Corentin Charbonnier est un acteur de l’industrie du metal, même s’il n’est pas sur le devant de la scène ! Docteur en socio-anthropologie, vous le connaissez peut-être pour son ouvrage « Hellfest : un pèlerinage pour metalheads », issu de sa thèse de doctorat. Passionné et au service de la scène metal depuis de très nombreuses années, il nous parle aujourd’hui (et avec quelques exclus) de l’exposition « Metal – Diabolus in Musica » qui aura lieu du 04 avril au 29 septembre 2024 à la Philharmonie de Paris dont il est le commissaire !

Corentin, pour commencer, peux tu nous présenter l’expo ?

L’exposition « Metal – Diabolus in Musica » retrace l’histoire du metal, de ses mythes fondateurs aux influences plus récentes. Seront abordés différents sous-genres (pas tous, faute de place – nous avons la Philharmonie, pas tout un arrondissement de Paris), les liens entre la culture metal et l’art (pas uniquement musical donc, mais également visuel), le son metal, les influences extérieures,  les festivals, les cultures locales sans oublier la scène française et les pratiques des metalheads… Je ne détaille pas tout le parcours, mais il devrait y en avoir pour tous les goûts.

Comment le projet est-il né ?

Fin 2021, la Philharmonie de Paris m’a contacté pour assurer le commissariat de l’exposition. Après avoir cru que c’était une blague, on en a échangé, nous nous sommes rencontrés. C’est la première exposition de cette envergure et un sacré défi. En parallèle, la Philharmonie a contacté Milan Garcin, qui a déjà été commissaire d’exposition dont à la Philharmonie pour l’expo Pierre et Gilles, et qui est docteur en histoire de l’art. Nous nous sommes ainsi retrouvés dans mon ancien fief, Angers, où il était de passage. La première bière (Hellfest IPA, on ne se refait pas) échangée, nous avons vite compris que nous voulions travailler ensemble avec chacun nos apports. Milan a fait un doctorat sur Francis Bacon et est un merveilleux expert dans le domaine artistique, ce qui a beaucoup apporté en premier lieu sur les influences et l’imaginaire du metal. Il est lui-même fan de metal (et pas forcément au départ des mêmes sous-genres que moi, ce qui est un vrai plus aussi). Tu le sais, je mange et vis metal depuis largement avant mon doctorat et je continue depuis… mais avoir un autre regard et un autre apport est essentiel et cela a été très enrichissant (j’espère que pour lui aussi). En tout cas, on s’est vite compris et on a vite constaté qu’on se complétait. Bref, un sacré binôme qui a passé des jours/nuits/années au tél, en visio, en déplacement ensemble pour faire cette exposition. Et après, nous avons été aussi grandement aidés par la Philharmonie de Paris, avec deux super stagiaires, Anouck Papaïconomou et Claire Bonnem, une chargée de projet qui connaît le secteur de l’art et des expos, Pauline Mery, et enfin une cheffe de projet habituée à gérer les expos Julie Bénet. Et sans parler des autres services qui ont été, pour certains, totalement parties prenantes de l’aventure (service colloque, service éducation, service édition, service des concerts)… bref, en interne il me faudrait des grandes pages, tout comme les acteurs qui ont été nombreux à rejoindre l’aventure. En dernier lieu et non des moindres, nous avons eu la chance d’avoir deux conseillers scientifiques, acteurs émérites de la scène metal pour nous aider dans cette mission : Christian Lamet et Jean-Pierre Sabouret. Ils sont non seulement des acteurs, mais également des journalistes de renom qui ont couvert la scène metal largement avant que nous soyons en âge d’y être confrontés, ce qui nous a permis aussi d’acquérir d’autres connaissances, liens… car comme nous le savons tous, il n’y a pas une seule histoire du metal ou bible.

Cette expo a l’air assez dingue ! Mais, un événement de cette envergure pour le metal (en dehors de concerts ou festivals), ce n’est pas banal ! Cette expo, elle s’adresse à qui du coup ?

