C’est un Fernando Ribeiro intarissable avec qui nous avons rendez-vous pour discuter du nouvel album de Moonspell, Hermitage. Le chanteur nous livre également son avis sur l’état de notre société et sur la nécessité, parfois, de faire une pause pour repartir sur d’autres bases…

Parlons d’emblée de votre nouvel album, Hermitage. Comme tu le sais, ce mot existe aussi en langue française, ce qui excite ma curiosité. Peux-tu expliquer ce qui se cache derrière ce titre étonnant ?

Nous utilisons la prononciation à la française pour Hermitage car cela donne une impression plus mystique. Vous savez qu’un hermitage est un lieu d’isolement pour prier, jeûner, combattre ses démons, et il m’a semblé que c’était un bon sujet par rapport à l’état de notre monde en 2017, lorsque nous avons entamé l’écriture de l’album. Evidemment, la pandémie a donné un autre éclairage à cela. Un hermitage n’est pas nécessairement lié à un aspect religieux. Dans un certain sens, cela peut se rapporter à la façon dont nous vivons actuellement, pour d’évidentes raisons sanitaires. Mais cela fait de nombreuses années que nous avons commencé à nous isoler les uns des autres. Les gens sont de moins en moins capables de se comprendre, de se pardonner, même pour les choses les plus dérisoires. L’arrivée des réseaux sociaux a créé un monde qui est beaucoup plus axé sur la haine. De petites haines, mais qui conduisent à la grande haine. L’album nous a été inspiré par ces considérations et cela sous-entend qu’il est peut-être nécessaire de faire une pause pour prendre un nouveau départ. Et je pense que le fait que la musique soit aussi pleine de nouveautés et d’expérimentations, le même Moonspell avec d’autres contours, contribue aussi au message de cet album.

Cet album est bourré d’atmosphères. Non seulement il dégage une ambiance globale, mais au sein de cette unité, chaque chanson présente elle-même sa propre identité. Comment en avez-vous envisagé l’écriture ? A partir d’une idée générale, ou au contraire, sur la base d’idées individuelles et distinctes qui, mises ensemble, ont donné, presque par hasard, un tout très cohérent ?

Notre plus grand combat est de produire des albums homogènes et non hétérogènes. À nos débuts, nous avons mélangé beaucoup de styles : Folk, Black Metal, Rock. Certains ont apprécié cette mixture, mais nous ne faisons pas partie de ces fans qui aiment les albums qui partent dans tous les sens. À chaque nouvelle sortie, nous avons essayé de composer des albums faits de chapitres, comme on écrirait des livres, chaque chapitre ayant son propre sens dans l’action générale. Nous voulons que chaque album possède sa propre signature, son atmosphère. Hermitage est l’un de nos albums les plus atmosphériques. Je ne fais pas référence aux côtés speed ou heavy de la musique, auxquels s’opposerait le terme « atmosphérique », mais au fait que les morceaux transmettent des histoires, des visions, et différents paysages musicaux. Je pense que ce qui nous aide, dans le cadre de Moonspell, est que je commence par élaborer une ébauche de ce dont parleront les textes puis, éventuellement avant que mon écriture soit terminée, Pedro (Paixão, claviers) et Ricardo (Amorim, guitares) se mettent à l’écriture de la musique dans une optique qui colle aux thèmes que j’aborde. Je pense qu’il s’agit d’une bonne méthode que d’amener des histoires et d’ensuite y faire correspondre la musique. Le disque aurait été tout autre si j’avais, par exemple, écrit des paroles à propos de la guerre ou de tout autre sujet typiquement « Metal ». Aborder différents thèmes à travers les paroles permet aussi de faire évoluer la musique : si tu racontes toujours les mêmes histoires, ta musique reste la même aussi.

Vous avez maintenant votre âge, tout comme une bonne partie du public qui vous suit. Est-ce peut-être pour cette raison que vous vous frottez aujourd’hui à une musique aux accents plus rock, sans crainte de choquer votre auditoire, vous qui êtes plus ou moins assimilés au Metal extrême (même si le terme est relatif en ce qui vous concerne) ?

À partir d’un certain âge, il me semble assez naturel que notre propre vie imprègne davantage notre musique. Quand nous avons débuté, nous voulions parler de fictions, de fantasy, de mythologie et de religion, mais nous avons toujours progressé. Nous avons lu des tas de bouquins, et j’ai étudié la philosophie, pour devenir, à mon sens, de meilleurs auteurs et compositeurs. Ainsi, nous ne répétons pas éternellement les thèmes habituels du Heavy Metal : la mythologie nordique, la seconde guerre mondiale, Tolkien, etc. La plupart des gros groupes n’abordent généralement que quelques sujets et cela en devient ennuyeux. Une chose que nous avons appris avec l’âge est de mieux jouer avec nos influences. Je ne pense pas que nous soyons un groupe extrême. Ou alors, nous sommes le plus mélodique des groupes extrêmes. Il est vrai que sur de nombreux albums, nous avons mélangé les deux mondes. Il est vrai que nous pouvons flirter avec l’extrême, tout comme avec le Gothique, le Classique, le rock psychédélique et le progressif. Et tout cela peut être extrême aussi, dans le sens où nous racontons des histoires qui étonnent les auditeurs et que nous bâtissons des paysages sonores à l’avenant. De nos jours, tout le monde semble suivre la même recette, avec de la vitesse, du chant le plus haut perché possible et une accumulation de couches sonores. Hermitage se veut à l’opposé de cela. C’est un album simple et authentique, très musical sans avoir eu besoin d’une production énorme.

