Salutations à vous quatre, et merci de répondre aux questions de Metal Alliance Mag autour de votre premier album et de vos concerts ! Pour commencer, à propos de ce soir, quel effet ça vous fait de partager la scène avec les trois autres groupes de l’affiche ?

Petri Ravn : Et bien, on est très contents ! Quand on a vu que c’était Pensées Nocturnes en tête d’affiche, on a fait « wow »… On avait déjà joué avec Griffon deux fois dans le passé, donc c’est la troisième fois qu’on joue avec eux. Et Houle, personnellement, je connaissais pas, donc ça fait découvrir un groupe de plus.

Bastien : Très bel endroit pour jouer, très belle scène, très beau public…

Étrange Garçon : Moi, je regrette juste qu’il nous ait manqué sûrement quelques minutes de set, même si on a débordé… Après, je sais que le concert a été très, très éprouvant. Personnellement, j’ai mis beaucoup de temps à me mettre dedans, mais sur la fin, j’ai l’impression… après, c’est peut-être le public parisien qui est comme ça, je ne sais pas, je le connais assez mal, mais j’ai l’impression que les gens ont été réceptifs.

Petri Ravn : Il y avait du monde aussi.

Étrange Garçon : Oui, je pensais pas qu’il y aurait autant de monde. C’est vrai que c’est le concert de Bovary où il y en a eu le plus […] Je pense qu’on était stressés et qu’on angoissait, en réalité.

C’était quand même un bon moment. Pour parler un peu du groupe, je ne vais pas vous demander d’en refaire l’historique, mais je sais que depuis sa formation, il a connu beaucoup de changements… Comment décririez-vous votre évolution et l’impact qu’elle a eu sur votre façon de penser votre musique et vos prestations ?

Étrange Garçon : À la base, Bovary, c’est un groupe qui s’est formé autour de Petri et moi ; c’est-à-dire que quand j’ai quitté Grenoble et que je suis revenu dans les Hautes-Alpes, j’ai rencontré Petri et Bastien. Petri, c’était dans une salle de répète pour un groupe de punk rock qui s’appelait Sensorhead…

Petri Ravn : Death in Kitty. J’étais pas dans Sensorhead…

Étrange Garçon : Bref, un groupe de punk rock de lycée. J’ai vu Petri avec son T-shirt de Mayhem, moi j’avais le T-shirt d’un autre groupe de black metal, donc j’ai fait « Toi black metal, moi black metal, nous black metal ! ». J’ai vu ce mec dans le fond qui tapait un peu, tu sais, faire du « pouca-pouca-pouca »… et Bovary est né, en gros. Dans un premier temps, on a pensé le groupe de manière fictive parce que je n’avais pas envie d’associer mon image à Bovary et Queen Thrash, la vraie, n’avait pas non plus cette volonté. Du coup, on s’est retrouvés à photographier des faux membres pour un groupe qu’on vivait comme étant fictif. À partir du moment où le groupe a explosé, parce que la première démo a eu un succès qu’on n’attendait pas, on a été obligé, finalement, de le crédibiliser. Derrière, on a recruté Lilas [Dupont], ça a donné la deuxième démo… Après, ça n’a pas matché avec Lilas, qui a par la suite rejoint Silhouette — à qui on souhaite plein de bonnes choses, ce sont des amis, y a pas de problème ! Ensuite, on s’est retrouvés à quatre : on a recruté Manon/Loïs en dernier […] On est partis du principe qu’on est un groupe d’Embrun, qu’on est des Embrunais qui font du black metal. À la base, on était un groupe quasi pédagogique, après c’est devenu plus crédible et on a dû se poser des questions sur notre direction artistique… ça a donné le Bovary que vous connaissez avec Par amour du vide.

Bastien : Il y a eu effectivement beaucoup de changements de line-up au cours des années, mais ce qui nous a permis de rester Bovary, c’est le chant féminin, qui est présent depuis la première démo jusqu’à l’album, qu’on a sorti il y a quelques semaines, et qui est en fait l’âme de Bovary.

Étrange Garçon : Pour compléter ce que dit Bastien, je dis que Bovary, c’est une entité, ça ne dépend pas de ses membres. J’espère que ça pourrait exister sans nous…

À propos de vos productions, vos deux premières sont sorties à des dates très proches, ce qui les a peut-être un peu desservies ; à l’inverse, l’album a mis beaucoup de temps à sortir. Comment expliquez-vous cette attente de quatre ans ?

Étrange Garçon : Le départ de Lilas, qui nous a obligés à revoir toute notre direction artistique… la formation de Loïs en tant que bassiste, celle de Petri en tant que chanteuse qui commençait le chant et qui s’est vraiment perfectionnée, plus le covid… et aussi le fait qu’on voulait une nouvelle direction. On a fait des pré-prods et on a laissé mûrir ces compos pour qu’elles prennent de l’âge comme du vin et qu’on ait un résultat final incroyable. On savait qu’on allait mettre du temps à le sortir, alors quitte à mettre du temps, on a laissé mûrir les choses.

