Salutations à Rodolphe de Barabbas, et merci de répondre à nos questions sur le groupe, sa discographie et ses prestations sur scène. Pour commencer, vu que c’est un groupe qui est assez peu connu, pourrais-tu présenter le groupe et raconter son histoire ?

Oui, bien sûr. Le groupe a démarré en 2007 dans la région parisienne, où on est de Seine-et-Marne. En fait, à la base, le groupe s’est formé autour de Stéphane [Bourcier], qui est l’un des deux guitaristes du groupe, qui est aussi l’auteur et compositeur […] Entre 2007 et 2009, moi, je l’ai rejoint. On a la première mouture du groupe qui va enregistrer le premier EP en 2011, qui s’appelle Libérez Barabbas. En 2014, on enregistre le premier album, Messe pour un chien. Suite à ça, on tourne un petit peu. Après, il y a les accidents de la vie, des choses qui font que ça ralentit un peu le processus sur l’arrivée du dernier album… et puis le covid, et on arrive huit ans plus tard ! (rires) Donc en janvier 2022… non, pardon, décembre 2022, on sort La mort appelle tous les vivants.

Justement, à propos de ce deuxième album qui est sorti en 2022, quels ont été les retours du public à ce moment-là ?

Nous, déjà, on avait huit ans, on avait fait quelques dates, des choses comme ça ; on était apparus sur certaines compiles et autres, mais on n’avait pas une actualité folle. Donc on ne s’attendait pas à grand-chose par rapport à la sortie de La mort appelle tous les vivants. Et puis, il s’avère qu’on a eu la chance, pour le coup, d’avoir Arno Strobl qui a prêté l’oreille à l’album. C’est grâce à lui, en fait, et à la couverture médiatique qu’il va mettre sur Barabbas que justement, on a été un peu plus présents et, entre guillemets, qu’une petite notoriété a commencé à se faire. Mais bon, après, entretemps, sur les huit années, on a quand même fait trois tournées avec des groupes étrangers, on a joué à l’étranger… voilà, on a quand même fait quelques trucs !

Donc ces huit années qui séparent les deux albums, si je comprends bien, elles ont quand même été très actives. Il s’est passé pas mal de choses, mais il y a aussi eu pas mal de problèmes, dont le covid. Du coup, au niveau de l’écriture et de la production de l’album, ça s’est passé comment, et en vrai, ça a pris combien de temps ?

La mort appelle tous les vivants, en fait, c’est un album qui a été enregistré deux fois, pratiquement. C’est-à-dire qu’une première fois, ça a été pré-maquetté avec notre ancien bassiste, qui était aussi ingénieur du son dans la salle où on maquettait. On n’était pas forcément super satisfaits de ce qui sortait — lui aussi d’ailleurs, n’était pas forcément satisfait de ce qui en était sorti. Ensuite, lui, il a pris la décision de quitter le groupe. Le temps qu’on retrouve un autre bassiste, on a retravaillé les morceaux, on a refignolé un peu ce qu’on voulait… et puis voilà, on a sorti cet album-là. Ça a mis… en fait, si tout s’était bien passé, quatre ans après, de 2014 à 2018, on avait l’album qui aurait dû sortir, mais qui n’aurait peut-être pas eu le retour dont il jouit actuellement.

Donc finalement, c’est plutôt une bonne chose parce que ça vous a permis de plus travailler. Et puis, de ce que j’ai vu, entretemps, vous êtes passés d’une configuration d’un seul guitariste à deux, donc je suppose qu’en matière d’écriture, ça donne plus de flexibilité et plus de choses à faire ?

Exactement. En fait, Thomas [Bastide], à la base, il est rentré dans le groupe après la sortie de Messe pour un chien, où on avait pas mal mis de clavier sur l’album et on avait envie de retransmettre ça sur scène, d’être un peu plus près de ce qui était vraiment gravé sur l’album. Du coup, à la base, il est rentré comme clavier et comme c’était un très, très bon guitariste, il a doublé les guitares et autres. Et en fait, maintenant, il ne fait plus que de la guitare puisqu’on a enlevé carrément les claviers.

