Skaphos

Thooï

Black / Death Metal

France

Autoproduction – Indépendant

2022.05.15

Les profondeurs des abysses océaniques, comme les initiés le savent, recèlent une infinité de secrets et trésors de noirceur menant jusqu’à la folie ceux qui ont l’infortune de les découvrir. Ces secrets, révélés aux yeux du monde par des auteurs tels H. P. Lovecraft et Jules Verne, les quatre initiés de Skaphos ont choisi le média musical pour, à leur tour, les partager. Après sa formation en 2018, le jeune groupe originaire à la fois de Lyon et Toulon a rapidement fait son trou dans l’océan grâce à un style combinant le Black et le Death Metal, à la Behemoth, solide et pertinent, autant dans sa maîtrise, que dans son jeu autour de la peur primitive de l’obscurité. Cette année, Skaphos renforce son statut de nouvelle valeur sûre en sortant son second opus. Intitulé Thooï, du nom d’une divinité issue de l’imagination du quatuor et, encore une fois produit par ses propres moyens. Deux ans après les avoir embarqués à bord de son Bathyscaphe, le groupe invite ses auditeurs à prendre part à un nouveau voyage, à leurs risques et périls…

Ce périple, bien que reprenant sensiblement les mêmes thèmes et codes que le précédent, trouve toutefois son cœur dans l’exploration de voies musicales et sonores montant d’un cran en matière de descente dans les tréfonds abyssaux ; comme le démontre déjà sa première étape, Au Royaume des Fonds. La production, artisanale et adoptant, à ce titre, une approche très simple, visant le minimum d’artifices, met à nu chacune des lignes instrumentales et vocales, qui ressortent ainsi dans leurs aspects les plus organiques et rentre-dedans. Le son de ce morceau et de Thooï dans son ensemble y gagne, de cette façon, une profondeur que l’on ne peut qualifier d’insoupçonnée. Il devient un peu plus sale, également, que sur la production précédente Bathyscaphe, notamment au niveau des guitares de Stéphan Petitjean et Jérémy Tronyo, très rêches et provoquant quelques dégâts de gratte sur les tympans, dont on ne se plaindra pas. Le tempo, bien que peu rapide dans l’ensemble, est précis et très dense ; heureusement, la batterie est basse dans le mixage, suffisamment pour ne pas submerger le reste. Bien que lui donnant un son étouffé par moments, ce mixage à bas niveau ne dessert finalement pas tant Paul Sordet, qui démontre encore une fois versatilité et vélocité, notamment sur Cephalopoda… À l’inverse, la basse de Théo Langlois, plutôt en retrait sur Bathyscaphe, se voit accorder, ici ses trois quarts d’heure de gloire, omniprésente sur tous les morceaux et aussi rocailleuse que la voix du frontman Stéphan Petijean. Ce dernier, à ce sujet, excelle toujours autant dans l’alternance entre grognements caverneux et cris aigus hystériques — tout comme dans les grimaces effrayantes, par ailleurs… —, dont un simple effet de reverb vient sublimer la monstruosité. Que n’a-t-on besoin d’en faire plus !

Fidèle à sa ligne directrice, Skaphos l’est et le reste, tout en sachant varier les plaisirs en matière d’écriture. Le groupe commence par y aller à petites doses sur la première moitié de Thooï, en se laissant par exemple aller à quelques influences Thrash sur Cephalopoda, voire progressives et Doom sur L’Éveil de Thooï, dont l’outro ne manquera pas de rendre fou en restant dans les têtes. Cependant, cette exploration musicale prend une tournure plus radicale dans sa deuxième moitié. Regroupant des morceaux parmi les plus courts de l’album, le groupe en profite pour caser un maximum de rebondissements dans des espaces compacts. Introduite par le long intermède acoustique D.o. 22:18 S.e.Y., le calme laisse par la suite place à la tempête avec Bloop. De tous les potentiels extraits promotionnels, Skaphos a choisi un des plus courts et moins accessibles, à la structure chaotique passant d’une humeur à l’autre en un tournemain…Loin d’être brouillonne pour autant, cette structure s’organise autour de son désordre pour faire vivre un moment d’insanité lovecraftienne pure. Le morceau est accompagné en cela d’un clip aux allures de court-métrage expérimental qui n’est pas sans rappeler**The Lighthouse ** de Robert Eggers… en accord, somme toute, avec son titre incongru.

Chaotique, également, que T.H Nautilus deux titres plus loin, dont chaque battement du rythme ternaire et chaque râle caverneux de Stéphan sonne comme un coup de marteau sur l’enclume avant de surprendre par sa fin abrupte au bout de trois minutes. Entre les deux, ·− ··· −− (ASM en morse, anti-submarine warfare, ndlr) dénote, à l’inverse, par sa linéarité et certains aspects pop ; pour un peu, on en ferait presque un tube de l’été… La facilité d’écoute et la simplicité du morceau parleront à certains, d’autres le trouveront peut-être trop long et répétitif pour son propre bien.

En dehors des variations sur un thème profond, Skaphos mise aussi en bonne partie sur l’immersion, dans tous les sens du terme. Pour cela, les quatre musiciens et leur ingénieur du son ne lésinent pas sur les effets sonores. Entre l’écho complétant aussi bien la voix du frontman que les deux guitares et divers bruitages d’ambiance « sous-marinesques », ce sont eux qui donnent leurs couleurs et leurs titres à Au Royaume des Fonds et surtout à Ruines Aphotiques, cet avant-dernier morceau constituant l’un des plus atmosphériques de Thooï. À ce niveau, toutefois, une mention honorable revient à Lueur Hadale ; morceau le plus « Black » et riche en mélodies de l’album, ces dernières risquent bien de faire chavirer nos petits navires. Il en est de même, et surtout, pour l’intermède D.o. 22:18 S.e.Y et la piste d’outro, La Complainte de Méjean. L’un comme l’autre exploitent habilement les ressorts de l’acoustique ainsi que ceux de l’Ambient, en venant greffer aux premiers quelques voix aux lamentations à glacer le sang, pour un milieu et un final d’album chargés en mystère et qui agrippent aux tripes. Pour un groupe qui n’est pas du genre à faire dans le sentimentalisme, cette vague d’émotion a de quoi étonner… dans le bon sens du terme, bien dosée pour éviter de tomber dans le raz-de-marée !

Avec Bathyscaphe, Skaphos dévoilait déjà un univers bien à lui, sombre et lugubre, aux couleurs des grottes abyssales dans lesquelles, il perd ceux qui osent s’y aventurer, sans être avertis, mais accueillant pour les initiés. Cette année, au travers de Thooï, le groupe prend de nouveaux chemins pour explorer un autre pan de cet univers, plus atmosphérique parfois, plus étrange souvent, plus profond toujours. En l’espace de seulement quatre ans, le quatuor amateur de sous-marins et de tentacules a effectué, à défaut d’une descente dans les abysses, une ascension express. Désormais, Skaphos figure en bonne place parmi les noms à retenir de la scène Black / Death française émergeante — ainsi que sur les affiches. Nous le retrouverons bientôt, au cœur de l’océan…