Cette exposition s’adresse au plus grand nombre. En premier lieu, il n’y a pas de raison de faire une exposition que pour les metalheads, ce serait un peu réducteur. Et en même temps, il n’est pas possible de faire une exposition que pour les néophytes. Depuis près de deux ans, nous sommes sur cette ligne : permettre à quelqu’un qui ne connaît pas le metal de découvrir et de s’en saisir en quelque sorte (on n’a pas la prétention de faire devenir les gens qui n’aiment pas spécialement le metal des metalheads… bien au contraire… mais au moins participer à changer les représentations), et, permettre aux metalheads de voir et même découvrir des objets légendaires car, avant tout, nous sommes tous des passionnés. Ça rejoint un vaste débat : le metal doit-il s’ouvrir ? Il est en train de le faire et il le fera : donc autant le faire le mieux possible par des personnes qui y sont actrices.
Je souligne aussi l’importance d’avoir une structure comme la Philharmonie : le lieu est génial, propice à parler de notre culture. La structure a la chance d’avoir un service accessibilité. De ce fait, l’expo propose également un parcours et des objets adaptés, qui, nous l’espérons, sera un réel plus. Le service éducation porte également un intérêt à ce que les enfants puissent profiter de l’exposition et il y aura des éléments interactifs, ça risque d’être bruyant ! Car oui, nous avons choisi le son en mode ouvert, c’est-à-dire qu’il sera présent dans les différentes parties du parcours.

Justement, tu parles de parcours mais quels types d’œuvres va t-on pouvoir y trouver ?

Si je commence par dire des instruments, je pense que je ne surprendrai personne. Mais c’est assez essentiel dans notre culture : avec Milan, nous avons récolté des instruments mythiques. Nous présenterons également des costumes et éléments de scène, des artistes visuels de la communauté metal et d’autres s’étant inspirés de la culture metal, des artworks, des partitions, dessins, gravures, peintures… et bien sûr des objets de collection des metalheads. De mémoire nous avons plus de 300 œuvres à présenter… donc un très large panel d’objets.

Il y a des œuvres en particulier que tu es fier d’avoir pu obtenir ?

Je ne sais pas si nous aurions la même sélection avec Milan… Et il faudrait s’y pencher… c’est sûrement en fonction de nos goûts personnels dans le metal et ce bien que nous ayons fait des prêts dans de nombreux sous-genres. Je prendrais la question sous l’angle des rencontres qui ont amené à des prêts : la basse de Robert Trujillo peinte par sa femme Chloé est magnifique, le masque de Nergal utilisé pour The Satanist, la guitare de Max Cavalera qui nous a été amenée à Paris en personne, l’ensemble des dessins et manuscrits de Gojira, Robb Flynn nous a permis d’exposer sa guitare utilisée pour The Blackening, Seth Anton de Septicflesh m’a amené en France deux tableaux et son frère, Christos Antoniou, deux partitions faites à la main (vous découvrirez lesquelles)… Et puis, bien sûr, grâce aux institutions que sont le Hard Rock Café et le Rock’n’Roll Hall of Fame aux Etats Unis, nous avons la chance de présenter les guitares du Big 4, des éléments inédits… On a eu aussi la chance de récupérer le pied de micro fait par Giger pour Korn, un masque de Slipknot, des artworks de nombreux sous-genres. En nous creusant la tête, en allant à la rencontre de nombreux artistes et institutions, on est quand même globalement fiers de réunir toutes ces oeuvres au même endroit.

Quels artistes ont été particulièrement emballés par le projet ?

Je crois que j’ai déjà bien répondu. Quelle chance, après avoir été acteur pendant  25 ans dans cette culture, d’avoir le soutien de Robert et Chloé Trujillo, de Robb Flynn, de Nergal, de Seth Anton et Christos Antoniou, de Jo et Mario Duplantier, de Max et Gloria Cavalera (et leurs enfants Richie, Igor Amadeus (Jr.)…), de Christofer Johnsson (Therion), de Clémentine Delauney (Visions Of Atlantis)… Et en France, je crois que le premier à nous avoir grandement aidé a été Steph Buriez (Loudblast). Bien sûr, on ne voyait pas la scène française sans lui… Regarde Les Hommes Tomber, Rise Of The Northstar… Il ne faut pas oublier les agents et les labels : Nuclear Blast a été le premier label à nous soutenir et à nous mettre en lien direct avec les agents et artistes, ce qui nous a été d’une aide indéniable et une vraie marque de confiance. M&O, Season Of Mist et Les Acteurs de l’Ombre ont fait de même et nous ont permis d’exposer un grand nombre de groupes (surtout extrêmes). Dans les bookers qui nous ont permis de nous connecter avec le public : Rage Tour, Fred Garmonbozia et Vedettes ont vraiment aidé… Et enfin, les festivals, du national au local, ont également soutenu. En premier lieu le Hellfest, mais également le Motocultor, l’Omega Sound Fest, le Tyrant, les membres de l’équipe d’orga de l’ex- Metal Cultures, le SidFest, le Riipfest… et bien d’autres.

Comment expliques-tu le rapport des artistes metal, et du public, à l’art ?