Du coup, combien de temps avez-vous mis à écrire les morceaux et à les enregistrer ?

Petri Ravn : Pour créer les morceaux, ça dépend lesquels : il y a Celui ou celle qu’on avait déjà depuis 2019, et les autres morceaux sont venus petit à petit au fil des années 2020 et 2021, où on a enregistré les pré-prods. On faisait des sessions répète avec Bastien et Étrange Garçon : on filait les morceaux, on partageait nos idées, puis chacun travaillait un peu dans son coin… On avait le temps d’enregistrer les pré-prods aussi, à cause du covid qui a fait qu’on n’a pas pu se voir pendant un moment. Ensuite, dès que les pré-prods étaient terminées, on est rentrés en studio, et là, à cause des emplois du temps de chacun, on n’a pas pu y aller tous les jours, en fait ; on a fait un week-end par-ci, un week-end par-là, et l’enregistrement studio a duré six mois.

En parlant des morceaux, quelles sont les sources d’inspiration au niveau de la musique et des textes ?

Étrange Garçon : Pour les textes, c’est principalement mon œuvre même si Petri a les siens ; en tout cas, chaque texte est personnel. Le texte de Petri, c’est Sans moi, qui est, je pense, un texte personnel ; moi, tout ce que j’écris dans Bovary est lié à ma vie privée et à ma vie sentimentale. En général, quand je subis ce que j’appelle une tempête émotionnelle, je gratte. Au début c’est trois mots, puis ça devient un texte, ça évolue très vite… après, le texte trouve sa compo. Souvent, c’est Petri qui compose la musique. Mais je pense que chaque morceau de Bovary correspond à une rupture amoureuse, à un moment de vide… mais un truc réel. C’est pour ça qu’en fait, tout est premier degré dans Bovary.

Bastien : Ce qui s’est passé aussi, c’est qu’il y avait l’écriture des textes d’un côté, l’écriture musicale de l’autre, ce qui fait que même si dans un premier temps on associait un texte à une mélodie ou à une composition, au fur et à mesure de ce processus, on se disait que ce texte allait mieux sur une autre composition. C’est aussi comme ça que sont nés les morceaux : c’est le texte qui vient chercher sa compo.

Justement, j’ai une question spécifiquement pour Petri : sur chaque production de Bovary, il y a un morceau que tu as écrit et composé seule, et je trouve que ces morceaux ont une personnalité particulière ; ils sont très planants et lancinants, pas forcément calibrés pour être joués en live, et ils sonnent très post-rock et blues… D’où te vient cette inspiration ?

Petri Ravn : En fait, je me suis mise au black metal assez tard, j’avais dix-sept ou dix-huit ans quand j’ai commencé à en écouter et à en jouer… donc toute mon adolescence, j’ai écouté de la musique qui n’était pas du tout du black metal. J’écoutais un peu de tout, en fait : de la pop, du rock, du hard rock, d’autres styles de metal, du jazz…

Étrange Garçon : T’aimes beaucoup Guns N’Roses !

Petri Ravn : Donc en fait, ça vient de toutes mes influences. Si j’ai envie de mettre un accord un peu jazzy dans une compo de black metal, je le mets… Voilà, c’est un mix de ce que je connais, de ce que j’écoute et de ce que j’aime.

D’ailleurs, je ne sais pas si c’est de là que ça vient, mais je les trouve un peu plus compliqués à apprivoiser… peut-être parce qu’ils sont plus complexes que les compositions d’Étrange Garçon, qui sont plus directes ?

Petri Ravn : C’est que moi, je me creuse beaucoup la tête pour faire ce que je trouve un bon morceau, qui est fourni, et tout ça… Il me faut du temps pour composer, parce que je cherche vraiment les petits détails, les trucs dont je vais me dire « ah oui, ça c’est bien » … et des fois, j’ai du mal avec l’inspiration : elle vient pas quand je le veux, donc les compos mettent du temps à arriver.

Pour rester sur les influences musicales, pourriez-vous me décrire chacun les vôtres ?

Étrange Garçon : Moi, mes influences musicales, ça va être Amesœurs, Psychonaut 4 — parce que ça fait partie des groupes sur lesquels on s’est mis d’accord avec Salomé/Petri — ; après, j’ai beaucoup bouffé de black metal français […] mais j’aime aussi beaucoup la nouvelle scène qui a été influencée par Alcest ; je pense à Deafheaven…

Petri Ravn : Moi, on va dire que j’ai quelques groupes qui m’influencent. Comme Étrange Garçon en a parlé, il y a Psychonaut 4, surtout pour la voix, la façon de chanter et l’énergie […] Sinon, niveau influences musicales, y a des groupes que j’aime beaucoup, mais qui ne m’influencent pas forcément… c’est même pas forcément des groupes, en fait […] donc s’il y a quelque chose qui m’influence, je m’en rends pas toujours compte.

