Alors déjà, je suis super contente de t’interviewer ! Merci de prendre un peu de temps. Évidemment j’ai quelques questions. La première va bien sûr traiter de du nouvel EP : qu’est-ce qui fait que vous n’avez pas sorti un album complet mais que c’est un mix avec du live, des remix et des nouveautés ?

Alors, la réponse honnête serait qu’on n’avait pas assez de morceaux pour un album, mais c’est pas seulement ça ! Comment dire… la logique de l’album — sortir un album, faire une tournée —, même s’il y a pas mal de groupes qui fonctionnent encore comme ça, faut bien avouer que c’est une logique un peu en train de mourir petit à petit. Et on nous a proposé de sortir des morceaux de temps en temps. Alors, là, quand même, sortir que des morceaux isolés, moi ça me gêne un peu donc on a préféré sortir un EP. Au départ, on devait sortir juste un 3 titres et puis on s’est dit « Bon, tant qu’à faire, on va maximiser ça un peu pour faire un vrai EP à l’ancienne », comme quand on faisait un mini-album mixte, donc un peu de live, des remix, etc. Mais basiquement, l’idée, c’est que l’album en lui-même est comme un passage obligé, constant : un an, un album. Ben tout ça, c’est un peu fini… Et puis en plus, il y a quelques EP historiques qu’on aime beaucoup, comme Broken de Nine Inch Nails, c’est à dire que c’est un mini-album.

Est-ce qu’il y avait quand même une cohérence sur les 3 nouvelles chansons incluses à l’EP ou est-ce que des ce sont des choses que vous avez faites indépendamment ?

Alors nous, on se pose jamais la question de la cohérence. La cohérence, elle se fait toute seule, ou pas, et quand elle se fait pas, la cohérence est dans l’incohérence (rires). Parce que vous, ça peut vous sembler très cohérent ce qu’on a fait, à beaucoup de niveaux, mais c’est très très incohérent, notamment dans les paroles, mais ça c’est pas une nouveauté chez nous, les paroles incohérentes ! Mais là, c’est de mieux en mieux, ou de pire en pire. J’ai complètement abandonné les notions telles que le sens ou la narration. Là, je ne fonctionne plus que par mots qui riment plus ou moins et par rythme. Voilà… c’est de la flemme, beaucoup. Non mais en fait, en étant très fan de collage spécial ou de cut-off, c’est décidément logique… donc la cohérence pour nous, c’est pas « on se pose autour d’une table pour réfléchir à ce qu’on va faire« . C’est « on fait les choses et à un moment donné, des lignes apparaissent (ou pas)« . Et quelquefois, elles apparaissent longtemps après. On s’est rendu compte qu’on avait fait des albums où il y avait des thématiques qui finalement apparaissaient très fortement, mais dont on s’était pas rendu compte du tout au départ. Des choses qui faisaient sens, qui se mettaient à faire sens bien après, de façon imprévue. Voilà… donc on a arrêté d’essayer d’être intelligents, mais, dans le meilleur des cas, ça se passe tout seul !

Justement, vous faites comment en termes de processus créatif : vous posez d’abord la musique ou d’abord les paroles ?

Alors, c’est très variable. Les paroles, c’est souvent la dernière roue du carrosse, c’est-à-dire que c’est pas ce qui importe le plus (rires), On part souvent en essayant de caser des vieilles paroles ou des morceaux de vieilles paroles, mais comme généralement il n’y a qu’une partie du texte qui fonctionne, et puis une partie d’un autre texte qui n’était pas du tout censé aller avec, on se retrouve à mélanger des choses qui n’étaient pas prévues, donc souvent le texte est un espèce de matériau où on va piocher. Mais on part pas du texte, ça, c’est certain. On n’est jamais partis d’une idée ou d’un concept pour un morceau. C’est essentiellement de la musique, en rythme, puis, très vite, on prend dans les réserves de mots qu’on a pour essayer de caser des paroles sur le rythme, et puis on voit ce qui fonctionne. Pendant très longtemps, je faisais ça, mais avec des textes de chansons, de chansons pas de nous du tout. Je prenais des textes qui me revenaient de mon adolescence, je chantais sur les trucs et puis le moment où il fallait vraiment écrire des paroles, je me disais « Bon, ben, on va garder la structure rythmique. Il nous reste plus écrire de nouvelles paroles là-dessus. » J’ai découvert plus tard que c’était exactement ce que faisaient énormément de gens dans les années 60 et 70 où vous preniez un morceau très connu et écriviez exactement sur le rythme. Voilà, donc, finalement, je me sens un peu moins seul (rires)

C’est pas mal ça ! Bon, quand on cherche sur internet, on trouve quelques-unes de vos grandes influences. Mais est-ce qu’elles ont évolué dans le temps ?

