Störtregn, Skaphos, Duthaig
Espace Undertown (Meyrin, Suisse)
Date 18 novembre 2022
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://www.undertown.ch

Pour la quatrième date de son Abyssal Storm Tour 2022, Störtregn jouait à domicile. En ce 18 novembre 2022, le groupe genevois de black/death metal mélodique foule les planches de l’Espace Undertown, soigneusement dissimulé dans les sous-sols de Meyrin, accompagnés comme depuis le début de la tournée des Français de Skaphos et pour l’occasion des Lausannois de Duthaig. Une telle affiche promet une soirée riche en noirceur et en densité sonore… Pour ma part, connaissant déjà bien le talent musical et la présence scénique de la tête d’affiche et de ses comparses qui sont également mes compatriotes, et toujours curieuse de découvrir de la nouveauté, je ne peux qu’être ravie de me voir conviée à couvrir cette date et, par la même, de retrouver ce beau monde sur scène.

À l’Espace Undertown, les concerts en soirée commencent tard ; ainsi, et après ne pas avoir souhaité attendre plus longtemps l’arrivée de nouveaux spectateurs, Duthaig fait son entrée sur scène aux environs de 21 h 30. Sous la froideur de la lumière bleue et dans la suavité du parfum de l’encens brûlant à leurs pieds, les membres du groupe sont parés pour immerger le public, ainsi qu’eux-mêmes, dans l’ambiance brumeuse et douce des terres celtiques dont ils font le fil conducteur de leur musique. Ceci, pour le grand plaisir des spectateurs qui se voient offrir l’occasion de découvrir — du moins pour ceux ne connaissant pas Duthaig au préalable, moi-même y compris — un quintet qui tire son épingle du jeu en délivrant un black metal atmosphérique qui tire sa richesse de l’éclectisme remarquable des influences que ses interprètes y incorporent. En premier lieu, Primordial et Alcest, pour ne citer que les premières à venir à l’esprit, qui se retrouvent dans le jeu à la fois rêche et mélodieux des cordistes ou, de manière encore plus évidente, dans la dualité du chant du frontman David « AsCl3 » Genillard. Ce dernier, déjà à la tête de nombreux projets, n’en oublie pas moins d’investir chacun d’entre eux et le prouve au travers d’une prestation vocale chargée en émotions et en intensité, aussi bien dans son chant black éraillé que dans ses incursions en chant clair par ailleurs très maîtrisées. Un rien de Heilung, également, dans l’esthétique d’ensemble — je pense entre autres au pied de micro en forme de branche —, ainsi que de post-rock et trip hop dans les bandes sonores de fond, qui diffusent des échos planants… Qui plus est, en dépit de l’apparente froideur de l’ensemble, une douce chaleur se dégage du set ; attribuable en grande partie, non seulement à l’implication émotionnelle de David, mais aussi à la jovialité du guitariste lead Grant Hailey, qui n’a de cesse de sourire. Seul regrets, tout relatifs, que la durée plutôt courte du set, liée au fait que le groupe n’en est encore qu’au début de sa carrière, ainsi que la présence d’une batterie programmée qui se confond parfois avec la vraie et qui ne sert finalement qu’à combler quelques vides… Duthaig offre en tout cas une prestation intéressante, qui offre elle-même un bel avant-goût du premier album, Hiraeth, qui sortira cinq jours plus tard.

