-ii- - Two Eyes
Extinction
Genre darkwave/rock industriel
Pays France
Label autoproduction
Date de sortie 10/03/2021

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La musique dite gothique est de ces genres ayant connu leurs meilleures heures dans les années 80 et 90 et connaissant aujourd’hui un revival sous l’impulsion de certains groupes et artistes. -ii- — à prononcer « two eyes » — est de ceux-ci. Fondé courant 2017 à Nancy, ce projet musical au nom étrange se revendique de la « witch wave », mélange subtil de dark wave et de rock industriel agrémenté d’une voix féminine. Après un premier EP, Lighthouse, en 2018, le duo — quatuor sur scène — sort en mars 2021 un premier album intitulé Extinction. Si Metal Alliance Mag reste avant tout spécialisé dans le metal et sous-genres, il est des albums et artistes issus des genres voisins de la scène underground qui méritent bien que l’on s’y penche. Extinction, -ii- et leurs mystères sont de ceux-ci.

Avant toute chose, prenons le temps de fermer nos propres deux yeux et de visualiser un décor ; celui d’une cave au sol de pierres éclairées par deux modestes bougies, celles que semblent figurer les deux i du nom du groupe. Hélène et Benjamin, fondateurs de -ii-, invitent les auditeurs à un voyage dans les ténèbres, au cœur de ce tableau à l’ambiance inspirée, d’une part de la mouvance italienne chiaroscuro explicitement citée dans le texte du titre d’ouverture Tenebrism, d’autre part de Bauhaus, première influence musicale revendiquée par le duo — à qui ce dernier a par ailleurs rendu hommage au travers d’une reprise de Bela Lugosi’s Dead. La nature d’un tel voyage, fatalement sombre et à l’issue incertaine, peut susciter à juste titre l’appréhension chez certains ; cependant, ils n’ont de crainte à avoir ; du moment que, telles les deux bougies perçant l’obscurité, deux mains bienveillantes se tendent hors de l’ombre vers eux, les invitant à prendre ces signes d’une guidante rassurante dans la traversée de ce paysage clair-obscur qu’est Extinction.

Chiaroscuro, clair-obscur, aucun autre terme ne paraît en effet mieux définir l’univers de -ii-. Le cœur de cette esthétique, ses amateurs ne le savent que trop bien, réside dans un équilibre loin d’être évident à trouver entre l’un comme l’autre élément. Heureusement, Hélène et Benjamin connaissent leur sujet jusqu’au bout des flammes et savent où réside le secret. Simplement munis, d’une guitare et d’une boîte à rythmes pour lui, de sa voix pour elle, musicien et vocaliste mettent ce peu de matériel au service d’une démarche visant à aller à l’essentiel. Ainsi, chacun des neuf titres composant Extinction adopte peu ou prou la même forme ; celle d’une base réduite à son plus simple appareil, en quelques notes de guitare grinçante appuyée par la boîte à rythmes, sur laquelle vient se greffer la voix d’Hélène déclamant des textes eux aussi d’expression simple. Au cœur de ces derniers, et de cette même démarche, le groupe met un point d’honneur à placer des refrains conçus pour rester ancrés dans les têtes ; à ce sujet, citons comme exemples les plus parlants le titre de Void asséné agressivement entre chaque phrase dudit refrain, l’unique phrase constituant celui de Tenebrism ou la lancinante conclusion du final Zero Day répétée presque ad libitum. À ces éléments issus de la darkwave viennent encore s’en greffer d’autres issus quant à eux du rock industriel, des bruits métalliques tout droit sortis d’usine aux grésillements de radio, en passant par les divers effets de voix ; éléments qui paraîtront de la poudre aux yeux de certains, mais une poudre colorée qui agrémente indéniablement cette base simple — telle la robe rouge portée par Hélène dans les visuels.

Lumière et obscurité, comme chacun sait, sont les deux faces d’une même pièce, et cette ligne directrice tout en sobriété mais bien loin d’ère simpliste contribue à faire ressortir les mille nuances de cette dualité entre atmosphères sombres et lumineuses. Entre les mains des membres de -ii-, cette dualité passe, tantôt par une coexistence d’une énergie masculine agressive et d’une énergie féminine élégante, toujours avec une certaine prédominance de l’une sur l’autre, tantôt par une alternance entre les deux d’un morceau à l’autre. Ainsi, My Flesh et Slave s’enchaînent pour traiter du sujet de la sensualité de deux manières : au détournement d’image religieuse dans la douceur du premier succède l’érotisme exacerbé doublé d’un appel à la soumission à la volonté d’une certaine sorcière en robe rouge du second. Cet enchaînement amorce une seconde moitié d’album marquée par la noirceur et la froideur, dont -ii- fait bon usage pour traiter de sujets littéralement brûlants ; parmi eux, le feu, purificateur et vénéré sous la forme d’une prière implorante dans Purify, ravageur dans un Fire in the Streets, immersion au cœur d’une émeute, dont la lente gravité renforce paradoxalement la sensation de brûlure des flammes et le sentiment de catastrophe et de panique ambiante. Noirceur et gravité prédominent, mais aussi vulnérabilité, lorsqu’Hélène supplie d’une voix étouffée un agresseur inconnu d’arrêter sur le refrain de November Skirt, voix qui prend ensuite la sonorité d’une amplification au mégaphone sur un couplet où la chanteuse encourage les femmes à confronter à ce harcèlement en « laissant voler [leurs] jupes de novembre ». Tout ceci en contraste, somme toute, avec un début d’album davantage axé sur un onirisme pictural et planant, avec un Tenebrism décrivant une scène claire-obscure et le magnifique The Rings of Saturn menant aux confins d’un ciel étoilé. C’est peut-être d’ailleurs ce type de morceau plus atmosphérique qui met le mieux en valeur la voix envoûtante d’Hélène ; moins chargée en effets, elle n’en ressort que plus claire et dans toute son expressivité…

Après un séjour prolongé dans l’ombre, Extinction sortait de sa cave en 2021, alors que touchait à sa fin la saison froide et qu’approchait le retour des beaux jours. Cette chronique sort quant à elle au cœur de la saison qui voit le déclin du soleil. Ainsi, ceux qui ne redoutent pas de s’aventurer dans la pénombre découvriront peut-être, en cet album d’un genre qui se fait rare, la bande originale de douces soirées d’automne, aux côtés de deux bougies — deux yeux — perçant l’obscurité.

Ne craignez pas les ténèbres, camarade… et que le festin commence.