Alors, oui et non. Oui, parce qu’on continue à être assez ouverts ! Enfin, je suis à la fois très ouvert à la découverte de nouvelles choses et très très fermé à n’écouter que des vieilleries. Mais je suis très ouvert à la découverte de nouvelles vieilleries. Bon, après, je veux pas être complètement allergique à la nouveauté.

Tu as une nouvelle vieillerie à nous recommander par exemple ?

C’est difficile parce que j’écoute en moyenne cinq ou six albums par jour que je n’avais jamais écouté de ma vie. Il y en a beaucoup que je ne réécouterai jamais. Pendant très longtemps j’ai tout gardé sur mon disque dur en me disant « Peut-être que tu réécouteras un jour parce que c’est bien. » Maintenant, j’arrive à faire un tri et à me dire « C’est très bien, mais tu ne le réécouteras jamais. » Donc c’est un petit peu difficile mais le truc qui me vient en tête, et je n’avais jamais écouté, c’est une artiste française des années 70 qui est Catherine Ribeiro. C’était une méga star dans les milieux underground français et c’était une sorte de diva expérimentale. Et je n’avais jamais écouté ça, dont j’avais pourtant toujours entendu parler. Elle avait plus de succès que Brigitte Fontaine dans les années 70. Elles étaient souvent sur les mêmes scènes, sauf qu’elle avait beaucoup moins d’humour que Brigitte Fontaine et c’était beaucoup plus frontal ! Sa musique était une espèce de rock progressif, avec une diva par-dessus chantant des trucs très punchy. Comme une espèce de Janis Joplin sous speed et c’est une expérience. Par exemple, j’ai téléchargé un album, je l’ai écouté, j’ai fait « Wow, c’est incroyable. »

On ira écouter alors !

Bon, ça a terriblement vieilli. Enfin, ça sent terriblement les années 70. Ça se rapproche plus de Diamanda Galás que de que de Brigitte Fontaine par exemple. Donc, grosse découverte, que je ne réécouterai probablement jamais, mais qui m’a qui m’a fait un choc, un choc auditif.

Ok ! C’est personnel mais, pour moi, une des plus-values de Punish, c’est que vous arrivez à mettre des ambiances dans chaque chanson, tu vois ? Quand on écoute une de vos chansons, c’est toujours une putain d’ambiance et moi j’associe ça, soit à des envies, soit à des émotions. Qu’est-ce que vous essayez de susciter chez les auditeurs. Déjà, est-ce que vous essayez de susciter un truc et si oui, quoi ? Ou pas…

Non, non, non, on essaie de susciter quelque chose, mais on ne détermine pas ce qu’on essaie de susciter. Bon après, si… il y a des morceaux qui vont être un peu plus langoureux ou un peu plus très très énervés, donc forcément, là, on sait que l’ambiance est plus claire. Après, je pars du principe que ce qu’on propose est aussi une toile blanche pour le public. C’est à dire que le public projette ce qu’il a envie de projeter mais, par contre, on essaie très clairement de faire en sorte que la toile soit là. On essaye de fournir un espace de projection, c’est-à-dire de donner quelque chose qui n’a pas forcément un sens clair et précis. Chacun peut s’investir comme il a envie de s’investir. Mais s’investir, c’est l’essentiel. On a toujours eu un rapport au public, à la fois de comme une lutte et une émulation. Le concert n’est pas qu’un concert : on est dans un espace, une zone temporaire hors du monde où on peut être ce qu’on veut comme on veut.

En 2008, je ne vous connaissais pas et vous jouiez au Brise-Glace à Annecy. J’ai eu une des meilleures expériences de toute ma vie. Et vraiment, je me rappellerai toute ma vie, il y avait les grilles en plus ; ça, vous le faites de moins en moins !

Ça fait plus, on fait plus, on a arrêté.

Ben, c’était une découverte et une vraie expérience et c’est ça que j’ai adoré !

On a une grosse partie de notre public qui ne nous écoute jamais à côté et qui vient que pour les concerts. Mais après on a aussi des gens qui s’intéressent à ce qu’on fait en studio.

