Hellripper, Demilich, Krypts, Farsot, Bunker 66, Zappedüster
Sommercasino (Bâle, Suisse)
Date 19 novembre 2022
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://www.facebook.com/basiliskdestroyers

Tant qu’à se rendre sur les terres helvètes pour couvrir un concert, autant faire d’une pierre deux coups et en couvrir deux ! Ainsi, après l’étape genevoise de la tournée de Störtregn, mon périple suisse du week-end du 18 au 20 novembre me mène au Sommercasino de Bâle, qui accueille la quatrième édition du Rites of Destruction organisée par Basilisks Destroyers. Une édition qui promet, au vu de son affiche rassemblant six groupes européens possédant tous leur identité bien marquée dans les sous-genres du metal extrême, d’être chargée en ambiances éclectiques, guerrières comme planantes, garantissant dans tous les cas d’envoyer de sacrés coups de poing, au sens propre comme au figuré… Une fois arrivée dans la salle transformée pour l’occasion en zone de guerre, une autre constatation s’impose : l’endroit promet d’être photogénique, en plus d’une soirée explosive !

Suite à la déprogrammation de dernière minute de Tardigrada, et sans remplacement, c’est aux locaux de Zappedüster que revient la mission de lancer les hostilités. Pour cela, le frontman emploie une méthode peu commune consistant à débuter le set en hurlant dans un mégaphone… La suite de la prestation se révèle à l’image de ce début en fanfare, à savoir criarde, agitée et surtout très enjouée ; en d’autres termes, du black-punk de la vieille école dans toute sa brûlante splendeur ! Cette splendeur s’attaque tout d’abord aux oreilles, de par la combinaison de riffs simples et puissants et d’une rythmique percussive, dans tous les sens du terme, assurée avec assiduité par un jeune batteur aux expressions qui dénotent la concentration. Le combo est agressif pour les oreilles, mais aussi pour les yeux, autant par la gestuelle chaotique d’un frontman qui saute dans tous les sens que par l’éclairage aux codes d’une pochette d’album de metal extrême made in 80’s, c’est-à-dire bicolore rouge et vert, voire monochrome par moments… mon objectif leur dit merci ! Dans tous les cas, l’amusement est bien présent, sur scène comme devant ; en témoignent les sourires du bassiste !

Zappedüster

Le groupe qui succède vient du sud, de l’Italie plus précisément, et par tous les chemins, il vient mettre le feu à la scène Sommercasino et à son public par la même occasion ; il s’agit de Bunker 66. Adoptant une forme de power trio, le groupe tire parti au maximum de cette configuration minimaliste pour exploiter les capacités de chacun de ses membres et tirer droit au cœur de son sujet — ainsi que celui du guerrier qui sommeille en chacun des spectateurs. En d’autres termes, chacun des trois se fait spécialiste de son instrument respectif et en fait la démonstration en se donnant à fond dans son jeu. Dans les instruments, mais également dans les parties vocales, étant donné que, bien que le fondateur Damien Thorne en assure la majorité, ses camarades J.J. Priestkiller et Dee Dee Altar y contribuent également en bonne partie. Tous trois paraissent alors tel un trio freudien, aussi complémentaires qu’indispensables les uns aux autres. En résulte un combo black/thrash dans tout ce qu’il a de plus simple et de meilleur, rapide, martial, sans concession et qui fait se secouer de nombreuses têtes dans l’audience. Quelques inspirations Candlemass s’y retrouvent aussi, çà et là, fièrement arborées par le guitariste J. J Priestkiller sur son T-shirt, de même que les mémorables grimaces sur son visage… grimaces dont les trois membres de Bunker 66 se révèlent spécialistes, au moins autant que de leurs instruments respectifs, et dont ils font le principal canal de communication avec un public qui lui répond comme il se doit, c’est-à-dire de la même manière et en levant les poings… En voilà un groupe qui porte bien son nom !

