Je suis avec Aeternam, groupe de metal québécois. Comment est-ce que ça va, les gars ?

[Achraf] Ça va très bien et toi ?

Good ! Yes ! Nous sommes présentement dans la ville de Québec, votre lieu d’origine. Est-ce que vous voyez une différence entre faire des shows ici, chez vous, et en faire à l’international ?

[Antoine] C’est sûr que oui ! Quand on joue à la maison, nous avons nos amis et de la famille, qui ne sont pas nécessairement des amateurs de metal, présents aux shows. Ça fait de plus en plus de monde dans la salle. C’est toujours le fun de jouer ici à Québec.

[Achraf] On est plus hétérogène, un peu comme Antoine dit. Il y a plus de monde qui va venir plutôt pour nous encourager que par affinité avec la musique. Lorsqu’on va jouer ailleurs, il y a une plus grande présence de fans et de métalleux en général. Il y a également plus de gens qui découvrent le band pour la première fois.

Je vous ai vu récemment à Cradle of Filth, aujourd’hui vous faites la tournée pour promouvoir votre nouvel album, avez-vous des plans pour des prochaines tournées ?

[Achraf] On a peut-être quelque chose qui se trame aux États-Unis dans le coin du mois de mai, mais ce n’est pas encore sûr. Pour le moment, je dirais qu’au niveau shows, on n’a rien de vraiment coulé dans le béton. On est présentement en tournée avec Vortex au Québec et en Ontario, ensuite on verra. Nous sommes évidemment ouverts à des propositions s’il y en a. On espère pouvoir jouer en Europe en 2023, c’est notre objectif le plus clair.

Votre nouvel album, Heir of the Rising Sun, est sorti le 2 septembre dernier. Vous avez adopté pour une approche plutôt narrative en racontant la chute de Constantinople à travers votre musique et surtout à travers vos paroles. Je suis curieux : au niveau de la composition, vous êtes-vous principalement inspirés du thème pour composer vos morceaux, ou avez-vous plutôt utilisé des compositions écrites auparavant et les avez adaptées au thème ?

[Antoine] Les deux à la fois. Le thème influence la musique et la musique influence les thèmes. Tu sais, c’est comme une espèce de roue, puis une espèce de flou. Au début, quand on compose un album, on écrit juste de la musique. On écrit en ayant en tête des thèmes qui ne seront pas nécessairement le thème final de l’album. Ces compositions deviendront éventuellement des chansons ou des bouts de chansons. À force de lire, regarder des séries, se renseigner, on finit par s’entendre sur un thème. Puis des fois, il y a des moments où on réalise que certains morceaux de chansons ne fonctionnent pas avec ce thème. On met donc ces pièces de côté pour un prochain album, qui, peut-être, ne se concrétisera jamais. Par contre, on réussit souvent à adapter, si on veut, la composition, puis à l’adapter au thème. À partir de ce moment-là, le reste des chansons va vraiment être composé en fonction du thème. C’est vraiment du 50/50, je dirais.

C’est sûr que vous avez plusieurs années d’expérience comme band. Vous devez donc avoir une méthode de composition assez efficace. Est-ce que c’est quand même assez centralisé, ou plutôt un travail d’équipe où vous composez en groupe ?

[Achraf] Je crois que notre méthode de compo a toujours été la même. En 2021, Mathieu Roy-Lortie est venu se greffer au band alors qu’on était déjà en train de composer. Ce qui arrive en général, c’est que moi, je vais écrire peut-être deux ou trois compositions, possiblement pas dans le thème final, mais ça tourne toujours autour de ce qu’on fait d’habitude. On joue toujours dans des gammes plutôt moyen-orientales. Ensuite, ce qui arrive, c’est qu’une fois que, comme Antoine le disait, le thème est plus consolidé, Antoine arrive, prend ses marques sur ce que j’ai fait et va apporter des adaptations. Après, il fait ses sessions à lui et moi je donne mon avis. Je l’aide également pour les arrangements. Tu sais, en ce qui concerne les vocaux, c’est souvent lui et moi qui vont les composer. Antoine est d’ailleurs très bon pour composer les vocaux. Moi j’arrive souvent avec ma touche finale. J’avais souvent tendance à composer les solos, mais maintenant que Mathieu a rejoint Aeternam, il a également contribué à composer certains solos puisque c’est un très bon guitariste. Dans le futur, ça va peut-être venir avec une approche différente de ce qu’on faisait avant. Donc c’est vraiment, je dirais, Antoine et moi les gardiens du son d’Aeternam, on implique par contre Mathieu de plus en plus. J’espère qu’il va pouvoir contribuer un peu plus dans le futur parce qu’il est venu se greffer très facilement à notre méthode de compo. Il comprend également très bien où nous voulons en venir. Il a aussi l’ouverture d’esprit nécessaire pour adapter son jeu aux nôtres, ça donne des trucs intéressants.

