Lethal Technology
Mechanical Era
Genre death metal progressif/industriel
Pays Suisse
Label autoproduction
Date de sortie 24/09/2022

Site Internet

Brutal death metal à la Dying Fetus et Cannibal Corpse, metal progressif dans la lignée de Dream Theater et Devin Townsend, metal industriel aux airs de Fear Factory et Strapping Young Lad, et un peu d’opéra pour couronner le tout ? Une telle coexistence de genres au sein d’un même album ne pourrait à première vue se produire que dans un univers parallèle, ou bien futuriste. De là, Lethal Technology serait-il visionnaire ? C’est en tout cas dans le présent que le groupe anciennement connu sous le nom de Seventh Wave prend le pari de faire avaler cette tambouille improbable aux metalleux de Suisse, de France et de Navarre, et si possible au-delà, avec la sortie de son album Mechanical Era le 24 septembre 2022. Le groupe est-il alors parvenu à équilibrer le mélange de manière à ne pas le changer en bouillie indigeste, et si oui, de quelle façon ?

À ce questionnement, le deuxième des dix titres et premier extrait dévoilé, Factory, révèle déjà l’essentiel de ce qui constitue l’univers de Mechanical Era — et le chemin emprunté par Lethal Technology pour y parvenir. Une introduction électronique précède l’entrée en scène d’instruments à bas accordage ainsi que de deux voix certes diamétralement opposées, mais clamant toutes deux inlassablement le même discours entêtant de bienvenue. Le décor est planté, celui d’une immense usine où sont produits en quantité industrielle accords low-key, soli tranchants et dualité vocale au placement dysrythmique, le tout à la cadence d’une machine infernale au rythme de frappe cyclothymique… Comme le laissait déjà entendre le seul titre de la piste précédente, Forbidden Flesh, les limites du seul corps organique n’ont pas cours, l’objectif ici revendiqué par Lethal Technology consistant à s’en affranchir pour laisser place à la synthèse ultime.

Cette synthèse infernale passe, d’une part, par celle des genres, d’autre part, par celle de la matière et de l’immatériel. Dans un cas comme dans l’autre, une chute dans les excès en tous genres et dans une exécution mécanique était prévisible. Fort heureusement, dans un monde où les machines remplacent les humains, les membres de Lethal Technology et leur entourage rappellent chacun à leur manière que les premières n’existent pas sans les seconds. Ceci, grâce aux efforts combinés des fondateurs du groupe tel qu’il est aujourd’hui, Cédric Ferret et Julien Dulex, qui ont œuvré à ce que les morceaux conservent une trame assez simple pour être accessibles, et de Rob Carson, frontman de Xaon, dont le travail au mixage sonore apporte l’équilibre à l’ensemble. Ainsi, si les éléments programmés, à savoir la batterie et les claviers, paraîtront fatalement trop synthétiques à certains, ils occupent une place raisonnable, assez pour ne pas choquer et voulue par le genre industriel de toute manière. À ce niveau, l’éponyme, Mechanical Era, en constitue un bon exemple, morceau le plus sobre et facile d’écoute de l’album et qui s’encombre le moins d’effets artificiels. À cette base simple, se greffe la complexité du death metal progressif. Compter dans ses rangs un ancien guitariste de Misanthrope et pointure du genre en la personne de Xavier Boscher est sans conteste un atout de taille, ce que ce dernier s’empresse de démontrer en faisant des merveilles de shredding et de mélodies. À ce titre, mention spéciale à l’intro d’Iron and Ice, planante et magnifique, et au shredding accompagnant la fin de The Final Day, à l’énergie non négligeable.

Cette dualité entre brutalité et élégance, formule qui n’a plus besoin de faire ses preuves et sur laquelle Lethal Technology mise en bonne partie, se retrouve non seulement dans le mélange des genres, mais de manière encore plus évidente dans le duo de voix formé par Jade Hänni et Sofiane Thoulon. L’avant-dernière piste de l’album, Iron and Ice, résume à elle seule ce concept, musicalement comme lyriquement parlant, l’un semblant désigner la voix gutturale et désarticulée de la première, l’autre le chant lyrique épuré et aux tons froids de la seconde. Issue du milieu de l’opéra, Sofiane Thoulon est peut-être celle qui dénote le plus avec un ensemble déjà déroutant, et il ne fait nul doute que poser sa voix sur des rythmiques death a constitué pour elle un défi l’ayant poussée dans ses retranchements. Dans le même temps, de longs passages atmosphériques succèdent aux dites rythmiques death et offrent à la chanteuse lyrique de beaux espaces d’expression. En résultent des vocalises haut perchées sur par exemple le très planant New Hope… Son timbre de voix est de ceux que l’on peut qualifier de particulier ; les uns l’aimeront, les autres non. Il est dans tous les cas indéniable qu’il complète à merveille l’aspect masculin et brut de décoffrage du growl pourtant bien féminin de Jade Hänni et contribue à définir l’identité de Lethal Technology et de ce Mechanical Era.

Tous ces traits de personnalités individuelles marqués ne sont en réalité pas les seuls à prendre part à la définition de cette identité. En ce sens, Mechanical Ira, l’album, trouve sa valeur dans plusieurs écoutes successives. Appuyer sur le bouton replay pourrait bien permettre aux oreilles averties de découvrir, ici une ligne vocale rappelant Storm the Sorrow d’Epica sur Forbidden Flesh, là des influences de la musique vidéoludique un tantinet kitsch des années 80 tout au long des presque huit minutes de Programmed World, seul morceau conservé de la période Seventh Wave. Même la batterie programmée, par-delà son aspect synthétique, révèle une personnalité dans son jeu inspiré de grands noms tels George Kollias ou Mike Portnoy

Bâtir une machine infernale n’est pas de tout repos, en particulier lorsqu’il s’agit d’assembler des pièces particulièrement retorses et en l’absence de certaines d’entre elles. Heureusement pour lui, et pour son public, Lethal Technology compense cette absence avec les moyens du bord et la mise en lumière des singulières différences entre ses quatre membres. En résulte avec Mechanical Era une œuvre bâtarde, singulière, qui a de quoi susciter à coup sûr des avis polarisés. Gros bordel bizarroïde d’un côté, mélange des genres et influences réussi de l’autre, il vaut en tout cas la peine d’être écouté, ne serait-ce que pour s’en faire un. Ainsi, à l’instar de Pensées Nocturnes ou Borgne — pour en citer un plus proche stylistiquement comme géographiquement —, Lethal Technology devient un de ces groupes faisant de la crise identitaire permanente leur marque de fabrique. Corps de fer paré d’une peau plus vraie que nature, il ne fait nul doute qu’avec le temps et les changements — comme l’intégration récente de la jeune Ieva Parent en tant que claviériste —, la distinction entre humain et machine en deviendra de plus en plus imperceptible…