Amorphis
Halo
Genre Death Metal mélodique/progressif
Pays Finlande
Label Atomic Fire Records
Date de sortie 11/02/2022

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Il serait un affront de présenter Amorphis, tant ce groupe a su, de par son talent, apposer son empreinte dans l’histoire du metal européen. En une carrière de plus de trente ans rythmée par les changements, aussi bien dans le line-up que dans les styles, le sextet mené par son fondateur Esa Holopainen a su trouver le sien propre, indéfinissable en tant que tel mais reconnaissable entre mille, pour nous conter inlassablement les légendes du Kalevala. Ceci pour aboutir à la conception d’une trilogie d’albums rassemblant le groupe et ses collaborateurs Jens Bogren et Valnoir autour de créations musicales et visuelles communes. Lancée en 2015 avec Under the Red Cloud, suivi en 2018 de Queen of Time, cette saga progressive trouve en février 2022 son chapitre de conclusion, sobrement intitulé Halo. Amorphis ayant habitué son public à mettre la barre un cran au-dessus à chaque nouveauté, succéder à deux excellents albums promettait d’être un défi bien compliqué à relever. Si certains émettent encore des doutes, permettons-nous d’emblée de les dissiper : Halo ne se contente pas de répondre aux attentes. Il les dépasse.

Parmi les termes employés par beaucoup, y compris par les membres du groupe eux-mêmes, pour qualifier Halo, « dépouillé » et « direct » se font les plus récurrents. Ce constat ne tarde pas à se vérifier dès le titre d’ouverture, Northwards, qui, après une intro atmosphérique au piano, ouvre la porte à ce qui constitue le cœur de l’album ; à savoir, une musique mise à nu, dans tous les sens du terme. En quasi-opposition avec le grandiose et l’atmosphérique de son prédécesseur Queen of Time, Halo fait le choix de l’économie d’effets, sur tous les niveaux. Les compositions signées Esa Holopainen et Santeri Kallio, ainsi que Tomi Koivusaari sur le dernier titre My Name Is Night, suivent toutes une structure éminemment progressive offrant une place de premier choix aux montées en puissance, aux tempos rapides et à des guitares faisant ici leur retour en force. Une mise en valeur qu’elles doivent en partie au jeu agressif et incisif des deux guitaristes, mais aussi, et peut-être surtout, à la qualité exceptionnelle de la production. De par le parti pris de la mise en retrait des orchestrations et démonstrations de virtuosité, le mixage sonore permet à chacun de s’exprimer dans son individualité et sa brillance ; en ressort notamment le jeu de batterie ciselé de Jan Rechberger. Olli-Pekka Laine est tout de même celui qui en tire le plus grand profit, dévoilant un jeu de basse en nuances multiples, omniprésent dans le sus-cité Northwards, plus doux dans Windmane ou en soutien sur la rythmique très carrée de The Wolf.

Ainsi réduite à sa plus simple expression, la musique d’Amorphis, bien loin de s’en trouver appauvrie, ne s’en révèle au contraire que plus riche, dans toute la complexité de ses nuances, subtilités et ruptures — et la force sombre et brute de ses émotions.

Le second extrait promotionnel, On the Dark Waters, annonçait à ce titre déjà la couleur : cette année, le navire Amorphis navigue en eaux troubles. Sur les flots du Tuonela, la mélancolie se manifeste sous toutes ses formes ; celle d’une mer coléreuse et tempétueuse lorsque les instruments accompagnent la voix gutturale de Tomi Joutsen narrant un conte de destruction sur War, ou de courants entraînant à toute vitesse vers la croisée des chemins sur Seven Roads Come Together. La présence par moments d’un orgue, sur lequel le claviériste Santeri Kallio s’en donne à cœur joie, et de chœurs en latin, œuvre de l’orchestrateur Francesco Ferrini (Fleshgod Apocalypse), ajoute à l’ensemble une touche de solennité religieuse. Ces arrangements écrasants, presque opprimants, contribuent d’autant plus à entraîner le navire et ses six membres d’équipage, ainsi que ses passagers, vers des eaux encore plus profondes et tourmentées…

