Mortis Mutilati
The Fate of Flight 800
Genre Black Metal
Pays France
Label autoproduction
Date de sortie 11/09/2020

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Si, dans le vaste paysage du black metal français, il est un nom, ou plutôt deux, qui illustrent la définition même du self-made-man, il s’agit bien de Macabre et de son projet Mortis Mutilati. De ses débuts dans l’ombre en 2011 à son intégration à l’affiche du Hellfest 2022, il n’y avait que quelques étapes, franchies au fil des années. Parmi ces dernières, se démarquent notamment une première prestation scénique aux côtés des Canadiens de Sombres Forêts et une collaboration de longue date avec Devo Andersson (ex-Marduk) au mixage et au mastering. Cette année, loin d’être à court de nouveaux projets, Mortis Mutilati annonce, en plus de sa participation au Hellfest, la sortie d’un nouvel EP courant 2022. Dans l’attente de l’une comme de l’autre, l’occasion se présente de (re)partir à la découverte du dernier album en date du groupe, The Fate of Flight 800.

Sorti en 2020 et ayant vu sa promotion brutalement interrompue par la pandémie de Covid-19, cet opus marque un double tournant dans l’histoire de Mortis Mutilati, puisqu’il s’agit non seulement de son premier album en tant que groupe au sens strict depuis l’intégration de musiciens de session en tant que membres à part entière, mais aussi de son premier album concept. Macabre reste cependant fidèle à ses thématiques de prédilection en mettant en musique un événement obscur mais non moins marquant ; à savoir, le crash du vol 800 s’étant produit en novembre 1964 en Italie, tragédie aérienne ayant fait cinquante morts parmi les passagers et membres d’équipage, pris au piège au milieu des flammes envahissant l’appareil. En troquant les tombeaux de pierre contre un autre fait d’acier, le compositeur-interprète taphophile (passionné par les cimetières, ndlr) n’y perd pas au change. La date de sortie The Fate of Flight 800 semble d’ailleurs chargée en symbolisme, fixée, non à la date anniversaire de l’accident, mais au 11 septembre 2020… Coïncidence ou démarche jusqu’au-boutiste frôlant la provocation, la question est ouverte.

Fidèle à ses habitudes, Mortis Mutilati l’est également en confiant pour la troisième fois le mastering à Devo Andersson, dont la présence aux côtés de Macabre depuis la production de l’album Mélopée funèbre en 2015 n’a contribué qu’à porter le son du groupe vers des niveaux de professionnalisme toujours plus élevés. À ce titre, The Fate of Flight 800, comme il est aisé de le constater dès la première écoute, ne déroge pas à la règle. Mortis Mutilati y trouve ses sonorités les meilleures et les plus abouties. Ceci grâce à un mixage sachant s’accommoder à tous les éléments  composant l’ensemble, des plus mélodieux au plus extrêmes. Aryth, nouveau venu à la batterie, dévoile un jeu millimétré appuyant, tantôt les riffs et mélodies des guitares alors assurées en partie par Rokhdan — remplacé par la suite par Chlorure —, tantôt le chant strident de Macabre. Ces divers éléments viennent ainsi se lier les uns aux autres, sans qu’aucun élément ne prenne le dessus au détriment du reste. Les morceaux s’enchaînent sans réelle pause entre deux, permettant ainsi à l’auditeur de mieux profiter de ces unions harmonieuses, aussi bien entre lesdits morceaux qu’entre les éléments qui les composent. Que ne pouvait-on attendre, après tout, d’une figure de pointe dans le milieu du mastering comme Devo Andersson ?

En dépit de ces excellentes bases, une question demeure cependant : comment, au travers de l’imaginaire de la musique, retranscrire la tragédie d’un événement, lui, bien réel ? La réponse tient en deux temps. En premier lieu, cette retranscription passe par une écriture directe, allant au cœur des flammes dans lesquelles ont péri les cinquante victimes de la catastrophe du vol 800. Du tremolo picking omniprésent aux mélodies en arpèges, en passant par les structures narratives et les tempos ternaires ou en triolets, les codes du black metal se retrouvent au sein de The Fate of Flight 800, sous leur forme la plus répandue. En outre, comme sa présence récurrente le laissait présager, l’influence du passif musical de son illustre parrain avec Marduk — entre autres — se fait bien évidemment ressentir dans les compositions de Macabre. Ce dernier, certes, ne réinvente pas le genre, et ne revendique d’ailleurs aucune prétention allant dans ce sens.

