Phoebus the Knight
Ferrum Fero Ferro Feror
Genre power metal symphonique
Pays France
Label autoproduction
Date de sortie 23/01/2023

Site Internet

Produire une fresque épique réunissant de multiples éléments est sans conteste un exercice périlleux, ceci quel que soit le domaine dans lequel les artistes s’y essaient ; d’autant plus lorsqu’à celui-ci s’en rajoute un autre qui l’est tout autant et qui consiste à mêler fiction et réalité. Ce double défi est celui que Phoebus the Knight s’est fixé l’objectif de relever. Formé en 2020 entre la France et la Suisse, à l’heure et dans deux pays où power metal symphonique et fresques épiques se font rares l’un comme l’autre, le groupe prend le temps deux ans durant, mené par ses fondateurs Axel de Montalembert et Adrien Djouadou, de bâtir un concept autour, d’une part, de la réunion des influences musicales des uns et des autres des cinq membres du groupe, d’autre part, d’un univers de fiction où se rejoignent et se côtoient fantasy et Révolution française. En 2022, ce concept se concrétise sous la forme d’un EP, The Last Guardian, prologue d’une saga dont le premier volet déjà très attendu, et qui nous intéresse aujourd’hui, sort le 29 janvier 2023, sous le titre Ferrum Fero Ferro Feror ( « Je porte le fer, le fer me porte », devise de la famille de Montalembert, ndlr). Décrit par les membres de Phoebus the Knight comme à la croisée de grands noms tels Rhapsody of Fire, Nightwish, Powerwolf ou Cradle of Filth, pour n’en citer que quelques-uns, il est à voir comment le groupe tire parti de ces influences somme toute classiques pour en tirer sa propre identité…

L’album s’ouvre sur les sons de cloche et orchestrations d’Antelux, sur lesquels s’enchaîne immédiatement le premier titre The Beast Within. À elles deux, ces deux pistes représentent une entrée en grande pompe dans l’univers de la saga Phoebus the Knight, fait de rythmiques battues sans relâche, de mélodies et orchestrations épiques, d’épées en formes de guitares et basse, de nombreux personnages qu’incarnent tous à leur manière les musiciens, cinq chevaliers membres de l’ordre d’Héliopolis, et d’une ambiance cinématographique apportée en bonne partie par la structure de l’album. À l’image d’un théâtre tel celui de la Révolution française dans lequel il prend place, Ferrum Fero Ferro Feror se divise en trois actes introduits chacun par une piste instrumentale au titre en latin. Qui se penche sur le contenu de l’histoire comprend que le premier est centré sur la figure héroïque de Phoebus, le deuxième sur sa némésis The Beast, le troisième mettant quant à lui en scène la confrontation des représentants du Bien et du Mal ; à partir de ces informations, il semble facile d’imaginer une première partie power metal suivie d’une partie orientée black metal, puis d’une troisième combinant les deux.

Cependant, et cela va sans dire, il serait bien trop simple de résumer l’album à cette vision. En effet, comme l’auditeur averti aura tôt fait de le constater, les trois parties, plutôt qu’en opposition, fonctionnent en miroir les unes des autres, autant au niveau des influences musicales que des thématiques de l’histoire ; à ce niveau, la pochette, représentant les deux adversaires face à face, tous deux sous les traits du frontman Axel de Montalembert, annonçait déjà la couleur. De cette manière, sur ce morceau d’ouverture d’emblée excellent, le héros affronte son ennemi intérieur et extérieur, combat représenté par un passage abrupt des envolées héroïques du power à des riffs plus extrêmes accompagnant un chant black metal éraillé, et qui trouve son écho quelques pistes plus tard avec Darkness Will Prevail, hymne gothique de The Beast façon musique de Danny Elfman dans un film de Tim Burton. De même, le romantisme des retrouvailles entre deux amants éternels revêt des allures tout à la fois lyriques et sombres sur The Iron Queen et The Queen of the Black Sun, tout comme les épisodes où les deux partis rassemblent leurs armées, de vampires sur Children of the Night, titre promotionnel aux couleurs du black metal symphonique a la Cradle of Filth ou Dimmu Borgir, de paladins dans le magistral éponyme, très proche de Rhapsody of Fire dans l’esprit.

