qui ajoutent un relief non négligeable à l’ambiance combattive du show ! Le groupe sait également varier les plaisirs au niveau de sa set-list, entre l’insolence de Chiens de la casse, le brûlant Se brûler sûrement ou le mid-tempo de milieu de set d’Arômes complexes. S’ensuit un moment d’émotion bienvenu avec L’enfer des dieux, dédié aux victimes d’attentats terroristes. Pour ma part, bien que n’étant pas adepte du style musical mêlant metal industriel et neo metal, ni des textes scandés façon rap/hip-hop par le frontman Mouss Kelai, je ne peux que reconnaître et saluer la qualité de la prestation de Mass Hysteria. De même que celle du lien que le groupe entretient avec ses « furieux et furieuses », empreint d’une bienveillance presque paternelle sous ses aspects piquants et qui se ressent particulièrement au moment du final très attendu, sur Plus que du metal… Générateur d’hystérie de masse, Mass Hysteria ? Peut-être pas à un tel point, mais un groupe qui rassemble, à coup sûr.

Les thrashers lillois de Loudblast ayant dû annuler leur venue la veille en raison de l’état de santé de leur guitariste, les Lyonnais de Vertex viennent les remplacer au pied levé. Leur style musical est pour le moins compliqué à définir, créature de Frankenstein assemblant des pièces de hardcore, metalcore et metal progressif, entre autres. Il va alors sans dire que suivre la prestation du groupe sans en perdre le fil requiert de bien s’accrocher, au vu de la complexité de l’ensemble… Ceci étant, que l’on soit sensible ou non aux directions atypiques de ce genre, impossible de ne pas tirer son chapeau aux musiciens pour leur virtuosité et la précision de leur jeu, de même qu’au chanteur Jean-Christophe Mastan pour la puissance de sa voix ! Entre deux morceaux, ce dernier multiplie d’ailleurs les traits d’esprit, principalement vis-à-vis du fait que ses camarades et lui sont ici en remplacement de Loudblast et qu’il a dû interrompre ses vacances pour cela (« J’étais au bord de la piscine avec un verre de pastis dans la main quand j’ai reçu un coup de fil… », raconte-t-il avec amusement), mais aussi vis-à-vis de la complexité de ce qu’ils jouent, montrant ainsi un certain sens de l’autodérision. Vertex bouscule les codes du genre jusque dans son set-up scénique, dépourvu de lumières de face et aux spotlights suivant les rythmiques chaotiques du batteur Pierre Rettien, ce qui rend la prestation délicate à appréhender autant d’un point de vue photographique que musical… Voilà en tout cas un groupe qui a le sens du défi artistique et revendique une identité bien affirmée.

Alors qu’il se fait tard et que la fatigue commence à se faire ressentir, vient le temps pour Myrath de conclure cette première soirée du Plane’R Fest. Au vu des dires du guitariste Malek Ben Arbia et de ce que le groupe a montré sur son DVD Live in Carthage en 2019, le show promet d’être spectaculaire… une impression que vient d’emblée confirmer l’introduction. Deux danseurs dont un manipulant le feu, entre en scène, sur fond d’une douce lumière aux couleurs du sable rouge ; ce sur quoi le groupe enchaîne avec Into the Night, grand classique de ses concerts ! Il n’en faut pas plus pour affirmer qu’après trois ans d’absence, Myrath est en plein retour en force, empli de l’énergie solaire de la Tunisie dont sont originaires trois de ses membres, et pas seulement. « On vous a amené du sable du Sahara et du couscous ! » plaisante le chanteur Zaher Zorgati, ce qui n’est pas sans entraîner d’autres rires en retours dans l’auditoire ! En plus de cela, le groupe a apporté dans ses bagages pas moins de trois extraits de son sixième album à sortir prochainement, intitulé Karma, qu’il fait l’honneur de partager avec nous ce soir : d’abord Child of Prophecy et Let It Go, dont l’enchaînement conclut la première moitié du set, puis Candles Cry, récemment intégré aux concerts et qui, en plus d’être très catchy, a le mérite de mettre en avant les contributions vocales du claviériste et producteur Kevin Codfert. Pour ce qui est du reste du set, Myrath emmène le public du Plane’R Fest aux quatre coins de sa discographie, des confins des dunes venteuses de Shehili (ce titre d’album signifie « sirocco » en arabe, ndlr) avec Dance, jusqu’à l’oasis lointaine de Merciless Times extrait de Tales of the Sands. Il gratifie le public d’une belle déclaration d’affection en lui dédicaçant Heroes, exclusivité live. La joie de faire partie du voyage est en tout cas bien présente d’un côté comme de l’autre, et les manifestations de reconnaissance n’en ressortent que plus sincères… Zaher Zorgati, en plus de ses impressionnantes performances vocales et de ses qualités de frontman, profite de l’atmosphère plus intimiste que celle du Hellfest pour échanger quelques blagues avec les festivaliers — principalement autour du nom de Montcul —, ainsi que relever un défi consistant à boire un verre cul sec… « C’est la dernière fois ! », jure-t-il entre deux fous rires. Peut-on attribuer à la boisson une submersion par l’émotion ? Toujours en est-il que le chanteur termine le set ému aux larmes, avec face à lui un public qui de son côté n’en finit plus de reprendre le final de l’hymne Believer… En cette fin de soirée, Myrath offre au Plane’R Fest un show d’une générosité sans frontières, autant dans son sens du spectacle que dans les ondes positives qu’il communique, qui redonne un coup de boost aux plus fatigués… pas de chance que cela tombe à l’heure d’aller se coucher !