En parlant de l’identité de Barabbas, on sait que le doom metal, c’est un genre qui est extrêmement marqué par l’imagerie religieuse, catholique surtout. Je trouve que chez Barabbas, quand même, c’est marqué d’une manière très particulière : vous parlez énormément de religion de manière métaphorique, de vie, de mort, vos noms de scène, c’est des saints… d’où vous vient toute cette esthétique ?

Nous, on a été biberonnés aux vieux groupes de doom, comme Trouble, Candlemass, et puis autres Saint Vitus, Cathedral et autres… donc effectivement, l’imagerie religieuse est présente. Par contre, nous, on a pris le contrepied, déjà, par le fait de s’appeler Barabbas. Quand même, Barabbas, c’est le brigand qui a été choisi par le peuple et par Pilate et qui a envoyé Jésus-Christ sur la croix. Le peuple a préféré un bandit, un mécréant, à celui qui était censé sauver le monde ! On a pris un peu ce contrepied-là. Moi, j’aime bien dire des fois qu’en fait, on fait du doom, mais avec une ambiance un peu black metal : on joue avec la religion, mais on est plus sur le côté négatif et on se moque un peu.

Effectivement, il y a quand même beaucoup de mordant dans ce que fait Barabbas, avec effectivement un côté black metal… Il y a autre chose qui rentre dans l’identité de Barabbas, c’est que les textes sont en français, ce qui n’est quand même pas courant dans cette scène, puisque la plupart sont en anglais. D’où vient le choix de n’écrire qu’en français ?

C’était le parti pris dès le démarrage. Stéphane, comme je te disais, a décidé quand il a monté le groupe que les textes ne seraient écrits qu’en français. On a la chance en plus d’avoir quelqu’un qui écrit bien, qui a une vraie qualité d’écriture et qui retranscrit bien, qui met vraiment des images sur les mots. Du coup, ça serait dommage d’essayer de faire quelque chose en anglais alors qu’on arrive à donner quelque chose avec la langue française. Et puis, on est Français de toute façon ! Donc, c’était aussi une forme d’originalité ; on se démarquait un peu.

Oui, Barabbas est un groupe qui a beaucoup d’identité et qui est très original. En parlant d’originalité, j’ai écouté vos deux albums pour préparer l’interview et il se trouve que, peut-être même encore plus sur le deuxième que sur le premier, ils sont cohérents de bout en bout, par contre, aucun morceau ne ressemble à un autre. Il y a par exemple Le saint riff rédempteur qui est très rock ; il y en a qui sont un peu plus agressifs comme Moi, le mâle oméga, ou d’autres qui sont des danses comme La valse funèbre ou Le cimetière des rêves brisés. Il y a Messe pour un chien qui est très émouvant… D’où vient cette variété dans la composition ? Qu’est-ce qui inspire Stéphane ?

Déjà, Stéphane, c’est quelqu’un qui a une culture musicale très, très, très vaste. Il va t’écouter de la pop, il va t’écouter du ska… il s’intéresse à tous les styles de musique. Et après, dans le groupe, pareil, on est hyper éclectiques musicalement. Donc déjà, certainement qu’il y a quelque chose là-dedans. Nous, on favorise de toute façon sur tous les morceaux la mélodie. Ça, c’est quelque chose qui, pour nous, est hyper important. Tous les morceaux qu’on veut proposer, c’est des morceaux qu’on veut qu’une fois qu’on l’a écouté, on peut le rechanter […] il faut que ce soit mélodique, il faut que ça puisse rentrer dans la tête. Ça aussi, ça fait partie des choix et des désirs qu’on a par rapport à nos morceaux. Et puis, comme je te dis, c’est surtout parce qu’on ne se met pas de case, on ne se restreint pas. On nous a mis dans la case doom, mais en fait, Barabbas, ça fait du Barabbas, on va pas s’emmerder ! Tu vois, La valse funèbre, c’est une valse un peu rock, mais le rythme, c’est un rythme de valse. Et par rapport à ce que tu disais, on ne l’a jamais réellement fait exprès, mais effectivement, on se rend compte qu’à chaque fois qu’on écrit des albums, une fois qu’on a enregistré, sans le vouloir et sans vouloir faire des concepts albums, on arrive à écrire une petite histoire, mais ce n’est jamais réellement voulu, si tu vois ce que je veux dire.