Cependant, comme le rappelle très justement sa définition première, le halo reste un phénomène lumineux. Ainsi, entre deux nuages s’immiscent les lueurs de la lune, fidèle guide des voyageurs, qui aident le vaisseau à poursuivre sur sa voie sans dévier vers un raz-de-marée ou des eaux stagnantes. En d’autres termes moins ampoulés, Amorphis n’oublie pas la dualité qui a toujours fait sa force. Tout au long du voyage, le calme côtoie la tempête — à défaut de venir après —, tous deux se mêlant bien souvent au sein d’une même étape. Ceci, par exemple, au travers d’une mélodie orientale venant rompre le ton de A New Land, de chœurs apaisants dans The Wolf, ou de guitares mélodieuses soutenant les parties vocales. Le morceau éponyme, où prédominent le chant clair ainsi que les arrangements symphoniques, ne pouvait mieux illustrer par la musique, tout comme par son texte, la définition du phénomène.

En parlant de voix, pour les auditeurs lambda que nous sommes, elle constitue le principal canal de transmission de l’émotion ; à ce titre, celle de Tomi Joutsen, le frontman aux cordes vocales de velours et d’acier à la fois, représente cette dualité de la manière la plus évidente. Mise à nu comme le reste, elle se dévoile, elle aussi, dans toutes ses nuances et sa puissance brute et évocatrice. En contrepartie de refrains épiques, des couplets peu chargés en instrumentation tels ceux de Windmane mettent d’autant plus en avant la raucité du chant guttural. Pour un peu, l’on croirait presque le vocaliste à proximité de nous et de nos tympans… Toujours dans le domaine vocal, les voix additionnelles féminines, qui se sont imposées comme part intégrante de la signature d’Amorphis au fil des années, apportent de leur côté une part de délicatesse qui contribue à contrebalancer l’aspect tempétueux de l’ensemble. L’Israélienne Noa Gruman, après une prestation remarquée sur The Bee, extrait de Queen of Time, appose de nouveau sa voix haut perchée en appui à celle de Tomi Joutsen sur quelques titres de Halo, dont l’éponyme. Toutefois, ce chant féminin gagne une autre dimension sur le dernier titre, My Name Is Night. La Suédoise Petronella Nettermalm, chanteuse du groupe Paatos, se joint à Tomi Joutsen dans ce qui devient un authentique duo. Aussi étonnant que chargé en émotions, en bonne partie de par ses sonorités acoustiques, il apporte une conclusion apaisée à cette traversée mouvementée.

« Ce qu’il faut, c’est essayer de trouver de nouvelles dimensions tout en se rappelant des règles à suivre. » En ces quelques mots, lors d’une interview accordée à Metal Alliance Mag peu avant la sortie de Halo, Santeri Kallio résume le paradoxe Amorphis. Difficile, à l’écoute de l’album, de lui donner tort, tout comme d’affirmer que le défi n’est pas relevé. En l’espace de ses seuls onze titres, il réussit le pari de rassembler tous les éléments de l’alchimie qui est celle du groupe depuis maintenant plus de trente ans. Entre les genres, du rock progressif au death metal mélodique. Entre la violence d’un War et la lumière d’un Halo. Entre le masculin et le féminin, sur le duo final. Surtout, entre les musiciens eux-mêmes, surtout dans les dialogues auxquels s’adonnent parfois une guitare et un clavier pourtant en retrait, sur Windmane ou Northwards. À ce niveau, pourtant, aucun des titres n’en fait meilleure démonstration que The Moon. Si le choix du morceau le plus long de l’album comme premier single peut sembler étrange, ses six minutes représentent la quintessence de cette alchimie musicale, pleine au milieu du ciel.

À peine sorti, Halo compte d’emblée parmi les meilleurs albums d’Amorphis, à n’en pas douter. De là, pourrait-on se permettre d’affirmer qu’il s’agit du meilleur ? À la question, la réponse n’est pas loin d’être positive. Contrasté, viscéral et profondément organique, ce quatorzième opus met à nu la musique d’Amorphis pour se révéler tel un diamant noir brut de mélodies et d’émotions venues du cœur.