Bunker 66

Alors que le soir tombe à l’extérieur, à l’intérieur du Sommercasino, l’affiche opère un tournant radical et pour le moins crépusculaire avec l’arrivée sur scène de Farsot. Venu d’Allemagne muni de son aura intrigante et des étranges noms de scène de ses membres, le quintet en a également ramené un black metal atmosphérique très dense et chargé… Encore que, ces termes paraissent bien faibles au vu de ce qui se dégage de la prestation du groupe ! Rien ne semble exister pour les cinq Allemands que leur musique et les atmosphères qu’ils transmettent à travers elle, portés par un son calibré au millimètre, qui fait ressortir chaque nuance émise par chaque corde de chaque instrument et chaque fût de la batterie, gentiment empruntée par R 215k. Des quatre instrumentistes, celui qui impressionne le plus est sans nul doute v.13/170, de par sa virtuosité sur une basse à six cordes. De même, le son fait ressortir chaque hurlement éraillé en provenance de la gorge du frontman 10.XIXt. Ce dernier, dépourvu de ses cheveux, n’en a pas pour autant perdu sa vigueur vocale ni son sens de l’interprétation et livre ainsi une performance habitée et extrêmement émotionnelle. C’est le cas de le dire au vu des expressions possédées qu’arbore son visage et dont je parviens à en capturer quelques-unes avec mon appareil… La mise en scène joue également beaucoup dans la prestation de Farsot. Codes du genre oblige, les membres du groupe ne prennent pas le temps d’annoncer les titres entre deux morceaux à un public qu’ils ne semblent par ailleurs même pas calculer ; ceci, en vérité, afin de ne pas briser l’immersion dans laquelle ce dernier ne se retrouve que mieux plongé. En outre, la densité ressort aussi dans l’éclairage, monochrome rouge quasiment tout du long. Ladite densité ne fait d’ailleurs que s’intensifier au fil du set, à tel point que je me retrouve parfois à deux doigts de pleurer, sans réellement savoir si cela est dû à la force émotionnelle de Farsot ou à cette lumière qui agresse le regard autant que l’objectif… Tenant leurs rôles jusqu’au bout, les cinq hommes achèvent leur set en quittant la scène un par un, les deux guitaristes en dernier, toujours sans rien dire.

Farsot

Krypts prend à son tour place sur la scène ; une prestation que de nombreux spectateurs semblaient attendre de pied ferme, du moins est-ce ce que j’observe dans l’attitude de certains spectateurs, qui semblent bien impatients… Venus d’encore plus loin dans le nord de l’Europe, les Finlandais font baisser le tempo d’un cran ; la température aussi. Silhouettes statiques et austères dans la fumée, ils font surgir de cette dernière les échos tout à la fois caverneux et mélodieux d’un death/doom, comme le pays des mille lacs sait en produire, échos sur lesquels vient se greffer la voix basse et éraillée du chanteur et bassiste Antti Kotiranta, récitant des textes inspirés des écrits de Lovecraft et de spiritualité occulte. Qui plus est, tout comme pour Farsot juste avant, la communication est réduite au strict minimum, concentrée dans les regards et les expressions. À première vue, l’ensemble a de quoi glacer le sang ; toutefois, au vu des réactions dans l’audience, il fait plutôt jaillir des étincelles. Ceci grâce, entre autres, à quelques accélérations venant de temps à autre donner un coup de boost à un rythme de base lent, l’empêchant ainsi de devenir monocorde ; la théâtralité dans le jeu de scène des musiciens, plus particulièrement dans la performance vocale du frontman, y est pour beaucoup aussi. Beaucoup de théâtralité, également, que dans la façon que Krypts a de se mettre en scène, dans une ambiance brumeuse générée par un doux éclairage bleu en low lights et la fumée qui envahit la scène… Si le pari est réussi en matière d’immersion, celui d’en tirer des images se révèle bien plus compliqué à tenir !