Finalement, c’est quelque chose de naturel.

Oui, complètement.

J’ai une question pour toi, en tant qu’interprète de ces textes qui sont par ailleurs extrêmement bien écrits. Notamment, j’ai eu un gros coup de cœur pour De la viande, qui est une métaphore bien violente. Dans quel état d’esprit te mets-tu pour interpréter ces mots qui, finalement, viennent de quelqu’un d’autre, avec autant de théâtralité et autant d’émotion ?

(rires) En fait, je ne rentre pas dans un personnage. Des fois, je me dis… c’est peut-être présomptueux, mais j’ai l’impression que Stéphane écrit pour moi. Tu vois, dans nos conversations, on est à peu près du même âge, on a des vies qui sont… on a des vies d’hommes quinquagénaires. Ce qu’il raconte, c’est ce que moi, je peux ressentir et je peux vivre aussi, donc je n’ai pas à me forcer ou à rentrer dans une espèce de théâtralité ; ces mots, ils me touchent directement. Moi, je n’ai malheureusement pas la capacité et la facilité d’écriture que peut avoir Stéphane. Si je devais écrire des textes, ça serait beaucoup plus « rentre-dedans », ça serait plus punk, plus violent ; j’aurais moins le côté romantique ou raconté que Stéphane peut amener. Quand il me présente un texte, pour moi, en fait, c’est naturel, je le ressens tout de suite, je sais tout de suite là où il faudra que j’appuie. Tout de suite, ses mots me touchent. Ça résonne tout de suite en moi. Il n’y a pas de cinéma, quoi ! […] Je ne joue pas d’un instrument, donc moi, en fait, ma contribution, c’est de faire vivre le texte.

Justement, à propos de faire vivre le texte, vous avez fait vivre ces morceaux tout à l’heure sur scène. J’aurais bien voulu vous voir, mais j’ai été occupée, je ne pouvais pas. Déjà, comment s’est passée votre prestation ?

(rires) Alors écoute, nous, quand on est ressortis de scène, on était plutôt mi-figue mi-raisin ; on n’est pas tellement satisfaits de nous… Je pense qu’on s’est mis une grosse pression par rapport à l’affiche… Moi, j’ai suivi un peu de loin l’évolution et le déroulé, par l’intermédiaire de John et d’Arno, du montage de ce festival et je sais ce qu’ils ont mis eux et autres. Je pense qu’avec le groupe, on voulait tellement bien faire qu’on n’est pas satisfaits par rapport à ce que nous, on aurait aimé vraiment donner. Et a contrario, en sortant de scène, par rapport à tous les gens qu’on a croisés et par rapport à tout ce qu’on a dit, apparemment, les gens sont hyper heureux de la prestation qu’on a délivrée et sont plutôt vraiment emballés ! C’est ça le principal, c’est qu’on a rendu des gens heureux et qu’on a fait découvrir le groupe. Mi-figue mi-raisin pour nous et apparemment, un public plutôt conquis, donc heureux.

Parmi les morceaux que vous avez joués, est-ce qu’il y en a un qui te fait particulièrement vibrer sur scène ?

Tous, parce que je te dis que tous résonnent, même avec le temps de les chanter et autres, tous ont une certaine résonance en moi. Je n’ai pas de morceau, si tu veux, qui m’emmerde à jouer. Je ne suis pas dans le truc en me disant « Judas est une femme, on le joue depuis je ne sais pas combien de temps, il faut encore le jouer… » Je n’ai aucun morceau qui me saoule. Donc non, je n’ai pas réellement de préférence… Il y a un morceau qu’on joue rarement, mais qui, pour le coup, par contre, a vraiment quelque chose qui résonne vraiment très fort en moi, c’est Le cimetière des rêves brisés. Ça oui, quand on le joue, c’est vraiment quelque chose. Et CrypteMon crâne est une crypte, mais on l’appelle Crypte. Ça, ça peut me faire chier sur scène… mais moi, je vis les textes. Quand je suis sur scène, je ne suis pas la personne qui parle devant toi.