Bastien : Ce qu’il y a de bien aussi dans Bovary, c’est qu’on a les deux têtes pensantes qui ont vraiment beaucoup d’influences black, et moi, quand on m’a fait entrer dans le groupe (à partir de la deuxième démo, ndlr), je connaissais pas du tout ce style et j’avais beaucoup en référence des groupes de heavy ou de thrash. Du coup, en black, je citerais les classiques que je connais : Emperor, Mayhem, etc. Après, des groupes un peu plus thrash comme Testament, notamment, qui m’influence beaucoup. Du coup, ces influences diverses, ça permet d’agrémenter les compositions avec des styles de jeu différents. En terme de black, grâce à Bovary, je commence à connaître un peu plus de background. Je prends des idées à gauche et à droite […] mais c’est quand même aussi, dans le processus de composition, Étrange Garçon et Petri qui donnent une direction artistique aux parties de batterie.

Étrange Garçon : Ce que j’apprécie beaucoup dans le jeu de Bastien, c’est justement le fait que ce ne soit pas un blackeux. C’est le fait que ce soit à la base un batteur rock qui donne tout un groove et tout une ambiance à Bovary qui, je pense, est assez propre. Je sais qu’en interne, quelquefois, des soucis sur le fait que Bastien n’était pas un blackeux, mais pour moi, ce n’est pas un souci, c’est justement une force. Je suis content d’avoir un batteur qui ne va pas foutre du blast beat à tire-larigot et qui apporte quelque chose de plus simple, plus thrash.

Loïs : Du coup, j’ai pas vraiment d’influences metal, parce que je suis arrivée dans le milieu encore plus tard que Petri. Mes principales influences, ça n’a rien à voir, c’est du classique […] Les principaux compositeurs, déjà : Beethoven, Liszt, Chopin… beaucoup. Après, je joue aussi d’un autre instrument, du trombone, et ça apporte aussi pas mal. Un groupe de black metal qui m’a gratté l’oreille, c’est Grand Bouc Noir.

Étrange Garçon : On salue Glen [Syllath] au passage !

Pour en revenir aux morceaux, parmi ceux de l’album, lequel représente selon vous le mieux l’identité de Bovary ?

Bastien : Moi j’en citerai deux : d’abord Bénies soient les putains, parce qu’il représente un morceau qui part sur un tempo un peu plus rapide et une force en terme de blast beat et de guitares saturées. Après, je citerai Bonheur léthargique, parce qu’il a ce passage où Étrange Garçon fait un monologue en live dans la foule […] qui apporte une force différente. Pour moi, ces deux morceaux, d’un côté, amènent de la force, de la puissance et de l’envie de bouger, et de l’autre, une claque vocale, et ce tempo lent sur le reste du morceau amène aussi une dépression qu’on recherche dans le DSBM et qui fout une claque, tout simplement.

Étrange Garçon : Moi, je dirai Dialogue amputé. Je pense que j’ai créé Bovary pratiquement que pour ce morceau-là, qui est personnel […] que je suis très frustré de ne pas avoir pu jouer en entier ce soir (le morceau est amputé de sa fin en live, ndlr). C’est juste du spleen… surtout que ça parle de Paris, en plus ! Disons que ce que ça raconte s’est passé à Paris. Pour moi, c’est ce qui définit Bovary : si tu as un truc à dire, il faut que tu le dises, c’est urgent.

Et lequel préférez-vous jouer sur scène, chacun ?

Bastien : C’est la question à un million d’euros, ça ! (rires)

Loïs : Je dirais… le dernier morceau du set […] J’aime beaucoup Bonheur léthargique, j’apprécie vraiment beaucoup le jouer, et globalement, c’est le dernier morceau du set. J’adore le jouer parce qu’il y a une énergie plus forte que sur le reste qui se dégage.

Étrange Garçon : Je vais prendre la suite, parce que je suis un peu obligé de répondre la même chose. Forcément, le morceau que je préfère jouer, c’est Bonheur léthargique, parce qu’il y a toute cette phase où je descends dans le public, et il faut savoir qu’à ce moment-là, je suis dans une transe, je vis un truc de fou, je vois pas les gens… C’est très éprouvant pour moi, j’ai souvent des douleurs dans le dos quand j’ai fini […] C’est vraiment le climax du set, c’est mon petit quart d’heure de gloire, où je descends dans le public et je suis heureux… Je suis en dehors de mon corps, et c’est pour ça que je fais de la musique.