C’est intéressant, cette synergie ! Le fait que vous soyez deux compositeurs avec Mathieu qui compose plutôt les solos.

[Achraf] Oui c’est ça, ça finit par être un travail d’équipe. Mais tu sais, il faut diviser pour régner, comme on dit. On a déjà essayé d’autres approches. On est déjà partis dans un chalet pour tenter d’écrire de la musique et tu sais, on était quatre ! On s’était amusés plus qu’autre chose, on a passé un bon moment. Par contre, rien de concret n’en est ressort au niveau musical. On se fie plutôt à une étincelle qui provient de quelqu’un et ensuite ça tend à inspirer tout le monde. « Ah, je vais rajouter ça, ça, ça. On ajoute des trompettes, là ». C’est comme ça que ça marche, en tout cas pour nous.

Les compositions qui sont écrites par Achraf de celles écrites par Antoine sont-elles distinguables ?

[Achraf] Moi, je pense que oui.

[Antoine] Oui, c’est vrai, mais je ne sais pas si ça se perçoit d’un point de vue externe, parce qu’ultimement, les flux se mélangent à un moment donné. Mais nous, on le sait.

[Achraf] Le moyen de le savoir, c’est quand il y a plus de guitares qui bougent, c’est plus moi puisque je suis guitariste. Antoine joue de la guitare, mais il est plutôt batteur et donc compose plus des trucs rythmiques. Donc nos pièces plus progressives, plus rythmées, ça va être plutôt Antoine. C’est souvent aussi une question de mélodie. Je vais avoir plus tendance à aller vers le très oriental. Lui (Antoine), il va peut-être tirer un peu vers autre chose. C’est ça qui est cool en fait. Antoine est très capable aussi de chercher le contexte oriental sans pour autant qu’il le soit trop.

À chaque fois qu’on mentionne Aeternam, on mentionne Behemoth, Nile, Melechesh, il y en a qui vont jusqu’à vous comparer à SepticFlesh puis WinterSun, au niveau plus orchestral. Ces influences sont-elles plus inconscientes ou conscientes quand vous êtes dans le processus de composition ?

[Antoine] Moi, je trouve que l’association à Nile et Melechesh, c’est un shortcut assez facile. En ce qui nous concerne, on n’a rien à voir avec ces deux bands-là, à mon humble avis. Behemoth, à nos débuts, je comprends. Maintenant on n’a plus rien à voir avec ça. En ce moment, je te dirais que SepticFlesh et WinterSun, on est pas mal là en termes d’influences.

Je comprends que vos influences sont plutôt proches du metal mélodique que du tech death.

[Achraf] Exactement. C’est comme ce shortcut qui est facile à cause de la thématique moyen-orientale, alors que musicalement, ça n’a rien à voir : vu qu’on joue dans les gammes plus orientales, tout le monde va nous comparer à Orphaned Land.

[Antoine] Sur papier, je suis beaucoup plus inspiré par Porcupine Tree que par Orphaned Land.

[Achraf] De mon côté, il y a également des groupes comme Gojira et Dimmu Borgir. J’écoute également du Soen et du SepticFlesh.

[Antoine] Ha oui, c’est drôle, on ne se fait pas aussi souvent comparer à Dimmu Borgir.

[Achraf] Tu sais, sincèrement, la vérité, c’est que quand on écrit de la musique, c’est rare qu’on se dise vraiment : « OK, on s’inspire de cette compo précise ». À force de faire de la musique, on s’inspire de notre musique avant tout. On tente de retrouver l’atmosphère et le sentiment associés à nos meilleures compositions pour écrire nos prochaines chansons. On n’essaie pas de reproduire la même chanson, mais plutôt l’énergie. Ça nous a pris plusieurs chansons pour parvenir à certaines compositions. Souvent, on s’inspire de nous-mêmes, puis on s’inspire surtout de musique de films. On « écoute » une série, un film, puis il y a un passage qui finit par vraiment nous inspirer ! Par exemple, au début de la chanson Damascus Gate, il y a des chants grégoriens. Cela vient à la base de Death Note : la série contient quelques passages où des chants grégoriens sont utilisés dans un contexte plutôt dark. J’en ai parlé avec Antoine aussi.

[Antoine] Moi, ça vient plutôt de Kingdom of Heaven, le soundtrack d’un film de Ridley Scott. Pour Heir of the Rising Sun, un autre exemple, on a écouté, Achraf et moi, une série qui s’appelle Atier.