Duthaig

Très efficace pour effectuer ses balances, Skaphos ne fait pas attendre bien longtemps le public de l’Undertown pour faire résonner aux oreilles de ce dernier sa désormais classique alarme de sous-marin — ou plutôt de Bathyscaphe. Après les échos des plaines gaéliques, ce sont ainsi ceux d’une caverne sous-marine qui viennent envahir — ou plutôt inonder — le sous-sol de Genève ; échos qui, entre les murs de l’Espace Undertown, résonnent particulièrement bien… que ne peut-on rêver de mieux pour du black/death façon enfant monstrueux d’Arkhon Infaustus et Lovecraft ! Ayant déjà deux albums à son actif en seulement quatre ans d’existence, et depuis la sortie du second, Thooï, il y a quelques mois, le groupe n’en a pas fini d’en faire la promotion et profite de cette nouvelle occasion pour délivrer une setlist basée sur une alternance entre les morceaux les plus forts des deux opus. Pour ma part, en tant que fidèle supportrice de Skaphos depuis la sortie de Bathyscaphe, et après avoir fait part de mon appréciation de Thooï dans une chronique, c’est en bonne habituée, mais sans lassitude, que je redécouvre lesdits morceaux interprétés sur scène. De même, s’il est une autre chose que Skaphos n’en finit pas non plus de pousser encore plus loin, il s’agit bien de son sens de l’esthétique lovecraftienne, aussi bien dans son identité sonore que visuelle, comme j’ai le plaisir de l’observer tout au long de la prestation. Fidèle aux valeurs profondes, au sens propre comme au figuré, qui sont les leurs depuis leurs débuts, qui se traduisent sur leur deuxième album par une ambiance « noyée » — selon leurs propres termes —, les quatre musiciens reproduisent cette ambiance sur scène, d’une part, par un son dont la densité se répand du tympan à l’oreille interne, d’autre part, en apparaissant tels des silhouettes au cœur de l’ombre et de la fumée. Cette combinaison ne rend pas l’exercice de la photographie scénique des plus faciles, cependant il n’en demeure pas moins des plus stimulants… Toujours en accord avec cette ambiance, la communication avec le public passe davantage par l’agitation des cheveux que par les mots ; ceci jusqu’à la fin du set, où les quatre silhouettes des musiciens disparaissent dans les ombres sur fond d’outro acoustique. Vu comme ça, Skaphos n’a pas l’air bien accessible, cependant, moi ainsi que quelques autres pouvons affirmer que les quatre monstres tentaculaires redeviennent de gentils petits poulpes une fois de retour au stand de merch !

Skaphos

Une nouvelle fois, la pause entre deux groupes se fait brève ; j’ai ainsi à peine le temps de commander un verre et de parcourir mes photos que Störtregn, tête d’affiche du soir, débarque en force sur la scène de l’Undertown ! En étant pour ma part à ma troisième rencontre avec le quintet genevois, et après une deuxième datant de pas plus tard qu’octobre dernier, je pense ne plus avoir grand-chose à découvrir du groupe. La prestation ne me donne pas tort, et c’est sans surprise que je reconnais la setlist jouée au New Blood Fest quelques semaines plus tôt — à une poignée de titres près —, setlist centrée dans sa plus grande partie sur le dernier effort en date du quintet, Impermanence, sorti l’année dernière. Sans surprise, mais non sans plaisir, et j’apprécie ainsi beaucoup de pouvoir observer une nouvelle fois le savoir-faire dont fait montre chacun des membres de Störtregn dans son domaine. À commencer par Johan Smith et Duran K. Bathija, dont les guitares se complètent et se répondent avec une fluidité impeccable en plus d’un véritable sens de la mélodie, et bien sûr le frontman Romain Negro, qui possède plus de cordes vocales à son arc que de poils sur le caillou. J’attribue pour ma part une mention honorable à Manuel Barrios et ses démonstrations de tapping sur manche de basse, ainsi qu’à la capacité de Samuel Jakubec à placer des breaks jazzy sur du black/death. Rien ne fait toutefois plus plaisir à voir, dans un show de Störtregn, que l’entrain que mettent ses cinq membres dans leur prestation. Au contraire des deux groupes les ayant précédés, dont le set-up lumières et les éléments matériels de décor font partie intégrante de leur atmosphère et contribuent à en renforcer l’aspect cinématographique, les cinq Genevois misent sur une mise en scène simple et un jeu très dynamique et expressif, ce qui ne pouvait mieux leur convenir pour exprimer la complicité qui les anime. Il n’y a qu’à voir les accolades qu’échange Romain avec ses camarades ou les joyeuses grimaces sur les visages des uns et des autres pour s’en rendre compte !

Störtregn

Quel bilan, alors, tirer de cette première soirée à l’Espace Undertown ? Si la durée assez courte des trois sets ainsi que la fatigue sur la fin ne m’ont pas permis de prendre beaucoup de photos, j’en tire personnellement quelques jolis clichés, deux belles découvertes en la personne de Duthaig ainsi que celle de la salle, et bien sûr la satisfaction de retrouver Skaphos et Störtregn et de leur exprimer du soutien à mon échelle. À la prochaine !