
Site Internet
Dans le domaine artistique, la multiplicité des influences peut témoigner, selon l’usage qui en est fait, d’une quête d’identité ayant plus ou moins de mal à aboutir dans certains cas, d’une volonté de s’ouvrir en continu au renouveau dans les autres. Au fil de sa carrière, Icestorm est passé par les deux cas de figure. Depuis sa fondation en 2006 et la sortie en 2012 de Contes de la val de glaç, premier effort décousu qui avait pour lui le mérite de présenter un intéressant mélange des genres, le groupe barcelonais n’a eu cesse de faire mûrir sa musique en poussant plus loin l’élargissement de ses horizons, en ouvrant la voie à des influences se diversifiant d’un album à l’autre. Ainsi, au fil des années, sorties d’albums et changements de line-up, le heavy metal « pur » des débuts façon Grand Magus et Blind Guardian old-school a peu à peu laissé place à un death metal mélodique aux accents metalcore et groove agrémenté de quelques aspects folkloriques, ainsi que d’un certain exotisme apporté par l’emploi du catalan, langue maternelle des musiciens. En l’hiver 2023, Icestorm marque d’une pierre blanche la nouvelle étape de son évolution constante avec la sortie de son quatrième album, The Northern Crusades, dont le concept s’articule autour d’une partie de la saga historique des Croisades certes moins connue que celles menées par les Templiers, mais n’ayant pas moins marqué l’histoire de l’Europe : les croisades menées contre les peuples baltes, plus précisément l’épisode de la bataille du lac Peïpous.
L’album s’ouvre sur une piste d’introduction, Crusaders of God [Introduction to the Crusaders], dont la narration assurée par Matt McCauley expose le contexte de l’événement relaté. Après ce prologue suit le premier chapitre à proprement parler, Across the Baltic Sea [Ascent of the Northern Campaigners], dès lequel un premier constat s’impose : l’inspiration que tire Icestorm de cette expédition dans les terres du Nord ne réside pas que dans la thématique ! Tout dans ce premier titre, des riffs lourds et mélodiques soutenus par une rythmique en forme de rouleau compresseur au growl grave et puissant de Marc Storm, évoque en effet et évidemment les géants suédois d’Amon Amarth, influence déjà présente sur les précédents opus, clairement la principale de celui-ci. De ce premier constat découle un second, à savoir, que The Northern Crusades est régi par deux mots d’ordre que sont : efficacité et puissance. En adoptant la stratégie de l’attaque frontale qui se traduit par une méthode de composition centrée sur la simplicité, de même que par un choix de laisser de côté le catalan au profit de l’anglais, langue plus adaptée au contexte nord-européen, Icestorm propose — impose ! — une double entrée en matière claire comme l’eau du lac Peïpous et qui immerge le public la tête la première dans l’eau du lac en question, lui rendant accessible cet épisode méconnu de la plus célèbre des sagas historiques. Pour un peu, l’on s’imaginerait chevaucher aux côtés des croisés…
Une fois la tâche consistant à créer l’immersion chez le public accomplie, ne reste qu’à maintenir cette sensation. Par forte chance, le groupe se révèle accomplir cette autre tâche haut la main, ceci grâce à des atouts de bon calibre qui dévoilent leur force de frappe au fil de l’écoute de The Northern Crusades. Le premier, dans tous les sens du terme, réside dans son rythme effréné : les morceaux s’enchaînent sans temps mort, sans laisser à l’auditeur ni répit ni l’occasion de relâcher son attention. En cela, le tempo ne descendant jamais en dessous du mid contribue en bonne partie à cet aspect. Même la piste instrumentale The Night Before the Battle [Bonfires, Prayers and Songs at the Teutonic Camp], pourtant supposée marquer une pause dans la cavalcade, renforce la tension du fil conducteur en reprenant à la note près la même mélodie que le titre qui précède, The Iron Fist on the Lance Shaft [The Teutonic Knights March to War] ! Cette frénésie guerrière dans le rythme combinée à l’aspect narratif — incarné notamment par les interventions ponctuelles de Matt McCauley — fait de The Northern Crusades un album ne pouvant s’écouter que d’un seul trait du haut de ses trente-quatre petites minutes. La moindre pause risquerait bien en effet de briser ledit rythme ainsi que l’immersion… Cette caractéristique a de quoi diviser, tout un chacun pouvant la considérer comme une qualité ou un défaut selon sa sensibilité personnelle. Je considère pour ma part qu’elle s’inscrit dans la cohérence de l’ensemble. Après tout, au cœur d’une bataille épique, la moindre relâche ne peut-elle pas être fatale ?