[Achraf] Une série super quétaine qu’on écoutait avec nos blondes. Il y a un instrument prédominant dans cette série-là, qui est le baglama. On ne connaissait pas cet instrument-là ! On a réussi à trouver un musicien sur Fiver qui jouait de cet instrument puis on lui a demandé d’en jouer pour notre album. Alors si vous vous demandez d’où provient ce son, ça provient du gars sur Fiver. On connaît cet instrument-là à cause d’un soundtrack. Cette espèce de lien-là est souvent externe à la musique metal.

Je trouve ça intéressant aussi que vous vous inspiriez de vos propres compositions. Ça explique aussi la cohérence dans votre discographie. Il n’y a pas un album qui est fondamentalement différent des autres, du moins d’un point de vue extérieur.

[Achraf] C’est intéressant, ce que tu dis, parce que c’est souvent une inquiétude qu’on a lorsqu’on écrit un nouvel album. On pense toujours à ce qu’on a fait avant et on se questionne. Par exemple, si on a fait une ou deux compositions acoustiques sur notre dernier album, on va se questionner quant à savoir si on en fait pour ce nouvel album ou non. Est-ce qu’on casse le pattern ? Il faut toujours qu’on prenne en considération ce qu’on a fait avant. Là, par exemple, sur Heir of the Rising Sun, on a mis beaucoup d’orchestrations. Il se peut que le prochain n’ait simplement pas d’orchestrations. Fondamentalement, on fait ce qu’on veut, on ne vit pas de la musique, mais on le fait pour nous et pour ceux que ça intéresse, évidemment. Mais tu sais, on n’a pas forcément de ligne directrice qui va vraiment nous obliger à faire quoi que ce soit.

En parlant de plus vieux albums, Al Qassam a été vraiment bien reçu en 2020. Entre autres, Angry Metal Guy, qui a une bonne notoriété, avait placé votre album comme le numéro trois sur sa liste d’albums de l’année 2020. Est-ce que vous avez vu un gain de popularité ou de reconnaissance suite à la sortie d’Al Quassam ?

[Achraf] Sincèrement, plus on fait des albums, plus on a des followers et plus on a des gens qui apprécient notre musique. Je ne dirais pas que l’album Al Quassam a particulièrement attiré plus de gens que d’habitude. Dès qu’on sort un album, on a soudainement des gens qui vont venir découvrir le band pour plusieurs raisons. Puis, ensuite, on essaie de faire des shows, puis ça s’estompe. Ensuite, on refait un album et ensuite la machine redémarre. Ainsi de suite. Il n’y a pas eu particulièrement quelque chose de majeur en termes de popularité, je te dirai. Par exemple, sur Spotify, on avait 8000 auditeurs par mois. Après ça, c’est devenu 10 000. C’est devenu 12 000. À chaque album, on dirait qu’on gagne 2000 auditeurs. Tu sais, en tant que band indépendant, c’est déjà difficile. Nous, on ne sort pas dans les canaux des labels qui permettent vraiment d’avoir un auditoire énorme. La plus grosse difficulté pour un band indépendant, c’est d’arriver à prendre son produit et de le faire entendre à quelqu’un. Même si tu sais qu’il y a déjà énormément de gens potentiellement intéressés par cet album-là, ils ne sont juste pas capables de le découvrir parce qu’ils n’en ont pas eu l’occasion.

[Antoine] Et c’est ironique de se dire que ce n’est jamais aussi facile de mettre son album à la disposition de tout le monde, mais paradoxalement ça n’a jamais été aussi difficile de faire écouter ta musique à tout le monde.

[Achraf] On se considère quand même chanceux puisqu’on a débuté en 2007, juste avant le gros boum des réseaux sociaux et surtout de la démocratisation de la musique.

J’avais une question concernant le label parce qu’une des phrases d’Angry Metal Guy était que Aeternam est « one of metal best independent bands ». C’est pas peu dire ! Justement à ce sujet, j’ai vu que vous étiez indépendants depuis Ruins of Empire sorti en 2017. J’ai vu que les deux premiers albums étaient sortis sous des labels, après ça, il y a un gap de quelques années et finalement vous avez sorti trois albums complètement indépendants. Est-ce que vous cherchez un label ou vous êtes indépendant de manière idéologique ?

[Achraf] La vérité, c’est qu’on a été pris dans un label trop vite. On n’était pas prêts. On était des enfants aux études. Moi, je n’étais même pas Canadien. Je n’avais qu’un visa d’étudiant. Je ne pouvais pas me déplacer et faire des tournées pour promouvoir l’album. Le problème, c’est qu’il nous a fallu deux à trois ans pour nous stabiliser. On a arrêté de collaborer avec Metal Blade pour ces raisons-là. Ensuite, on dirait qu’on a été peut-être snobés à cause de cette situation. Il n’y a rien à comprendre, les fans sont là et la musique, de manière objective, est assez intéressante.