Après, vous êtes un groupe de live…

C’est clair ! Moi, le studio, j’aime ça une fois que c’est terminé. C’est pas un plaisir, c’est même un peu difficile… mais oui, 2008 je me rappelle très bien ! Enfin, je me rappelle pas de tout le concert. Mais je me rappelle d’un truc précisément. C’était la première fois qu’on jouait un morceau et il y avait dans le public la personne pour qui le morceau en question avait été écrit !

Oh, c’est trop bien !

C’est un morceau que je n’avais pas le droit de jouer pendant des années, pour des histoires personnelles. Et c’était la première fois… En plus, on était très contents de jouer avec Treponem Pal. C’est le groupe qui m’a décidé à prendre un micro et à chanter ! C’était aussi la première fois…

Ah c’est cool ! Justement, ça, ça me permet d’amener la question suivante ! Tu recommanderais quoi de vous pour commencer Punish Yourself ? Quelle chanson pour rentrer dans votre vaste répertoire, pour un néophyte ?

Oh, je dirais Suck my TV, qu’on joue pas depuis un petit moment d’ailleurs, mais alors je ne dirais pas Gay Boys in Bondage. Je sais… plein de gens diraient ça, on la joue pas depuis longtemps, mais il faut qu’on la rebosse d’ailleurs. Mais c’est pas représentatif de ce qu’on fait maintenant en plus, donc je dirais Suck my TV. Après, j’aimerais dire un morceau qu’on vient de sortir ! Mais là, je vais être un peu réaliste : on n’est pas un groupe de première jeunesse. On peut pas faire comme si on n’avait pas un lourd poids du passé, d’albums que les gens adorent. À partir d’un moment, ils continuent à venir nous voir en concert, mais ils ne connaissent pas les nouveaux morceaux ! Mais c’est pas grave ! Et ce qui est bien avec un EP aussi quelque part, c’est que comme il n’y a que trois nouveaux morceaux, on peut espérer que les gens les mémorisent un petit peu plus que quand on sort en album où, en vieillissant, les gens ont de moins en moins de capacités de de mémorisation sur les nouveaux morceaux.

Oui et puis t’as le facteur « c’était mieux avant » aussi…

Toujours… mais on n’essaie pas de refaire ce qu’on faisait, c’est le truc aussi. Les gens nous disent « Pourquoi vous faites pas de nouveaux morceaux techno comme ça, comme avant ? ». Mais parce que ce n’est pas ce qu’on a envie de faire ! C’est pas qu’on ne sait plus, on pourrait refaire des trucs, mais ça serait de l’auto-parodie donc bon…

Une question que j’ai oublié de poser quand même sur l’EP, on te l’a peut-être déjà posée mais… c’est quoi le délire autour du 23 ?

Alors le 23, la vraie histoire, c’était qu’on cherchait un titre et on n’avait aucune idée. On savait que ça sortirait en 2023. Ça aurait été 2024, on aurait choisi le 24 et ça n’aurait eu aucun sens. Mais le 23, j’ai réalisé que ça avait quand même du sens. Justement, le sens qui est apparu derrière en me rappelant que c’est un chiffre (…) un chiffre… mais qu’est ce que je raconte, c’est un nombre ! Mon Dieu, j’ai été, j’ai été professeur des écoles… Donc c’est un nombre le 23, pas un chiffre ! Donc ça a un sens. Enfin… ça a plusieurs sens, mais ça a un sens par rapport à William Burroughs, qui est un de mes auteurs préférés et qui est une des grosses influences du processus créatif par collage/découpage. Ça a un sens dans la magie du chaos ou le discordianisme qui, malheureusement, est à l’origine, involontairement, de beaucoup de mouvements conspirationnistes qui ont pris au premier degré des livres qui étaient des parodies du conspirationniste (rires). On y retrouve beaucoup le 23. J’ai même réalisé qu’un plug-in de l’ordinateur que j’utilise s’intitule le 23 words, qui est un générateur aléatoire dans lequel on entre 23 mots ou sons et qui ensuite sort des séquences aléatoires et que j’ai pas utilisé, que je voulais utiliser mais finalement, sur l’EP, ça ne s’est pas fait. Donc c’est pas partie du sens ésotérique, ou occulte, mais ça l’a rejoint. Comme on aime bien l’idée des trucs qui ont l’air d’avoir un sens… Voilà ! On a la structure d’un sens, la structure d’une idée, la structure d’un concept. Quand on creuse, il n’y a rien derrière, il n’y a rien à l’intérieur, mais la structure est là et comme beaucoup de choses, la structure, c’est finalement le plus important. Parce que chacun y met un peu ce qu’il veut.