Ceci étant dit, après quelques écoutes devient-il possible d’isoler quelques morceaux de l’ensemble, lesquels dévoilent l’autre grande force de The Northern Crusades, qui est également celle d’Icestorm depuis ses débuts ; à savoir, la variété des influences musicales mentionnée dans l’introduction de cette chronique. Le morceau cité dans le paragraphe ci-dessus, The Iron Fist on the Lance Shaft [The Teutonic Knights March to War], se fait bon représentant de cette diversité, dont la rythmique et le refrain entêtants évoquent à la fois Amon Amarth, Ensiferum et Turisas, notamment par la présence de chœurs qui viennent appuyer le second, et prouvent qu’après des années d’évolution dans l’approche de sa musique, Icestorm n’oublie pas pour autant les racines folk de ses débuts. Sur ce même titre, le groupe se permet aussi de nous réserver quelques surprises d’écriture, d’un passage de « pur » death metal à un autre acoustique…
Cet éventail continue de s’élargir et de dévoiler sa richesse dans la seconde partie de l’album, initiée par un The Power to Fight [Peipus Lake April 5th, 1242 – Dawn of the Battle of the Ice] qui crée lui aussi une petite surprise — moindre cependant pour ceux connaissant déjà la discographie d’Icestorm — en se montrant proche de Lamb of God, plus particulièrement dans les nuances que prend la voix de Marc Storm. Clash of Titans [The Battle Begins] ouvre ensuite la voie à des éléments orchestraux qui rajoutent à l’épique, tout comme à un léger penchant vers le black metal viking façon Windir qui n’est pas pour me déplaire… Pas pour me déplaire non plus que le solo de basse d’Àlex Martínez au milieu de The Teutonic Charge [Bishop Hermann of Dorpat Leading the Charge], ni les chœurs en latin renforçant l’ambiance religieuse et sombre, en rapport au personnage du titre ! S’ensuit un dernier tiers d’album qui, en accord avec les événements historiques l’ayant inspiré, fait de nouveau pencher la balance du côté nordique, d’abord par un Fields of Death [Nevsky’s Ambush] qui met de nouveau en avant une approche directe et « purement » melodeath inspirée par Amon Amarth, puis un Novgorod Arise [Defeat of the Teutonic Knights] aux entraînantes mélodies folk et ponctué de quelques éléments symphoniques, qui relate l’issue de la bataille du lac Peïpous ayant tourné à l’avantage de Novgorod. Enfin, The Northern Crusades se conclut par Triumph of the Pagan Warriors [Lament for the Fallen Ones], conclusion qui prend la forme d’un hommage orchestral et épique aux vaillants guerriers tombés au combat d’un côté comme de l’autre des forces en présence. Pour un peu, les plus bourrus d’entre nous en verseraient une petite larme…
Au travers de The Northern Crusades, Icestorm relate une histoire dans l’Histoire, celle d’une tentative de conquête ayant tourné court. Une histoire que le groupe fait sienne au travers de ce que l’on peut résumer en peu de mots par une belle démonstration de force, à la fois de frappe de par des compositions péchues, ciselées et variées dans leur écriture tout en conservant une cohérence d’ensemble, et de volonté. Gageons que la conquête personnelle que mène Icestorm, celle de nouveaux horizons musicaux et humains, ne connaîtra pas les mêmes obstacles et qu’elle trouvera son prochain champ de bataille sur les plus grandes scènes européennes du metal… Du moins, c’est tout le mal qu’on leur souhaite !