Une bonne nuit de sommeil plus tard, et tout le monde est d’attaque pour une deuxième salve de shows, aussi bien sur les scènes qu’en face, tout comme dans les crashs barrières ! Cette dernière commence avec Kamizol-K, groupe de hardcore lyonnais ayant remporté successivement deux tremplins lui ayant ouvert l’accès, le mois dernier à la Warzone du Hellfest et ce 8 juillet au Terminal 1 du Plane’R Fest, à la maison… À la vue de la prestation du groupe, le moins que l’on puisse affirmer est que ces deux victoires sont largement méritées ! À six sur le Terminal 1, tous les membres du groupe profitent de ce grand espace scénique et de la demi-heure de set qui leur sont accordés pour démontrer, chacun à sa manière, une implication et une énergie de tous les instants. Les atouts que Kamizol-K ne prend même pas la peine de cacher dans sa manche sont de taille ; à commencer par son duo vocal formé par Lionel et Marie, dont la performance commune allie les principales influences du groupe, growl façon thrash metal pour lui, scream aigu type hardcore pour elle. Ces mêmes influences ressortent aussi bien dans les compositions, que les musiciens exécutent avec le tranchant qui leur est dû. Avec tout cela, et malgré les températures très chaudes de l’après-midi, il n’y a rien d’étonnant à voir le public reprendre en chœur le refrain de Get Away sous les impulsions des deux vocalistes, puis se former le premier wall of death de la journée ! Avec ce set, Kamizol-K poursuit un parcours déjà bien entamé et confirme son statut de groupe jeune et dynamique qui promet d’aller loin. Un grand bravo !

Changement de registre avec les Parisiens d’ODC, qui prennent place sur le Terminal 2 accompagnés de leur rock mélodique et catchy porté par la voix de leur chanteuse Célia. La prestation de cette dernière se voit malheureusement entachée dès le début du set par des problèmes de micro faisant ressortir sa voix trop faiblement. Ceci, couplé à ce que l’on peut peut-être attribuer à un manque d’expérience, ne contribue pas à mettre la jeune chanteuse très à l’aise, ce qui se traduit par un jeu de scène très contenu… Fort heureusement, elle bénéficie d’un appui de taille en la personne de ses trois compagnons de scène, plus particulièrement de Sonny, bassiste au look excentrique qui agite sa tignasse pourpre dans tous les sens et assure des voix de soutien… sans micro ! À eux quatre, les membres d’ODC démontrent une alchimie qui fait plaisir à voir. La fraîcheur dans leur musique aux faux airs de Lacuna Coil ainsi que dans la voix très reconnaissable de Célia, à la fois mélodieuse et rock, qui rappelle un peu Charlotte Wessels, fait beaucoup de bien sous la chaleur écrasante de la journée. Parmi les morceaux, des mentions honorables reviennent à Wanted, qui donne à la chanteuse l’occasion de démontrer sa versatilité, non seulement en matière de style vocal, mais aussi en langues étrangères en alternant entre l’anglais, l’espagnol et le français, et à la reprise façon Rock de You Should See Me in a Crown de Billie Eilish, très réussie !