L’autre extrait promotionnel, The Scarlet Dance, se révèle toutefois le plus abouti, qui réunit riffs très heavy et « Iron Maiden-esques », orchestrations épiques, shredding néoclassique et passage folk acoustique, le tout avec une cohérence et une fluidité sans faille. À ce niveau, des félicitations sont de rigueur pour Adrien Djouadou, qui grâce à ses talents de compositeur fait coexister ces différentes influences en harmonie ; de même pour Joost van der Broek au mixage et mastering ! Du côté des musiciens, ceux-ci livrent une interprétation sans faille ; d’une part, Adrien Djouadou et Adrien Guingal, qui n’ont pas que leur prénom en commun et le montrent en se partageant quelques passages de shredding aussi superbement exécutés que malheureusement trop rares, d’autre part, Noémie Allet à la basse et Guillaume Remih à la batterie, qui battent à eux deux une rythmique puissante.

S’il est une autre performance très à part qui mérite d’être soulignée, en outre, il s’agit bien de celle de la figure de proue de Phoebus the Knight, Axel de Montalembert. Déjà très investi dans son jeu de scène, comme l’auteure de cette chronique a eu le plaisir et l’amusement de le constater lors du premier concert du groupe, il se le montre tout autant dans son incarnation des deux personnages centraux de la saga, impressionnant par son aisance dans un rôle comme dans l’autre. Dans celui de la figure du héros, le chevalier solaire Phoebus, il adopte un style vocal très clairement inspiré d’Attila Dorn de Powerwolf, armé, à défaut de fer, d’une voix de basse chaleureuse qui se fait rare dans le milieu et dont les accents bombastiques — et très français — renforcent l’héroïsme de son personnage lors de combats fantastiques, mais aussi, du côté diamétralement opposé, sa tristesse et son désarroi sur Massacres de Septembre, ballade mettant en musique une tragédie, bien réelle, celle-ci, ayant vu des centaines de prisonniers périr des mains des Jacobins en septembre 1792. Son texte, le seul en français de l’album, ne manquera pas d’émouvoir les férus d’Histoire française, de même que le violon assuré par Marie-Sophie Baumgartner. Sous les traits du seigneur vampire The Beast, Axel inspire un mélange entre fascination et crainte, dû en bonne partie à une voix black metal dépouillée au point d’en devenir littéralement monstrueuse…

En appui, Noémie Allet, en plus de sa fonction de bassiste, incarne les personnages féminins en suivant la même dynamique, au travers d’une voix au timbre juvénile et presque adolescent, tantôt chantée, tantôt parlée, en retrait mais très expressive dans les deux cas. Je pense notamment à son discours au ton sadique à la fin de The Sword of Justice, morceau aussi épique que sombre qui conclut l’album — et cette première partie de l’histoire — de manière certes maîtrisée mais quelque peu abrupte, qui laisse autant l’auditeur sur sa faim qu’elle donne envie de découvrir la suite…

Pour partir à la conquête du monde merveilleux du power metal symphonique, rien ne vaut une solide guilde de chevaliers aguerris. À l’écoute de ce premier album, il paraît évident que Phoebus the Knight et ses chevaliers d’Héliopolis en forment une de premier calibre. Tout à la fois solaire et lunaire, armé d’une expérience dont la solidité compense la relative jeunesse et surtout d’une envie d’en découdre qui n’a rien à envier à celle des plus grands (guitar) héros, le quintet a le savoir-faire pour combiner les influences de ses uns et de ses autres membres de manière complémentaire et avec justesse. En résulte avec Ferrum Fero Ferro Feror un album à la construction très intelligente, où chaque morceau possède son identité propre sans pour autant qu’aucun d’eux ne vienne briser la cohérence de l’ensemble et où power et black metal symphonique se côtoient en tout harmonie et, avec le concept de Phoebus the Knight, un univers dont l’apparence simple et manichéenne (héros utopistes contre méchants nihilistes) recèle une grande richesse qui n’attend que de se dévoiler davantage dans la suite de la saga. Vivement le prochain épisode !