Abbath, Toxic Holocaust, Hellripper
CCO La Rayonne, Lyon (FR)
Date 18 janvier 2024
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Jean-Yves Cluze
https://larayonne.org

À première vue, une affiche réunissant black metal façon 90’s et thrash metal façon 80’s n’est pas des plus évidentes à imaginer. Telle est pourtant celle de la tournée d’Abbath, qui fait accompagner la pointure du black metal norvégien par Toxic Holocaust et Hellripper, nouvelles valeurs sûres du speed/thrash metal teinté de black, l’un depuis les années 2000, l’autre depuis les années 2010. En ce soir pluvieux et froid du 18 janvier 2024, il paraît donc tout naturel à quelques centaines de fans des uns comme des autres styles de se retrouver au CCO La Rayonne de Villeurbanne, nouveau lieu d’accueil des concerts organisés par Sounds Like Hell Productions encore récemment inauguré, pour partager un moment de chaleur humaine et de convivialité autour de tout ce beau monde !

Dans tous les cas, les premiers échanges autour de verres sont déjà bien entamés lorsque les Écossais de Hellripper débarquent en trombe sur la grande scène du CCO. De tête d’affiche d’un petit festival de musique extrême en Suisse allemande à première partie d’Abbath, il n’y avait qu’un pas, que le meneur James McBain a franchi en 2023 avec la sortie de son troisième album Warlock Grims & Withered Hags, mis à l’honneur ce soir au travers de quelques titres. Le set s’ouvre toutefois sur Vampire’s Grave, extrait du deuxième opus The Affair of the Poisons, dont les trois minutes de riffs punk non-stop donnent un bon coup de cravache à un public certes pas encore au complet au vu de l’heure, mais déjà motivé à foutre le bordel dans la fosse. Pour des points de bonus chauvin, le titre trouve son inspiration dans l’histoire française ! Par la suite, Hellripper consacre son temps de scène à valdinguer et faire valdinguer les spectateurs aux quatre coins d’une discographie et d’une expérience scénique déjà impressionnante pour la jeunesse de la formation et de son fondateur au visage angélique. Du haut de ses bientôt vingt-neuf ans, lui qui semble né à la mauvaise époque compense cela en embarquant le CCO dans un authentique voyage temporel jusqu’à celle des premiers concerts de Metallica en 1984, comme le commentent certains ; à défaut d’une DeLorean, il a pour véhicule le thrash bien rapide et bourrin ainsi que le chant punk agressif que beaucoup lui connaissent déjà. Dire que ça marche du tonnerre paraît un bien doux euphémisme au vu de l’ambiance !

Entre deux morceaux, les musiciens — excepté bien sûr le batteur Max Southall — doivent fréquemment réaccorder leurs instruments, moments que le groupe met à profit pour partager avec son public des échanges teintés de complicité fraternelle et d’accent écossais à couper au couteau. Comme par exemple lorsque James complimente les goûts vestimentaires du « guy with the Midnight T-shirt » dans la fosse ou que Joseph lui lance « Raconte une blague ! » lorsqu’il tombe en panne d’inspiration à un moment où « il faut meubler » … Du côté des spectateurs, ces derniers se montrent plus que réceptifs à ces interjections, auxquelles ils répondent en encourageant les musiciens à « play faster » — alors qu’on se demande bien comment ils pourraient ! — et en se jetant à corps perdu dans la mêlée sans répit tout au long des quarante-cinq minutes du set. Sur une telle durée et avec des morceaux pour la plupart courts, le style finit par tourner en rond au bout d’un moment ; cependant le rythme haletant fait que le temps file à une vitesse folle et que l’on ne voit pas arriver la fin, sur les emblématiques All Hail the Goat et Headless Angels, qui d’après James se jouent en cinq minutes à eux deux ! Pour résumer rapidement ce début de soirée en compagnie de Hellripper, il prend des airs d’apéritif qui aurait commencé par les piments et autres biscuits les plus épicés : ça met le feu, ça pique, et on en redemande. En deux mots, « ça thrash », comme le commentent les spectateurs après le show !