Alors, là, l’expertise de Milan serait un gros plus. Je vais faire rapide : le metal s’est inspiré de l’art (contemporain ou non), a créé une forme artistique qui dépasse la musique, et est aujourd’hui une source d’inspiration pour d’autres artistes hors de la communauté metal. Le metal n’est pas né de rien, il y avait le rock, le blues, le classique (comme principales sources d’inspiration) et il en a fait de même pour son iconographie. Que cela soit le réemploi d’art visuel pour les pochettes d’album ou dans l’esthétique scénique, il y a toujours eu un lien entre la musique metal et l’Art au sens large et noble du terme. D’ailleurs, le public, en achetant des albums, des tee-shirts, ou même en allant en festival, se confronte à l’art – le Hellfest en est un excellent exemple quand tu vois leur site.
Et les artistes metal, tout comme le public metal, sont des passionnés et sont sensibles à rechercher / découvrir des univers artistiques en lien avec leur culture.

Au-delà de l’expo, il y a un colloque scientifique organisé, peux tu nous en parler ?

Autre service de la Philharmonie, autres missions. Nous avons eu la chance d’avoir la proposition de faire un colloque à la Philharmonie par Mathilde Thomas, Julia Ténier et Chloé Cambreling , mais celui-ci ne sera pas « que » scientifique. Faire une exposition metal est une première à plus d’un sens. Le colloque permettra de réunir de nombreux acteurs de la culture metal pour échanger autour de thématiques variées : le son, l’esthétique, la culture et la communauté, le public, la scène, l’accessibilité, les engagements, etc., entre autres. Bref, le but est d’en saisir l’essence et de participer au changement de regard sur cette musique qui est encore souvent soumise à représentation.

Tout ça est colossal ! L’exposition a t-elle vocation à se déplacer ailleurs qu’en France ?

Ouhlala, on n’en est pas la, il nous reste encore beaucoup de travail pour donner le meilleur à voir au public avec toutes les équipes. Pour être franc, je l’espère car on a réuni dans un même lieu et espace temps des œuvres mythiques. J’espère bien rééditer l’expérience avec Milan et également rajouter quelques (nouvelles) oeuvres car c’est le baptême du feu : si l’expo plaît, nul doute que certains labels et groupes seront plus enclins à prêter également.

Il y a une soirée de vernissage prévue, tu peux nous en dire plus ?

Comme chaque exposition à la Philharmonie, il y a un vernissage, c’est privé et sur invitation. Disons que l’on va avoir les premiers retours en direct de l’exposition par les invités, à la fois hâte et toujours avec un peu d’appréhension, et heureusement les collègues n’auront plus l’excuse du Dry January, car communier le metal, ça mérite un petit verre.

Tu as une anecdote un peu sympa ou rigolote à nous partager sur l’organisation de l’expo ?

Il y en a plein. Disons que le plus drôle quand tu travailles avec des groupes internationaux et parfois en tournée, c’est la temporalité qui n’est plus la même. Quand le téléphone sonne ou qu’un mail urgent arrive entre 3 et 5H du matin, c’est toujours drôle de prendre l’appel ou le mail de certains artistes… Eux sortent de scène et sont parfois en after, ou alors au petit déj, toi tu sais plus ou tu en es. Sinon, dans les anecdotes qui nous concernent tous les deux, je crois qu’avoir le droit à une démo de basse par Robert Trujillo et de longs échanges avec Chloé sa femme sur sa technique de travail, le tout chez eux en Californie, ça va nous rester. Merci à Alexandre Saba d’avoir rendu cela possible.

Une petite news en exclusivité pour Metal Alliance ?

Et bien, préparez vous, car l’expo n’arrivera pas seule, tout le monde a vu les concerts, mais on prévoit un ouvrage bien collector réalisé avec Gründ, un vinyle d’exception réalisé par Verycords ainsi qu’un tee-shirt collector avec Crève Clothing et un bijou collector avec Flibustier. On n’a pas parlé du design de l’expo et des autres produits. Nous avons une incommensurable chance d’avoir le duo Fortifem, qui officie sur les différents designs, c’est une super chance, car au-delà d’être extrêmement talentueux, tu sais d’avance que le design de l’expo va être… Metal. Une exclu… ah ah, allez deux : dans l’expo vous pourrez vivre l’intérieur d’un pit pendant quelques instants… Je pense que ça va nourrir pas mal de questions sur le comment. Et bien sûr… on n’a pas oublié Lemmy.

Crédit photos : Corentin Charbonnier

Communiqué de presse : CP-EXPOSITION-METAL (1).pdf