Petri Ravn : Moi, j’aurais dit pareil… Là, ce soir, celui où j’ai senti que j’étais le plus en transe, c’était Bonheur léthargique, quand Étrange Garçon était dans le public et qu’on chantait tous les deux. C’est le moment que j’ai préféré.

Bastien : J’en ai deux… En tant que batteur « pur », je dirais Bénies soient les putains, parce que déjà, quand on l’a composée, dès que le refrain est arrivé et qu’on a posé tous les instruments dessus, j’ai de suite eu des frissons, j’ai pris une claque… pour moi, ce refrain, c’est le meilleur de Bovary. Après, si on prend l’aspect live en général, c’est aussi Bonheur léthargique, parce que c’est une claque ! Je peux pas le dire autrement ? Un tempo assez lent, avec une mélodie et le monologue… Je sais pas comment le décrire, mais même moi, quand je m’écoute l’album et ce morceau en particulier, j’ai toujours un moment où j’arrête ce que je suis en train de faire et j’écoute.

Bastien et Loïs, vous êtes les deux derniers à être arrivés dans le groupe. Comment l’intégration s’est-elle passée pour vous ?

(rires)

Loïs : Pour moi, très bien. Je connaissais Étrange Garçon depuis un an ou deux…

Étrange Garçon : Depuis 2018, en fait.

Loïs : À l’époque où je suis entrée dans le groupe, ça devait faire trois ans… On s’est rencontrés en soirée, et un jour, il est arrivé et il a fait « Dis, tu voudrais pas être chanteuse ? » ; j’ai essayé, mais j’ai pas voulu…

Étrange Garçon : C’était avant l’arrivée de Lilas.

Loïs : Un an après, il est arrivé et il m’a dit « Ouais, tu veux pas jouer de la basse ? », du coup j’ai accepté…

Étrange Garçon : On voulait Manon dans ce groupe. C’est notre frangine, on l’aime trop !

Bastien : Pour moi, l’intégration s’est faite un peu plus directement, parce que je connaissais Petri des groupes précédents. C’est elle qui m’a fait découvrir le metal de manière générale… pas forcément le black. C’est au détour d’une conversation qu’Étrange Garçon est venu me voir en me disant « Tu sais jouer de la batterie un peu metal ? », parce que j’avais déjà l’expérience de Death in Kitty, un groupe un peu punk. Il m’a dit « T’es de chez nous ; rejoins Bovary ! », j’ai dit « Bah pourquoi pas, ça pourrait être une expérience assez sympathique… » Je me suis très vite identifié au groupe, j’ai très vite appris les compositions existantes et les gimmicks de composition d’un style comme le black ou le DSBM. Du coup, je pense que c’est pour ça que maintenant, on est à la fois un groupe très performant et une bande de potes, tout simplement, qui aimons jouer tous ensemble… quitte à faire des heures de route jusqu’à Paris !

Quels sont vos projets à l’heure actuelle ?

Étrange Garçon : Euh… ne pas mourir avant le second album ?

Loïs : Faire le plus de concerts possible, et kiffer faire de la musique.

Petri Ravn : Et dès qu’on aura digéré la sortie de Par amour du vide, on commencera à travailler sur le prochain.

Étrange Garçon : On rêve d’un split avec Happy Days, voilà, on lâche l’info ! […] On aime beaucoup Happy Days, on a découvert la personne qui est derrière, Scott, qui est un mec génial, un mec comme il n’y en a pas d’autre dans la scène… Je nous sens très proches, un des mecs les plus humbles qu’il y a dans la scène, et moi, je trouve que ce qu’il fait dans Happy Days, quelque part, a une vraie paternité avec ce qu’on fait dans Bovary. C’est un honneur d’avoir maintenant un membre en commun avec ce groupe-là (Petri Ravn, ndlr), et j’aimerais qu’à terme, l’un suive les traces de l’autre.

Merci à vous ! Vous avez quelques derniers mots ?

Bastien : Merci à toi !

Étrange Garçon : C’était une interview remarquable, merci Ségolène ! Très pertinent, on voit que tu as un vrai intérêt pour le groupe.

Petri Ravn : Merci beaucoup !

Étrange Garçon : Écoutez, Bovary, c’est une belle équipe qui s’est formée autour d’une musique qui n’était pas forcément évidente, avec des gens qui n’avaient pas forcément vocation à faire ça, et c’est très satisfaisant. Moi, si j’ai un truc à dire pour la fin, c’est que Bovary, je pense, a permis à pas mal de gens — moi y compris, mais aussi les trois autres membres — de devenir eux-mêmes… De mon point de vue, y a rien de plus satisfaisant que de devenir soi-même avec la musique.

Petri Ravn : C’est un beau mot de la fin.