Quelques mois après avoir découvert le groupe sur la scène du Rock’n’Eat, je suis ravie de retrouver Last Addiction à l’affiche de ce Plane’R Fest. Le quintet de « post-core » lyonnais, tel qu’il se définit, ne chôme pas en cette année 2023. Partageant son temps entre les diverses scènes où il est sollicité pour jouer et la préparation de la sortie de son prochain album, la motivation est bien présente et se fait ressentir ! À l’instar de leurs concitoyens de Kamizol-K, les cinq jeunes hommes profitent de l’espace du Terminal 1 pour laisser s’exprimer les multiples influences ainsi que les émotions complexes qui les accompagnent depuis la formation du groupe il y a dix ans. D’un point de vue concret, Last Addiction illustre tout cela par une musique aux atmosphères apocalyptiques inspirées de théories telles celle de l’effondrement, combinant heavy metal, metalcore et post-rock. La musique trouve elle-même sa représentation au travers d’une prestation intense et sans compromis mêlant technicité et lâcher-prise. Cet état d’esprit se reflète jusque sur l’apparence des musiciens, tout de noir vêtus comme s’ils portaient le deuil d’un monde voué à s’écrouler… Parmi eux, le guitariste Vincent Delphin, dernier arrivé au sein du groupe, se distingue par des leads superbement exécutés qui se greffent aux rythmiques brûlantes de Gaël Augier, Willam Guinet et Thomas Chaverondier. Un des plus gros points forts de Last Addiction réside toutefois dans ses parties vocales, très maîtrisées et faisant honneur à tous les aspects de la mélancolie qui se dégage des morceaux, entre tristesse et colère. Dylan Fournet se montrant aussi imprévisible dans son style vocal que dans son jeu de scène et les screams agressifs et nerveux de Gaël Augier apportant un appui de valeur. La complémentarité de leur duo vocal est particulièrement mise en avant sur des titres tels le mésestimé et écorché The Last Sunset, dont le refrain donne des frissons. Last Addiction se permet également de présenter quelques extraits de son album à venir ; de quoi donner hâte…

Vient alors le tour de Bad Situation de fouler les planches du Terminal 2. Décrit par ses fondateurs comme un « very bad band », le groupe possède comme particularité de n’être composé que de deux membres, le guitariste Aziz Bentot, autrement connu sur YouTube sous le nom de Dealer2Metal, et le batteur Lucas Pelletier, tous deux se partageant les parties vocales. Outre cette configuration particulière qui n’est pas sans rappeler Mantar, Bad Situation trouve son originalité dans son style musical, un rock très « garage » dans le son comme dans l’esprit. Sur scène, cela se traduit par un binôme dont la passion se lit sur les visages et dans la gestuelle hyperactive, deux piles électriques débordant d’une énergie folle, à tel point qu’ils pourraient bien faire sauter le courant ! Heureusement, à défaut de partir en vrille, ce courant se diffuse dans le public, qui répond en conséquence en sautant et tapant dans les mains. Du reste, Aziz peut compter sur le soutien et la fidélité de ses abonnés, venus en nombre pour l’encourager en clamant son nom en chœur… « Merci, j’allais oublier comment je m’appelle ! » plaisante-t-il. Lucas et lui-même démontrent en tout cas, non seulement une bonne maîtrise et une belle complémentarité, mais aussi une complicité autant entre eux qu’avec leur audience et dont l’authenticité touche les cœurs. Pêchu et percutant, Bad Situation donne un bon coup de fouet — électrique — qui réveille ceux qui auraient eu le malheur de se laisser assommer par le soleil !

Mon appareil étant en panne de batterie, je dois le mettre en charge pendant la prestation de Visions of Atlantis et en profite pour prendre une pause déjeuner. À défaut d’embarquer à bord du navire aux côtés des autres moussaillons, j’apprécie d’observer à distance ces derniers profiter du voyage, bien guidés en cela par les boucaniers autrichiens et leurs figures de proue italienne et française, Michele Guaitoli et Clémentine Delauney. Cette dernière, profitant pleinement de cette escale sur ses terres d’origine, s’adresse d’ailleurs au public dans un mélange de français et d’anglais, ce qui n’est pas sans prêter à sourire… Cette parenthèse power metal symphonique se voit bien accueillie par les festivaliers, cependant, je trouve à la longue le style de Visions of Atlantis un peu lassant car trop répétitif à mon goût.