Krypts

Après ce deuxième tiers de soirée au ralenti, Demilich débarque pour donner un coup de pédale sur l’accélérateur pour le troisième et dernier. Pour sa toute première prestation en Suisse, le groupe a à cœur de bien faire les choses. Pour cela, les compatriotes de Krypts possèdent deux atouts de taille qu’ils n’hésitent pas à sortir de leur manche. Le premier, et sans nul doute le plus important, réside dans son efficacité redoutable en tant que quatuor. Tous aussi impeccables dans leur jeu respectif que débordants d’énergie, les membres de Demilich se complètent les uns les autres pour transmettre leur enthousiasme d’être présents ce soir au Sommercasino à un public qui, de son côté, ne cache pas sa joie de voir sur scène un groupe qui se fait rare. En tant que fiers représentants du death metal avant-gardiste, les quatre hommes font une démonstration fort appréciable de leur savoir-faire technique, qui fort heureusement ne prend jamais le pas sur l’essentiel, à savoir, le fun à toute épreuve ! En guise de deuxième atout, et non des moindres, le chanteur et guitariste Antti Boman dégaine un sens de l’humour lui aussi à toute épreuve, sortant à tout va des plaisanteries qui tournent principalement autour de la supposée fainéantise du groupe, qui ne serait toujours pas fichu de sortir un deuxième album… Pour les non connaisseurs, Demilich a en effet connu au cours de plus de trente ans une carrière en dents de scie, entrecoupée de pauses prolongées et n’ayant donné le jour qu’à un seul album studio, Nespithe, en 1993. En dépit de cette discographie peu fournie, ou peut-être grâce à elle, le groupe profite et fait profiter au maximum du temps qui lui est alloué sur scène pour enchaîner des morceaux certes pas très longs, mais explosifs, sous un éclairage à son image, c’est-à-dire haut en couleurs. En résulte un set qui paraît fatalement passer bien vite, mais qui donne la pêche pour la fin de soirée…

Demilich

23 heures sonnent, et vient le temps pour cette quatrième édition des Rites of Destruction de se conclure — et pour conclure une soirée portant un tel nom, rien de tel que garder le plus fort pour la fin ? Basilisks Destroyers l’a en tout cas bien compris en programmant Hellripper en tête d’affiche. Le quatuor écossais n’a en effet pas le temps pour les concessions et le fait savoir en envoyant au visage de ses spectateurs une série de morceaux tous plus « speedy » et hargneux les uns que les autres, le tout dans le style d’un black metal plus proche que jamais de ses racines punk. Sous la houlette du leader James McBain, accompagné de compagnons de scène choisis avec autant de soin que les disciples du Christ, le sous-sol du Sommercasino se transforme en champ de bataille à échelle humaine, les combattants se jetant les uns sur les autres au rythme des riffs et de la grosse caisse. Le capharnaüm est tel qu’un des câbles du guitariste Joseph Quinlan se retrouve débranché par accident, apparemment du fait d’une maladresse d’un spectateur un peu trop agité… problème heureusement résolu en un tournemain. Ce qui aux yeux de certains pourrait passer pour un manque de subtilité, voire une régression, aussi bien au niveau musical qu’humain, possède en réalité une maturité que d’aucuns ne soupçonneraient pas. Derrière les aspects a priori bêtes et méchants de la musique de Hellripper, tous ses membres, humains comme musicaux, possèdent en eux une authentique richesse. De fait, la technicité est bien présente chez chacun d’entre eux et mise au service de morceaux dont l’efficacité et le côté rentre-dedans sont d’autant plus renforcées par leur durée brève et leur enchaînement rapide. Ajoutons à cela les qualités de frontman de James McBain, aussi communicatif entre les morceaux que braillard pendant, et nous obtenons avec Hellripper un groupe qui fait honneur à son nom en déchirant littéralement les enfers. Well done, guys!

Hellripper

Au cours de cette soirée Rites of Destruction Part IV, il nous aura été donné de tout voir et, surtout, tout entendre. Du death au black metal, du plus bourrin au plus subtil, Basilisk Destroyers sait y faire pour faire coexister tous les genres de l’extrême au sein d’une affiche pourtant petite. Dans tous les cas, que du bon, et peut-être à la prochaine…