Est-ce qu’il y a, parmi tout ce que tu as fait, une chanson dont tu es le plus fier ?

Avec Punish, il y en a plein mais après, vraiment, bizarrement, les trucs dont je suis le plus fier, et le seul truc que pendant longtemps j’ai été capable de réécouter, c’était pas un album de Punish, mais c’était le side projet 1969 Was Fine. Je suis très fier de l’unique album qu’on a sorti. Allez, avec Punish, il y en a une particulièrement dont je suis vraiment fier, parce que je suis pas très doué pour écrire des trucs mélodiques et là c’est venu tout seul, c’était Dead White Skin sur l’album Gore Baby Gore.

Je l’ai écoutée en venant ! ll y a une voix black metal dessus, elle est ouf !

C’était aussi un morceau écrit pour quelqu’un. Un des rares textes de Punish qui a du sens. C’était à l’époque où je j’essayais encore quelques fois de parler de trucs qui me tenaient à cœur, voilà.

Est-ce que t’as une anecdote de live sympa à nous raconter pour finir ? Un truc rigolo !

Oh, j’en aurais plein mais je vais essayer d’en trouver une un peu plus récente. Là, ce qui me revient en tête d’un seul coup, c’est un concert qu’on a fait. Il y a donc eu la tournée d’avant avec le batteur précédent où, après le concert, il y a eu une fête. Moi, j’ai pas assisté à cette partie-là, mais c’était dans une sorte de maison des jeunes avec des gens pas du tout corporate qui s’étaient vraiment embêtés à tout organiser. C’était dans un petit village perdu au fond de je sais pas où, et donc mon collègue, il a pris un extincteur et il a envoyé de la poudre bleue dans toutes les loges. Il a recouvert l’intégralité des murs… Quand on est arrivés, on s’est demandé ce que c’était que ça, et lui, il est arrivé comme une fleur. Il nous a dit « Je crois que c’est l’extincteur » et il a crié « Vite, il en faut plus ! »… Après quoi, le lendemain, j’ai dû revenir sur les lieux parce que mon sac était resté là. Je ne l’avais pas trouvé. Il était recouvert de poudre bleue, il était invisible, comme un trompe-l’œil. Et ça, c’était que le début de la soirée, parce qu’après les gens locaux ont fait une after un peu entre eux ou c’était très « hippie de la campagne », et mon collègue m’a convaincu qu’il fallait qu’on reste absolument sur place parce que les gens avaient l’air trop sympas, les filles avaient l’air top trop sympas et moi comme j’étais bien, j’avais déjà bu, ben il a réussi à me convaincre. Évidemment non, c’était pas une bonne idée… Enfin, si… les gens étaient sympas mais ils ne s’intéressaient pas du tout à nous, notamment pas les filles. Donc au bout d’un moment, j’ai fini par dire « Je m’en vais, c’est pas possible. » Et pour rejoindre les bungalows où on dormait, j’ai dû traverser un champ de maïs, il avait plu énormément et je me suis enfoncé jusqu’aux genoux, j’ai rampé, etc. C’était le Vietnam et je suis arrivé dans le village de bungalows et là… tous les bungalows se ressemblaient. Impossible de retrouver le bon. Impossible, donc j’ouvrais des portes, il y avait des gens que je ne connaissais pas qui m’engueulaient et là… j’ai fini par retrouver le camion et je m’apprêtais à dormir dessous pour me protéger de la pluie quand j’ai réalisé que la porte, par miracle, était ouverte et donc j’ai pu dormir à l’intérieur. Et le lendemain, on attend mon collègue qui était resté sur place, qui a essayé de parler à des filles et qui est revenu à je ne sais pas quelle heure mais qui n’avait pas traversé le Vietnam, les champs de maïs. Je l’ai un peu engueulé, il s’était visiblement réveillé de mauvaise humeur, et il s’est mis à insulter de tout le monde, comme si on était responsable du fait qu’il ne trouvait plus ses clés. On a failli devenir violents ce jour-là et l’attacher à un arbre et le laisser là en partant. Mais finalement on l’a pas fait parce qu’on n’est pas comme ça.

Trop bien, ça termine trop bien l’interview. Merci pour ce petit moment d’échange et on se voit plus tard pour le live !