Oui, c’est vrai. Vous avez une certaine niche qui vous est propre. On vous compare bien à d’autres groupes, mais vous ne tentez pas de recréer un son qui existe déjà.

[Achraf] Quand la musique est de qualité et que l’expérience est aussi présente… On a quand même fait plusieurs shows, on a également beaucoup d’années derrière nous. Quand on voit des labels où soit tu n’as pas de réponse, soit tu te fais répondre que tu n’es pas à la hauteur des attentes du label, je trouve ça franchement dégradant compte tenu de l’effort et de la qualité de la musique. On se prend pas pour le meilleur band du monde non plus et ce n’est pas du tout notre prétention. Je crois que l’intérêt des labels est ailleurs aussi. Peut-être qu’on joue quelque chose qui est moins attrayant aux yeux du business. Au niveau de la qualité, je crois que ce n’est pas gênant et on n’est pas gênés de sortir notre musique. Aujourd’hui, je pense qu’un label peut t’aider à propager ta musique et te permettre d’avoir quelques spots dans des festivals. Par contre, il est possible de faire tout ça seul avec bien de la volonté. Donc, peut-être qu’on n’a pas assez de volonté pour pousser Aeternam jusqu’à un certain point, ou peut-on vraiment tenter de jouer dans certains festivals ? On n’a pas cette énergie-là, on travaille, mais on n’a pas toujours le temps de travailler là-dessus. Mais bon, je ne pense pas qu’un label soit, dans notre situation, indispensable pour continuer à faire de la musique. Notre plaisir principal, c’est de composer la musique, plus que de jouer live même si on adore jouer.

Nous voici donc à l’avant-dernière question. La dernière, c’est pour un de mes amis qui veut une réponse. Donc voici, je vois que vous vous identifiez beaucoup dans les médias sociaux comme étant un band canadien/marocain. On voit beaucoup l’influence marocaine avec le côté arabisant, les instruments folk, la structure, la gamme phrygienne aussi. Qu’est-ce que vous pouvez dire du côté canadien ou québécois ?

[Antoine] C’est drôle que tu aies perçu ça de cette manière. Ashraf est né au Maroc, maintenant il est citoyen canadien, mais il est aussi un Marocain. C’est juste pour ça qu’on dit ça. Ce n’est pas en lien avec nos influences. On ne fait pas de la musique traditionnelle marocaine. Je trouve ça très intéressant que tu aies perçu Canada/Maroc comme étant une indication des influences, alors que fondamentalement, il n’y a absolument rien de canadien/québécois dans les influences musicales à proprement parler, culturellement évidemment.

[Achraf] C’est dur à expliquer, le canadien/marocain, c’est premièrement parce que je voyais beaucoup de critiques indépendantes, qui disaient que ça n’avait pas de sens, qu’un band de Canadiens joue des mélodies folk eastern. C’est pour ça que je me suis dit : « Si j’ajoute le Marocain, ils vont comprendre que ça vient de là ». Les premières fois qu’on avait utilisé les mélodies orientales, c’était à cause de moi. J’arrive avec mon bagage dit oriental et on essaye de merger ça ensemble. Donc c’est très légitime de dire canadian/marocain, c’est pas de la musique marocaine, mais ça reste culturellement axé sur le moyen-oriental. De la musique de l’Est ! Après, j’avais aussi une carrière de musicien avant d’arriver au Québec. J’ai participé à la première vague de musiciens metal au Maroc et c’est important pour moi d’expliciter mes origines, pour moi et pour les gens qui me suivent dans mon pays d’origine.

La dernière question, on me l’a demandée, il faut que je vous la pose. C’est en 2020. Vous aviez une tournée organisée avec Wilderun. J’avais des amis qui avaient bien hâte de voir ce lineup-là, qui était quand même beau ,avec Sacrificed Alliance aussi. Est-ce qu’il y a des plans pour faire revivre ça ? Ou puisque la covid est passée, c’est compliqué de déplacer cette tournée ?

[Antoine] Malheureusement, il n’y a pas de plan. Wilderun, ils jouent un peu dans une autre ligue. Si eux font une tournée, puis veulent nous inviter, ce serait cool. Ça reste des amis. On les connaît depuis longtemps, on était sur 70 000 Tons of Metal avec eux. Il n’y a malheureusement pas de plans actifs pour reproduire cette tournée-là. Là, ça a été vraiment une démarche d’avant la covid; qui a tué cet effort-là. Malheureusement. Je suis autant déçu que tout le monde qui aimerait que ça se passe. Mais it is what it is.

Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que vous vouliez rajouter ?

[Achraf] Venez nous voir pendant notre tournée !