Vu que les morceaux de Barabbas sont pour la plupart assez longs, avec certains qui ont un rythme parfois très lent, comment faites-vous pour sélectionner les morceaux que vous allez intégrer dans la setlist ?

On va faire une setlist par rapport à l’affiche, déjà, par rapport au temps de set qu’on va nous proposer. Et après, on va faire aussi une setlist par rapport aux retours qu’on va en avoir du public sur différentes scènes. Par exemple, Judas est une femme, c’est un morceau qu’on ne pourra, je pense, pour l’instant, jamais enlever. Les gens qui nous connaissent l’attendent. Je suis mort depuis bien longtemps, ça commence à être un morceau comme ça aussi. On commence à avoir, sur… deux albums et demi, on va dire, parce que le premier, c’est un EP, des morceaux qui sont attendus. De la viande, maintenant, je ne te parle même pas. C’est pareil, tu ne chantes pas De la viande ! (rires) Il est très vrai, ce morceau.

Question un peu bête : comment vous vous êtes retrouvés à l’affiche du New Blood Fest ?

En fait, c’est Arno […] quand La mort appelle tous les vivants est sorti, l’album lui a plu, donc il nous a contactés pour une interview dans Rock Hard. Et puis, il nous a dit « Les gars, de toute façon, moi, ça me plaît tellement que comme on m’a demandé d’être programmeur pour ce festival-là, vous serez sur l’affiche. » Donc c’est comme ça que c’est arrivé.

À l’heure actuelle, quels sont les projets du groupe ?

Alors nous, la semaine prochaine, on va jouer à un festival en Bretagne, le Samhain, et ensuite, on a une très longue période de traversée du désert ; on n’a pas de dates de prévues. Donc en fait, là, on va en profiter pour composer et continuer à surfer sur la vague qui nous porte en ce moment pour sortir le troisième album. On a commencé à travailler, mais là, on va s’y mettre vraiment sérieusement pour essayer de sortir quelque chose dans les deux ou trois ans.

D’ailleurs, c’est le cas pour pas mal de groupes qui jouent au New Blood Fest, qui sont pour ainsi dire sur le retour, dont certains qui ont été inactifs ou très peu actifs pendant longtemps.

Exactement.

Sinon, le doom, c’est quand même une scène qui est assez petite, qui est est surtout concentrée aux Pays-Bas, mais imaginons un peu une grosse date ou un festival de doom à laquelle jouerait Barabbas. Qui verrais-tu en tête d’affiche ?

Parmi ceux qui existent, en tête d’affiche, qu’est-ce que j’aimerais… Candlemass et Saint Vitus, parce que ce sont des groupes qui, pour moi, sont intemporels. Après, dans les groupes un peu plus underground… Putain, c’est une bonne question ça… Qu’est-ce que j’aimerais voir… oui, quand même, Candlemass. S’il y avait la possibilité de faire revenir un groupe qui n’existe plus, ce serait Cathedral. C’est vraiment le rêve.

Sinon, Ecclesia… ?

Ecclesia, pour moi, ce n’est pas vraiment du doom ; on est plus sur du heavy. Mais oui, j’adore ce groupe-là, on en parlait tout à l’heure. Ça et Deathcode Society, pour moi, c’est vraiment deux groupes fantastiques.

On arrive à la fin. Merci beaucoup ! Je ne peux pas dire merci pour la prestation parce que je l’ai manquée, mais merci pour les deux albums qui sont magnifiques. Tu as quelques derniers mots pour conclure ?

(rires) Je te remercie ! Et puis, j’invite les personnes qui liront cette interview à continuer à supporter la scène underground en France, parce qu’on a vraiment la chance d’avoir quand même de beaux groupes dans tous les styles de metal.