Pensées Nocturnes
Douce Fange
Genre black metal avant-gardiste
Pays France
Label Les Acteurs de l'Ombre Productions
Date de sortie 21/01/2022

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Ils sont de retour, crénom de Dieu ! En ce début d’année 2022, les gaillards franchouillards de Pensées Nocturnes, toujours chapeautés par Les Acteurs de l’Ombre Productions, sont fiers de présenter à leur public leur nouvel OVNI, poétiquement intitulé Douce Fange. Un titre qui ferait référence, paraît-il, à un certain Charles la Traînée… Après une invitation à un festin dans À boire et à manger en 2016 et au cirque dans Grand Guignol Orchestra en 2019, le coq en chef Léon Harcore, entouré depuis 2017 de camarades de label triés sur le volet, convie sa basse-cour à monter à bord d’un manège à thème. Le thème en question : la France et le Paris d’antan, celui de la Terreur, de la Commune et des romans naturalistes, qui fleure bon la nostalgie et les relents d’égout et de caniveau ; celui qui dansait aussi bien au rythme des bals populaires qu’à celui des chutes de têtes…

Viens tâter d’mon Carrousel ! clame très justement le titre de la — longue — introduction ; un message tout aussi justement transmis par le texte, atypique des introductions habituellement instrumentales de Pensées Nocturnes. Ce carrousel qu’est Douce Fange, mes petits anges, est à l’image de la musique que produit le groupe depuis des années ; immense et étonnant pot-pourri combinant un black metal bien rance aux sonorités d’à peu près tous les genres témoignant d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Le tout dans un ensemble cabossé, déglingué, déstructuré et surtout bien alcoolisé lui ayant souvent valu l’appellatif de « black metal musette »… Sans perdre une seconde, Pensées Nocturnes tranche dans le lard dès le titre suivant, Quel Sale Bourreau !, d’emblée un des plus sombres de l’album, en plongeant au beau milieu d’une place publique aux pavés ruisselants de sang frais. Le bourreau du titre y clame son amour pour la « veuve » en valsant au milieu des têtes tranchées… Avez-vous dit malsain ? Telle est pourtant la nature de la barbarie sanguinaire trop humaine que Pensées Nocturnes se plaît à dépeindre — en bleu-blanc-rouge. Après tout, pour faire du beau avec du moche, quoi de tel que mêler le raffiné au brutal ?

À ce sujet, parmi les danses de salon venant apporter leurs couleurs aux sombres saturations, la valse se fait omniprésente, elle si typique des tours de manège. À celle, frénétique, bordélique et désarticulée, du bourreau et de sa veuve bien-aimée, succède celle du morceau de bidoche Saignant et à Poing — et de provenance pour le moins douteuse. Si cette valse adopte certes un rythme plus lent et facile à suivre, elle n’en oublie pas moins de rester fidèle à la ligne de conduite ingouvernable du groupe en secouant son public dans tous les sens… Pas le temps de se relever pour se refaire une java niaise : après l’instrumental Charmant Charnier, entracte fort peu reposant, le tango prend le relais pour nous passer sur le corps-billard dans Le Tango du Vieuloniste. Sur un air d’accordéon, les musiciens montrent qu’ils sont, au fond, de grands romantiques dans l’âme en rappelant à leurs admirateurs que Paris reste la ville de l’amour et que le tango, c’est mieux à deux — ou, dans leur cas, à huit. Bien entendu, ils le font à leur manière, c’est-à-dire en le leur assénant dans les oreilles… De par son rythme effréné et les mélodies entraînantes de l’accordéon, ce Tango plaira à un public large, justifiant son utilisation en tant que titre promotionnel.

Les joyeux lurons ont fait un sacré bout de chemin depuis leurs débuts où ils jouaient les clowns pleureurs ; tel est le bilan que dresse PN mais Costaud !, morceau étrangement introspectif. Moins marquant que les autres du fait de dévier de la ligne directrice et d’un rythme foutraque, il a pour lui le mérite d’offrir un recul amusant sur la carrière du gang Léon, notamment sur les comparaisons dont il fait l’objet avec Peste Noire ou encore sur le supposé alcoolisme de ses membres… Quelques traces de ces débuts mélancoliques subsistent malgré tout, principalement dans les hurlements suraigus et désespérés dans lesquels se perdent parfois le frontman et son acolyte de voix Alasdair Dunn entre deux envolées lyriques ou déclamations vociférées. Ou peut-être est-ce dans les duos langoureux entre piano et saxophone, anachronismes jazz et blues parmi d’autres, qui se glissent entre les références à Gérard Cholley dans Le Tango du Vieuloniste ou à Maïté dans Fin Défunt

Ce dernier titre, ainsi que la redoutable reprise du chant révolutionnaire La Semaine Sanglante, restent toutefois ceux qui offrent aux aspects les plus sombres l’occasion de s’exprimer à leur plein potentiel. Le sadisme, la violence et le désespoir y apparaissent dépouillés, (auto)dépecés, dans la froideur la plus chirurgicale ; les interminables sept minutes et demie du second provoqueront à coup sûr cris, larmes et plaintes pour torture et actes de barbarie… Heureusement pour nous autres malheureux badauds, le gang Léon fait preuve d’indulgence en opérant un retour à l’enjouement collectif sur le dernier titre, Gnoles, Torgnoles et Roubignoles. Au travers de ce cousin promotionnel du Tango du Vieuloniste, Léon Harcore et cie se permettent de toucher aux indétournables valse n°2 de Dmitri Costakovitch et Mon amant de Saint-Jean pour clamer les bienfaits de la « danse » — pour ce que ce terme désigne. Le tout s’achevant en beauté sur un magistral « ta gueule ! » à l’adresse d’un accordéon fort agaçant…

Dans Douce Fange, comme dans ses précédentes productions, Pensées Nocturnes parle musique sous toutes ses formes, en particulier les plus désuètes. Pensées Nocturnes parle cuisine, aussi, en passant à la casserole tous ces genres pour servir une tambouille étrange dont le secret réside, d’une part dans le sel, de l’autre dans la cuisson. Domaine dans lequel le groupe tout comme son label excellent autant que dans les mélanges, rendant ainsi l’ensemble plus digeste que ce à quoi l’on peut s’attendre. Mais surtout, Pensées Nocturnes parle sous-France. Une sous-France qui paraît lointaine, mais pourtant bien plus proche que ce que l’on veut bien admettre, sous tous ses aspects les plus sordides, sans jamais faire dans la dentelle au motif de ne pas gêner la petite morale… Tout ceci avec un mordant certain, mais non sans une certaine tendresse. Les plus fins amateurs d’entre nous s’en délecteront tout comme et autour d’un bon verre. Prenons garde, néanmoins, à ne pas abuser des bonnes choses ; nous pourrions bien nous retrouver la tête au sol à bouffer du gravier.