Le début de septembre est synonyme de rentrée dans beaucoup de domaines, y compris les concerts. Sounds Like Hell Productions, après n’avoir pas chômé pendant la période estivale, fait la sienne en accueillant la première date française de la tournée anniversaire des trente ans de Symphony X au CCO La Rayonne. Pour l’occasion, le groupe phare du metal progressif américain est accompagné de ses compatriotes d’Edge of Paradise, étoile montante du metal moderne fondé en 2011 et ayant déjà partagé l’affiche avec Kamelot, entre autres. C’est ainsi que ce soir du 10 septembre 2024 voit la fine fleur des progheads de Lyon et alentours se rassembler dans la superbe salle de l’agglomération de la capitale des Gaules, qui a déjà accueilli bon nombre de dates tout aussi superbes, et que je retrouve le lieu plusieurs mois après celle d’Abbath en janvier dernier — à ceci près que je couvre ce concert en solo, qui représente donc mon baptême du feu personnel avec le CCO ainsi qu’avec les deux groupes à l’affiche. Advienne que pourra !
20 heures sonnent lorsque vient le moment pour Edge of Paradise d’ouvrir le bal. Le groupe originaire de Los Angeles fait son entrée en scène sur fond d’introduction samplée aux accents électroniques et de lumière bleue monochrome, l’une comme l’autre à l’esprit très science-fiction et futuriste, avant d’enchaîner sur Soldiers of Danger, qui finit d’immerger le public du CCO dans une ambiance qui s’en revendique tout autant. Estampillé « metal moderne », derrière cette appellation assez vague, le style que pratiquent les quatre Américains — cinq en formation studio — se présente comme à la croisée de plusieurs, entre metal industriel, metal gothique à chant féminin et rock alternatif, le tout agrémenté de quelques penchants neo metal et d’inspirations issues de la musique de jeux vidéo. Un tel mélange est pour le moins particulier et a de quoi surprendre, surtout en ouverture de Symphony X, pas forcément dans le sens positif du terme au vu de sa nature ! Ceci étant dit, Edge of Paradise justifie largement sa présence à l’affiche de cette tournée en mettant en avant son principal atout qu’est : l’efficacité, autant celle de l’écriture de ses morceaux que celle dont font montre ses membres sur scène. Les premiers sont courts et très catchy, assez pop dans l’esprit et aux leads de guitare mélodiques et léchés, portés par les seconds qui livrent une prestation très maîtrisée et qui déborde d’enthousiasme. La chanteuse Margarita Monet se fait remarquer par sa voix haut perchée et par moments criarde, qui contribue pour beaucoup à la personnalité de l’ensemble, secondairement pour sa tenue à LED clignotantes qui ajoute à l’esthétique futuriste. Outre cela, elle se révèle une frontwoman très investie, qui n’hésite jamais à tomber dans les excès gestuels comme vocaux et communique avec le sourire avec une audience qui, de son côté, se montre réceptive. Du côté des instrumentistes, Dave Bates (guitare) et Kenny Lockwood (basse) gardent un certain retrait, laissant la vedette à leur chanteuse, tandis que leur camarade batteur Jamie Moreno se distingue par son jeu aussi fluide qu’expressif, ayant l’air de bien s’amuser derrière ses lunettes de soleil, ainsi que par la nonchalance avec laquelle il remet en place des cymbales récalcitrantes sur l’intro d’un des morceaux. Niveau setlist, Edge of Paradise mise exclusivement sur son dernier album en date, Hologram, sorti en 2023… ou presque, Margarita évoquant un prochain album à venir au moment d’annoncer le dernier single Rogue (Aim for the Kill) ; comme quoi le groupe est aussi efficace dans son travail en studio qu’à la scène. Le temps de set alloué à Edge of Paradise est assez court, mais suffit aux quatre Angelenos pour conquérir des spectateurs qui semblent pour une bonne partie d’entre eux découvrir un groupe qu’ils ne connaissaient pas. Un peu de simplicité ne fait pas de mal, surtout en préambule des complexités de Symphony X, et celle d’Edge of Paradise produit son effet.
Après une courte pause, le temps d’effectuer les balances sur la scène ou d’aller prendre un verre en dehors, les spectateurs sont de retour dans la salle du CCO, plus nombreux que jamais pour accueillir Symphony X et munis pour beaucoup de leur plus beau T-shirt du groupe ; autant dire que l’on a ici affaire à un public de passionnés. Pour ma part, les albums studio m’ayant toujours renvoyé l’impression de productions policées au point d’en devenir rigides et de manquer de relief, je ne sais trop qu’attendre d’une performance scénique des Américains… L’ouverture du set sur Iconoclast, issu de l’album du même titre, m’apporte un début de réponse : ses presque onze minutes passent comme un éclair, éclair qui nous frappe, le public et moi, en plein dans le mille ! Sans plus attendre, Russell Allen tombe les lunettes de soleil et la veste en cuir et le groupe enchaîne avec Nevermore, extrait du dernier opus en date Underworld sorti en 2015 (neuf ans déjà !), morceau encore jeune mais déjà un classique dont le refrain se voit repris en chœur par une poignée de spectateurs, comme je l’observe non sans amusement en me frayant un chemin dans la foule pour changer d’angle de vue. Toujours sans répit et avec la même énergie très communicative, le groupe opère un retour dans le passé avec deux autres classiques, d’abord en 2002 avec Inferno (Unleash the Fire), extrait de The Odyssey, puis en 2007 avec Serpent’s Kiss, extrait de Paradise Lost, dont les riffs très rock font secouer les têtes et le refrain opératique donne à entendre de superbes harmonies vocales de la part des musiciens.