Resolve suit sur le Terminal 2, autre groupe lyonnais à l’actualité bien remplie. En effet, après avoir assuré la première partie de la tournée française de While She Sleeps, il s’apprête à sortir son second album, Human, nouveauté appuyée par la sortie de deux clips dont celui du morceau homonyme. Dans l’attente de cette sortie prévue pour septembre prochain, le quatuor auparavant connu sous le nom d’Above the North compte bien profiter de son passage au Plane’R Fest pour poursuivre en force la promotion de son univers à l’esthétique teintée de futurisme et de couleurs aux tons métalliques. Resolve joue un metalcore moderne et incisif, à la maîtrise impeccable et très propre dans son exécution… peut-être un peu trop, le lissage du son caractéristique du genre faisant ressortir une certaine rigidité dans l’ensemble ; je pense notamment aux effets sur le micro, présents au point d’en être très audibles par moments. S’il ressort ainsi une certaine froideur dans la musique, l’on ne peut néanmoins pas en dire autant de l’attitude scénique des quatre musiciens : Antonin Carré à la guitare livre une performance intense et investie, digne de son nom, tandis que les frères Robin et Nathan Mariat forment un binôme rythmique fort efficace. À l’avant de la scène, Anthony Diliberto remplit avec brio son rôle de frontman, courant et sautant partout sur la scène et alpaguant le public pour l’inciter à faire de même, ce que ce dernier ne se prive pas de faire avec enthousiasme.

Une interview avec deux membres de Kamizol-K me conduit à manquer la première demi-heure de la prestation de Paradise Lost et par là même à ne pas pouvoir prendre de photos. Je reviens tout de même à temps pour me laisser bercer par les ambiances baroques et reposantes que porte la musique de ce chef de file britannique du gothic/doom Metal. À l’heure où le soleil commence à décliner à l’horizon, l’ambiance du show se fait crépusculaire, avec un éclairage aux couleurs du couchant et des musiciens vêtus à celles de la nuit. Pour autant, elle n’est pas à la morosité, comme en témoignent les grands sourires sur les visages sur scène comme dans le public… Nick Holmes se montre très chaleureux dans ses interactions avec les metalleux présents dont il tient de tout évidence à rester proche avec les années. Paradise Lost offre ainsi au public du Plane’R Fest un moment d’apaisement plus que bienvenu, contrepoint à l’agitation du reste de l’affiche…

Peu avant 21 h, Ten56 prend place sur le Terminal 2, venant compléter une programmation déjà bien chargée en groupes de metalcore et hardcore. Si les aspects « découverte » et « sortie de la zone de confort » font partie intégrante de tout festival, de mon côté, je ne cache pas que l’intérêt va en diminuant… Composé de cinq musiciens revendiquant tous un certain bagage dans le genre, parmi lesquels Steeves Hostin et Aaron Matts, respectivement guitariste et ex-chanteur de Betraying the Martyrs, le groupe tire parti de la solide expérience de chacun pour délivrer une performance chirurgicale sur base d’un deathcore aux ambiances tout droit sorties d’un technothriller. Une telle combinaison laisse imaginer une relative froideur et un aspect mécanique dans l’exécution, cependant Ten56 montre tout l’inverse dans sa façon d’être sur scène et vis-à-vis de son public. Le Britannique Aaron Matts, en plus d’un charisme indéniable, fait preuve d’un sens de l’humour à tout épreuve, y compris celle de ses lacunes en français lorsqu’il invite les spectateurs à préparer un wall of death par un nouveau jeu de mots sur le lieu du festival (« Écartez-moi ce cul, putain ») ou fait monter un jeune garçon sur scène… Je ne m’attarde pas plus longtemps après ces petits moments et vais prendre une petite pause avant la suite.