A votre stade de carrière et de notoriété, êtes-vous totalement décomplexés au niveau de l’exposition de vos influences ? Je veux dire que certains groupes préfèrent dissimuler les leurs, ou ne les admettent pas si elles sont audibles. Car l’idée d’influences apparentes est souvent reliée, mais pas toujours à raison, à celle du manque de personnalité ou d’inspiration. Quelle est ta position par rapport à cette problématique qui touche beaucoup de groupes ?

Pour nous, ce n’est pas un problème. Le désir de jouer de la musique vient forcément du fait que nous écoutons d’abord de la musique. Et puis, spécialement depuis les années nonante, il est pratiquement impossible, pour quelque groupe que ce soit, de créer réellement quelque chose de tout nouveau à partir de rien. Tout se répète : chaque groupe qui t’influence possède ses propres influences. On peut remonter ainsi jusqu’au début de l’histoire de la musique. Par exemple, l’un de mes groupes préférés est Type O Negative. Or, il se trouve qu’outre le Rock gothique européen, les Beatles étaient l’une des influences majeures de Peter Steele. Je l’ai appris lors d’une tournée commune durant laquelle il écoutait sans arrêt les Beatles dans le tour-bus. Et finalement, cela s’entend clairement au niveau de ses harmonies vocales. Depuis les années nonante, les groupes reprennent des petits bouts de tout ce qui a déjà été inventé et changent les structures pour reconstituer un puzzle à leur façon. On peut facilement distinguer les influences de Moonspell, qui contiennent du Rock progressif, du Pink Floyd, du Bathory, sans que cela nuise à l’authenticité de ce que nous faisons.

Nous n’allons pas entamer un titre-par-titre pour Hermitage, mais je souhaiterais quelques mots de ta part sur All or Nothing, qui présente un feeling bluesy. Il me semble que c’est la première fois que Moonspell introduit ce genre de vibration dans sa musique…

C’est vrai, et cela a aussi avoir avec notre producteur, Jaimie Gomez Arellano. Car bien qu’il ait produit des groupes tels que Ghost et Paradise Lost, il joue aussi avec des tas de groupes aux styles très variés. Et toute liberté a été laissée à nos compositeurs, Pedro et Ricardo. Il n’y a pas de cahier des charges chez Moonspell. S’ils veulent être un peu bluesy, classiques, pop ou death, ils peuvent. Cette chanson, All or Nothing, est très mélancolique. Et le blues sert parfaitement le propos car cette musique peut l’être aussi. J’en parlais un jour avec Ricardo : je trouve qu’All or Nothing contient des éléments blues et western, mais aussi du Fields of the Nephilim, du Pink Floyd, et l’un de ses solos me fait songer à Gary Moore, Rock et Blues, donc. J’adore le Death Metal et notamment un groupe comme Entombed. Malheureusement, L.G. Petrov est décédé mais avec Wolverine Blues, lui et son groupe ont créé le parfait mélange de rock’n’roll et de Death Metal.

Nul ne sait quand reprendront les concerts, donc laissons le futur en suspens, mais je souhaiterais revenir sur un show particulier que vous avez donné en Belgique. Cela remonte à l’époque d’Alpha Noir / Omega White et vous vous produisiez dans un tout petit club (l’Atelier Rock de Huy). Pourquoi des dates dans des endroits très exigus, pour un gros groupe comme Moonspell ?

« Un gros groupe » n’est pas vraiment l’appellation qui convient le mieux à Moonspell. Nous avons joué dans des clubs comme dans des grandes salles en Belgique et ailleurs. Nous ne refusons jamais de nous produire dans des clubs. C’est de là que nous venons et c’est là que nous allons sans doute mourir… et c’est aussi dans ces endroits que nous avons livré la plupart de nos meilleures prestations. Un show en club peut être bien plus intense que dans une grande salle, même si nous ne déballons pas toute la production. Nous ne nous sentons nullement dévalorisés lorsqu’on nous propose de petites dates.

Merci pour cette conversation. Le temps passe vite et je ne veux pas abuser du tien, aussi vais-je te laisser, pour me replonger dans l’écoute d’Hermitage…