Après vingt petites minutes de pause, vient le tour de Toxic Holocaust de faire le show. Par rapport à Hellripper juste avant, le tempo baisse d’un cran, mais pas l’énergie, toujours bien présente sur scène comme en face. Encore une fois, le public du CCO se laisse embarquer dans un nouveau voyage temporel dans les années 80, à grand renfort de riffs thrash bien sentis tout droit sortis de la guitare fluo de Robert Gray qui ressort dans la pénombre, de rythmiques très carrées, de la voix criarde de Joel Grind racontant des histoires de guerre nucléaire et de déchets toxiques et de look typique de l’époque — à l’exception notable des iconiques cheveux peroxydés du frontman, que ce dernier a abandonnés au profit d’une couleur plus naturelle. Ayant pour ma part découvert le groupe à l’époque de la sortie de Chemistry of Consciousness, je m’amuse tout à la fois de ce constat ainsi que de retrouver ce trio qui a certes changé au fil des années mais n’a pas pour autant perdu de sa superbe et continue de faire le bonheur de milliers de fans de thrash à travers le monde. Tout comme Hellripper, Toxic Holocaust bénéficie de trois quarts d’heure de set ; une durée qui paraît bien insuffisante à faire honneur à sa discographie. Toutefois, avec des morceaux dont la durée n’atteint pas les trois minutes pour certains, cela laisse largement le temps, au groupe d’en caser un bon nombre, au public de profiter à fond de chacun d’entre eux — à défaut de laisser le temps aux photographes de prendre beaucoup d’images !

Bien que n’ayant pas sorti d’album depuis Primal Future: 2019 en l’année 2019 en question, Toxic Holocaust a tout de même de la nouveauté à revendre en redonnant un coup de jeune aux morceaux emblématiques de son opus An Overdose of Death…, dont il continue de célébrer comme il se doit le quinzième anniversaire en le mettant à l’honneur dans la quasi-intégralité de la setlist. Une occasion en or, pour les connaisseurs, de savourer un bon mélange de thrash, punk et metal aux relents de déchets toxiques telle que produite par cet album emblématique de la carrière du groupe, pour les moins connaisseurs, de découvrir sur scène des morceaux efficaces et incisifs tels War Is Hell et Gravelord, dont l’enchaînement en milieu de set fait des merveilles, ou encore l’inquiétant In the Name of Science. Dans tous les cas, et quelque soit le morceau ou l’album dont il est extrait, les trois membres de Toxic Holocaust sont enchantés de ces retrouvailles avec la frange lyonnaise de leur public français et y vont bon train pour le faire savoir, de Tyler Becker frappant avec précision tout en enchaînant les joyeuses grimaces à Rob Gray et Joel Grind s’agitant d’un bout à l’autre de la scène lorsque le second n’est pas occupé derrière le micro à crier ou faire des blagues. Ceci, tout au long d’un set qui s’achève en beauté sur, bien évidemment, deux extraits de An Overdose of Death… que sont Nuke the Cross et Lord of the Wasteland. Durant son court temps de scène, Toxic Holocaust aura offert un beau moment de thrash à l’américaine et de partage avec ses fans rhônalplins ; que demander de plus avant la tête d’affiche ?