Quoi que déçue de ne pas avoir pu obtenir une interview avec Alcest, j’attends avec hâte, tout comme la foule assemblée face au Terminal 1, l’arrivée de la figure de proue du shoegaze français. À partir de là, il me semble superflu de préciser que l’arrivée de Neige, Winterhalter et comparses sur scène, en chemises à fleurs qui fleurent bon l’été, se voit parée de son petit moment de triomphe ! Le premier tiers du set est dédié au dernier album en date, Spiritual Instinct, dont Les jardins de minuit, Protection et Sapphire continuent de régaler le public quatre ans après leur sortie. De leur côté, les musiciens montrent le même sérieux dans leur performance, qu’ils assurent avec le professionnalisme qui lui est dû. En parallèle, si la musique d’Alcest compte parmi celles qui courent le risque de tomber dans la monotonie, en partie dû à l’omniprésence des effets, leur langage scénique témoigne d’un investissement à la fois physique et émotionnel de tous les instants. Cela injecte une énergie très positive dans la prestation et prévient un aspect « figé ». Neige, en dépit de la fatigue qui peut se lire sur ses traits, affiche de belles et touchantes expressions, notamment sur les passages axés black metal, et s’adresse en toute douceur au public entre deux morceaux. Au sujet de ces derniers, un prochain album est en préparation, cependant la setlist ne compte aucun inédit, concentrant à la place quelques-uns des grands titres de la discographie du groupe, autant qu’ils puissent être contenus sur une durée d’une heure. Les titres attendus produisent leur effet et, comme pour Blind Guardian la veille, la communion avec le public se manifeste, de la tendresse partagée d’un Autre temps à la nostalgie d’un Percées de lumière, jusqu’aux dernières notes de Délivrance. Cette dernière amène à une fin de setlist qui, du reste, semble arriver bien vite, peut-être plus que prévu… Dans tous les cas, Alcest met du baume aux cœurs et du rêve aux esprits, ce qui fait beaucoup de bien en cette fin de Plane’R Fest. En revanche, carton rouge au sens littéral pour l’éclairage de début de set, qui impacte bien fort les prises de vue sur un temps d’autorisation de captation déjà limité !

La fin approche, et pour conclure en beauté, quoi de tel qu’une petite leçon d’Ultra Thrash Metal dispensée façon Crisix ? Fort d’une carrière de quinze ans, le groupe espagnol a pourtant eu du mal à se faire connaître auprès du public français ; sa place parmi les têtes d’affiche du Plane’R Fest prouvant qu’il obtient aujourd’hui la reconnaissance qu’il mérite. Il va alors sans dire que Crisix a beaucoup de reconnaissance envers son public et la montre à sa manière, c’est-à-dire par un show très généreux, riche en gros riffs et rythmiques speedy agrémentés de leads virtuoses et du chant perce-oreilles de Julian Báz ! Cette générosité se voit d’autant plus appuyée par une setlist qui brille par sa variété bien que relativement courte. Elle inclut des titres issus de toute la discographie du groupe, parmi lesquels celui ayant donné son titre au petit dernier en date, Full HD, sorti en 2022. Quitte à être fidèles à l’esprit très référentiel qui est le leur, les cinq hommes n’oublient pas d’inclure un medley de reprises composé de Hit the Light, Walk et Antisocial, reprises qui ne sont du reste même pas extraites de l’album dédié, histoire de faire bonne mesure ! Entre deux morceaux, Julian Báz prend le temps de remercier chaudement les fans, tout en soulignant qu’il préfère les appeler « amis ». En parlant d’amitié, celle qui unit les cinq membres de Crisix se reflète dans leurs interactions sur scène, entre franches accolades et dialogue de cordes entre Marc Busqué et Albert Requena. Aussi, pour nous autres photographes, capturer ces moments de franche camaraderie autour du thrash metal est une joie de tous les instants… interrompue lorsque la sécurité nous enjoint de quitter le crash barrière. Ne nous reste qu’à apprécier comme il se doit, et d’un peu plus loin, la fin d’une prestation de folie brute. Bravo Crisix, succès mérité !

Après deux jours d’une programmation metal et rock, la darksynth de Carpenter Brut vient conclure cette édition du Plane’R Fest. Toutefois, le crash barrière étant inaccessible pour les photographes et la fatigue se faisant ressentir, j’emploie mes dernières forces à prendre quelques plans larges depuis le public avant de partir vivre ma fin de fest depuis l’espace VIP, laissant la danse à d’autres. À bonne distance, j’ai tout de même loisir d’observer et d’apprécier le dialogue purement musical entre le trio et son irréductible audience, ultime moment de rassemblement et de communion avant de rentrer chez soi…

Rassemblement et communion, tels sont d’ailleurs les deux termes me paraissant résumer au mieux cette dixième édition, première pour moi, du Plane’R Fest. Que cela soit entre groupes à petite et grande échelle, scène et public, public lui-même, tout le monde aura ces deux jours durant partagé de beaux moments d’échange et de complicité. Ceci en bonne partie grâce à l’éclectisme de l’affiche, qui permet à tout un chacun d’y trouver son compte et dont le seul regret — toutefois purement personnel — que j’en tire réside dans la surreprésentation des genres en -core ; mais aussi et surtout à l’échelle humaine de l’événement, qui favorise une ambiance intimiste et propice aux rencontres et retrouvailles, et qui fait du bien post-Hellfest et pré-Wacken. À vivre et à revivre…