Cependant, bien loin de se contenter d’appliquer une recette classique sans y ajouter de saveur, le meneur de Mortis Mutilati et ses camarades mettent cette dernière au service d’enjeux allant bien au-delà de considérations matérielles. Entre les mains et les cordes vocales des quatre musiciens, ces divers codes et éléments deviennent autant de gouttes rouges et volutes de fumées s’élevant des carcasses carbonisées du Boeing 707 et des victimes de la catastrophe, au travers desquelles transparaissent à chaque seconde les sentiments de perte, deuil et mélancolie chers aux taphophiles, sublimés par les subtilités d’écriture de Macabre. Très à l’aise avec la basse, le fondateur du groupe lui donne une importance que trop peu de figures du milieu black metal se permettent de lui accorder, jusqu’à quasiment la mettre au premier plan dans Vultures of Steel. Parmi les plus aboutis de l’album, ce titre accueille par ailleurs Obsidian, guitariste officiant aux côtés du groupe en live, pour y exprimer ses talents de soliste. En parallèle, la guitare acoustique présente dans l’introduction du titre d’ouverture Road to Nowhere, le piano lancinant dans The Smoke of Your Corpse et les chœurs féminins véhiculés par la voix angélique de la mystérieuse Italienne Asphodel — également illustratrice ayant crée la pochette de l’album et accessoirement épouse de Macabre — sont autant d’éléments apportant une touche d’élégance et de subtilité tempérant la morosité ambiante. Enfin, des enregistrements radio font office de transition entre les morceaux, dont l’aspect brouillé ajoute à l’illusion d’authenticité. Un bel effort d’immersion à saluer…

Dans un second temps, il peut arriver que les mots pour décrire l’ampleur d’une tragédie manquent de justesse ou de subtilité, voire, souvent, manquent tout court. En réponse, Macabre prend le parti de faire avec peu de chose. Pourquoi, après tout, s’encombrer d’un vocabulaire ampoulé dès lors que les seuls titres possèdent une telle puissance évocatrice ? Profitant d’être entouré de collègues talentueux, le frontman se place sur un pied d’égalité avec eux, bénéficiant du même traitement qualitatif et ne cherchant jamais à se mettre en avant à leur détriment. Ainsi, Macabre limite ses interventions vocales au strict nécessaire, laissant aux musiciens le soin de véhiculer le message. Il va jusqu’à s’effacer, d’abord totalement, dans un titre éponyme entièrement instrumental — témoin, encore une fois, du jusqu’au-boutisme de la démarche —, puis partiellement dans Ashes. Du haut de ses plus de neuf minutes et demie, ce dernier morceau réunit le meilleur de The Fate of Flight 800 et de Mortis Mutilati tout en accordant une superbe mise en valeur aux mélodies et lignes de basse — encore une fois — ainsi qu’aux vocalises éthérées d’Asphodel. Pouvait-on rêver meilleur chant du cygne pour accompagner vers l’autre monde les âmes quittant des corps réduits en cendres ? Rien n’est moins sûr.

Au fil des années, Mortis Mutilati n’a cessé d’évoluer et de s’ouvrir à de plus larges horizons, et ce dernier album en date ne fait que confirmer cette progression. Au travers de The Fate of Flight 800, le groupe démontre tout à la fois la solidité de son écriture et sa fidélité sans bornes aux valeurs du funeral black tel que ses membres et son public le définissent, tout en rendant un vibrant et juste hommage aux infortunées victimes ayant vu leurs vies emportées par le crash du vol 800 de novembre 1964, tragédie méconnue mais ayant marqué de son impact la sécurité aérienne, hors du regard du commun des mortels. Ainsi, à défaut de creuser sa tombe, Mortis Mutilati fait son trou dans l’univers du black metal. En attendant une nouvelle production et la future prestation du groupe au Hellfest, The Fate of Flight 800 constitue une bonne piqûre de rappel, à s’administrer autant de fois que nécessaire. Désormais bien entouré, Macabre n’a plus qu’à poursuivre sur sa voie, hors de la terre et vers d’autres cieux…