En accord avec les horaires annoncés, il est tout juste 21 h 35 lorsque la scène du CCO se voit plongée dans la pénombre et la fumée pour l’arrivée de la tête d’affiche en la personne — physique et morale — d’Abbath. Ne gardant pour ma part de ma seule expérience avec le groupe au Bang Your Head de 2018 que le souvenir d’une prestation paresseuse et décevante — alors que je n’en attendais rien, c’est dire —, et ayant reçu des retours pour le moins mitigés de la part de spectateurs ayant assisté à d’autres concerts de la tournée, il va sans dire que ce n’est pas sans appréhension que j’attends la performance de ce soir… L’introduction, qui se passe pour le moins sur les chapeaux de roue, me rassure au moins sur un point : ce soir, Abbath, l’homme, ne débarque pas ivre mort sur scène. Cela étant, et cela allant de soi, il n’oublie pas de gratifier le public de ses signatures habituelles que sont entre autres la démarche de crabe, les grimaces boudeuses et le monochrome sous toutes ses formes… En vérité, cette phrase à elle seule suffit à résumer la prestation de ce soir dans son entièreté ; comprendre par là que le groupe fait ni plus ni moins que ce qui est attendu de sa part. Sa performance prend pour base une setlist trouvant un certain équilibre entre les morceaux d’Abbath en tant que groupe et en tant que compositeur, comprenant pour presque une moitié des titres d’Immortal, comme l’on pouvait s’y attendre, mais aussi deux extraits de l’album d’I, ancien groupe d’Abbath et d’Ice Dale. Dans tous les cas, il s’agit de compositions conçues comme des hymnes, assez simples et catchy pour rester dans l’esprit, et force est de reconnaître qu’elles savent faire leur effet… au moins pendant les quelques premières minutes. En effet, passé Ashes of the Damned, titre assez rapide et rentre-dedans pour se distinguer, la recette d’origine se retrouve dans chacun des autres morceaux jusqu’à s’épuiser et perdre son efficacité de départ, ceci en dépit de la variété de sources dans lesquelles puiser. En témoignent les réactions des spectateurs alentour, qui, à part les fans de longue date revendiquant leur statut au travers de leurs T-shirts ou maquillage bichrome, se montrent assez peu réceptifs. À tel point que j’aperçois une poignée d’entre eux décrocher à plusieurs reprises pour se pencher sur leur téléphone !

Hormis cette musicalité peu inspirée, un autre élément contribue au manque d’enthousiasme général tant il en manque lui-même, à savoir, le jeu de scène des musiciens. À commencer par Abbath lui-même, qui ne montre qu’une implication toute relative dans son rôle de frontman, n’interagissant que rarement avec le public lors de quelques annonces de titres, ainsi que dans celui de guitariste en ne jouant qu’une lead en début de set, laissant son co-guitariste Ole André Farstad en assurer la majeure partie. En vérité, ce sont bien ce dernier et ses collègues bassiste et batteur Andreas Fosse Salbu et Ukri Suvilheto qui portent la majeure partie du show sur leurs épaules ; cependant, eux non plus ne semblent pas investis plus que cela dans leur performance ni dans le dialogue entre eux et avec le public. Ainsi, il faut bien attendre plus d’une demi-heure avant de voir Ole André et Andreas Fosse se décider à bouger pour intervertir leurs places ; quant à Ukri, lorsqu’il se lève de son siège pour encourager les spectateurs à taper dans leurs mains, cela paraît un effort pour lui, voire une corvée, plus qu’autre chose… Dans tous les cas, malgré une maîtrise au poil, un vrai manque de naturel se dégage d’Abbath le groupe comme d’Abbath le musicien. Ajoutons à cela des problèmes de son récurrents qui viennent d’autant plus impacter la prestation, et l’on comprend facilement le désintérêt d’un public de toute manière principalement composé de thrasheux venus pour les premières parties au vu des looks qu’ils arborent. Ce désintérêt va croissant jusqu’au final sur Endless, qui offre au set une conclusion au moins aussi expéditive que son début, un quart d’heure avant l’horaire prévu et sans salut final, avec tout de même quelques poignées de main distribuées au premier rang. À défaut d’être intéressant, le show d’Abbath aura au moins eu le mérite de se dérouler sans flottement…

S’il est une principale conclusion à tirer de cette soirée au CCO à l’affiche incongrue, c’est qu’elle permet, à l’échelle lyonnaise, aux trois groupes qu’elle réunit de cimenter leurs statuts : pour Hellripper et Toxic Holocaust, celui de nouvelles valeurs sûres du speed/thrash européen et américain, pour Abbath, celui de groupe à gimmick se vendant avant tout sur le nom et l’image de son frontman et faisant passer sa musique au second plan. Des thrasheux américains et écossais, je salue le talent et l’accessibilité et espère partager de nouveaux moments avec eux aux côtés de leur public ; en revanche, en ce qui concerne le black metal norvégien, je laisse la prochaine fois à d’autres, plus adeptes de la danse de crabe et du corpse paint mono-expressif.