Après cette sainte quaternité d’ouverture, bien plus que de simples applaudissements, c’est un triomphe que le public réserve à ceux-ci ! Russell Allen profite alors de la pause qui s’ensuit pour lui adresser en retour des remerciements chaleureux. « It’s a blessing », dit-il pour exprimer le ravissement que lui inspirent les retrouvailles avec les fans en tournée. Au vu des sourires sur les visages alentours, sur scène comme en face, je n’ai aucune peine à comprendre que l’enthousiasme est à la fois sincère et partagé, ce que ne fait que confirmer la suite du show. Fidèle à ce qui fait son identité depuis maintenant trente ans et, par extension, à ce que son public attend de lui, Symphony X livre le meilleur de lui-même, dans tous les sens de l’expression. Pour célébrer son trentième anniversaire comme il se doit, le groupe a apporté un soin particulier à la setlist de sa tournée, dont le rythme impeccable constitue une des grandes forces en présence : les morceaux s’enchaînent avec la même fluidité que celle avec laquelle l’exceptionnel batteur Jason Rullo passe d’une dysrythmie à l’autre, ces multiples revirements de tempo permettant quant à eux aux cinq hommes de briller, à la fois ensemble et chacun à sa manière. Les prouesses techniques répondent bien évidemment présentes, pour le plus grand bonheur des progheads passionnés de théorie musicale présents dans la salle. À ce sujet, je peux affirmer avec certitude que cette population compte une large proportion d’amateurs de shredding venus admirer la virtuosité de Michael Romeo et qui ne seront pas déçus, le guitar hero, en bon professeur, faisant montre d’une dévotion corps et âme la leçon qu’il administre aux initiés. Pour ma part davantage amatrice de basse, mon attention se tourne vers Mike LePond, dont je me trouve captivée par les prouesses dont il fait montre sur une « simple » quatre cordes, et presque autant par son emblématique moustache.
Il va sans dire que mon temps de prise de vues paraît filer comme une flèche, au rythme d’une setlist qui ne se permet aucun moment de faiblesse. Le seul petit grief que j’émettrai vis-à-vis de cette dernière réside dans l’absence de titres des quatre premiers albums ; une version revisitée de certains aurait en effet été plus que bienvenue dans une tournée anniversaire… Cette absence de « vieux » titres s’explique néanmoins par certains facteurs, tels les contraintes de temps et peut-être le fait que ces morceaux accusent les affres des années, et ne retire rien à la diversité de l’ensemble.
Au-delà des aspects techniques, ces rebondissements dans le rythme et le ton mettent en lumière ce dont cette prestation live de Symphony X tire sa véritable grande force et ce qui fait vraiment la différence, à savoir : l’émotion partagée, sous toutes ses formes, et véhiculée par des interprètes heureux d’être là et qui savent le faire comprendre ; à commencer par Russell Allen, qui s’en fait le principal pourvoyeur par sa performance en tant que frontman. Sur ce point, je ne vois pas de meilleur exemple pour illustrer mes propos que Without You, mid-tempo partiellement acoustique offrant au chanteur un bel espace d’expression(s), notamment sur le refrain, ce qui renforce d’autant plus l’émotion ambiante. Un peu plus tard, il profite de l’outro étendue de To Hell and Back pour faire une démonstration de vocalises aux notes elles aussi étendues. « I can’t handle it! » dit-il en riant après avoir perdu son souffle. En plus d’un chanteur d’exception doté qui plus est d’un certain sens de l’auto-dérision, Sir Allen, comme l’appellent ses fans, se montre un authentique showman interagissant beaucoup avec son public, y compris sans parler. À ce niveau, je retiens le moment où je le vois faire un check à plusieurs spectateurs du premier rang, de même que le long passage instrumental de Run with the Devil pendant lequel il prend le temps de présenter ses confrères qui n’en ont pourtant pas besoin.
Sur scène, la musique très intellectuelle du groupe prend ainsi une dimension supplémentaire, bien plus humaine, s’en trouvant comme libérée des carcans du studio. Cette alchimie entre le quintet et son public paraît atteindre son paroxysme sur le très attendu faux final Set the World on Fire (The Lie of Lies), après quoi le groupe, visiblement facétieux, nous laisse attendre et se faire désirer pendant un long moment… avant de revenir en fanfare pour un rappel de trois titres, dont la magnifique ballade Paradise Lost de l’album éponyme, introduite par un envoûtant solo par le claviériste Michael Pinnella. Enfin, c’est sur Sea of Lies, classique parmi les classiques, que Symphony X clôt son set et nous adresse un ultime salut, toujours dans une ambiance chaleureuse et la bonne humeur.
Pour donner une conclusion personnelle à ce live report, je reconnaîtrai qu’il ne me serait pas venu à l’esprit d’assister à un concert de Symphony X, encore moins de le couvrir pour une raison autre que le fait d’avoir été appelée en renfort pour remplacer des collègues en dernière minute — autrement dit, celle qui explique ma présence au CCO —, ne me sentant pas en capacité de faire preuve d’objectivité vis-à-vis du groupe ni de seulement être réceptive à sa performance. Le show de ce soir m’aura poussée à réviser mon opinion de la plus belle manière qui soit, véritable réussite sur tous les plans et prouvant que démonstration technique et transmission d’émotions sont bien plus étroitement liées que ce que l’on peut imaginer. Plus qu’une agréable surprise, j’en ressors avec un sentiment, de découverte à suivre pour Edge of Paradise, de redécouverte marquant le cœur et l’esprit pour Symphony X. Comme quoi l’on ne naît pas fan d’un groupe, on le devient. Merci Symphony X pour la leçon, à une prochaine fois ; en espérant qu’elle arrive bientôt…