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Il n’est nul besoin de se revendiquer expert en la matière pour savoir que l’union des différences peut faire des merveilles, comme l’Histoire l’a maintes fois démontré ; l’Histoire au sens large, au travers de diverses alliances entre pays, tout comme au sens plus restreint qui est celui de l’union de divers courants musicaux. Dans un cas de figure comme dans l’autre, les exemples ne manquent pas. Parmi eux, celui d’Udånde, one-man-band fondé en 2020 par Rasmus Ejlersen, fait figure d’illustration exceptionnelle pour l’un comme pour l’autre. Depuis bientôt trois ans, le Danois expatrié en Slovaquie y produit, épaulé par le label allemand Vendetta Records, un black metal aux atmosphères lourdes et hivernales, mais aussi élégantes et mélancoliques, issu de ses racines scandinaves. En résultait au début 2021 l’excellent premier album Life of a Purist, auquel son créateur ne perd pas de temps pour lui donner un successeur courant décembre 2022, intitulé Slow Death – A Celebration of Self-Hatred. Au travers de ce nouvel opus, Rasmus Ejlersen et Udånde offrent au monde une preuve, une des plus belles qui soient, que l’union des différences peut non seulement faire des merveilles, mais aussi produire des résultats au-delà des espérances.
Le black metal atmosphérique, pour qui en chercherait une définition simple, se caractérise par des riffs issus du premier genre venant se greffer à la base ambiant du second. Cependant, il paraîtrait bien trop simpliste de résumer Slow Death à cette seule combinaison, tant l’album recèle d’une richesse incroyable qui se révèle au fil des six morceaux qui le composent, et révèle par là même celle du projet Udånde dans sa globalité. Cette richesse, Rasmus Eljersen la tire, en premier lieu, de celle des multiples genres dans lesquels il puise, en outre, de son propre univers mental pour le moins chargé. Inspiré en effet de longues années marquées par des épisodes de dépression, d’anxiété et par la prise de traitements psychiatriques, Slow Death se veut comme une synthèse de cette période, avec tout ce qu’elle implique de hauts, de bas et de contradictions. Ainsi, bien que ces éléments issus du black metal, plus notablement du DSBM, demeurent les bases fondatrices de l’album, ils occupent en réalité une place toute relative par rapport à ceux issus du doom/death tel que les pays scandinaves savent en produire.
Le premier de ces éléments, au sens le plus flagrant, est la voix death profonde de Rasmus Eljersen, en contraste direct avec le chant black plus classique assuré par Lars Johansson sur Life of a Purist. Un choix qui dénote et a de quoi surprendre, mais qui ajoute une gravité supplémentaire à un album déjà bien chargé en la matière. Cependant, cette voix, elle aussi, se fait assez peu présente, son rôle se résumant à renforcer la densité déjà apportée par les instruments et la mise en avant des autres éléments doom/death au travers d’eux. Parmi eux, le plus notable et un des plus puissants est la basse, lourde, résonnante et omniprésente, en particulier sur We Should Welcome the Suffering, dont elle constitue la colonne vertébrale, ainsi que sur l’introduction de Remember not to Praise the False King. En parlant d’introductions, ce sont bien à leur niveau que la présence et l’exploitation du doom/death se fait la plus prégnante. Chez Udånde, la mort est lente, comme l’indique le titre de l’album, et toutes celles de Slow Death le rappellent chacune à sa manière, planantes pour le titre d’ouverture et extrait promotionnel I’m not a Pessimist, I’m a Realist, en arpèges pour We Should Welcome the Suffering, grinçante pour And Denied All Sense and Reason, pour ne citer que ces exemples. Mention spéciale, tout de même, à celle de I Mean, Who Am I to Blackout?, interminable et dont la lenteur empruntant au funeral doom crée une tension digne d’un thriller, ainsi qu’à celle de Remember not to Praise the False King, dont les accents noisy ont de quoi brouiller les sens… En parlant de flirts avec différents genres musicaux, Rasmus Eljersen s’en permet parfois d’autres moins attendus, s’aventurant vers des horizons progressifs avec la montée en puissance de Who Got Diagnosed Years Later, ou même du côté du pagan avec la rythmique militaire et le passage clean au milieu de Remember not to Praise the False King — encore lui !
En parallèle de tous ces éléments faisant parfois davantage pencher la balance du côté du death metal mélodique nordique que du black metal, d’autres issus quant à eux de ce dernier style contribuent, eux aussi, à retranscrire la dysthymie et la misère ayant traversé — transpercé — l’âme de Rasmus Eljersen treize années durant. À leur centre, et à celui de Slow Death, les riffs trouvent leur place, à la fois puissants et mélodieux, entraînants, voire presque dansants par moments, au travers de guitares au son grésillant soutenues par une batterie chargée en double-pédale et blast beats. En complément de ces riffs, Slow Death comporte son lot de mélodies qui agrippent l’esprit, à l’image des maux de leur créateur. La densité est là aussi au rendez-vous, au point de laisser légitimement craindre à des morceaux trop chargés et par là indéchiffrables. Fort heureusement, le fondateur d’Udånde s’est entouré de spécialistes dont l’expertise technique, couplée à son talent d’écriture, prévient l’album de tomber dans ces écueils. Il convient alors de souligner l’excellence du travail, d’une part, de l’ingénieur du son slovaque Martin Barla, qui fait paraître une batterie pourtant synthétique plus organique que nature — notamment sur ses quelques passages solo —, d’autre part, du producteur Patrick MacDowall, qui donne à chacun des instruments et parties vocales sa place dans le mixage de façon à apporter l’équilibre à l’ensemble.
L’équilibre, en vérité, est le maître mot régissant Slow Death – A Celebration of Self-Hatred — et le projet Udånde dans son ensemble. Ceci, à tous les niveaux, entre noirceur et clarté, simplicité et complexité, atmosphères lourdes et aériennes, et influences d’un genre et de l’autre. Un équilibre fragile et sur le fil du rasoir, à l’image, somme toute, de la psyché de celui qui en est à l’origine… mais que ce dernier parvient à atteindre et maintenir tout au long de six morceaux — ainsi que, sur les versions numérique et vinyle, de deux titres bonus revenant aux fondamentaux de l’ambiant, dont une revisite d’un titre du précédent album sur une recette à base de basse et pédales d’effets. Rasmus Eljersen fait par là d’Udånde l’exutoire d’un esprit recelant une richesse à la hauteur des tourments qui l’animent, et de ce deuxième album une des découvertes indispensables parmi les sorties de la fin 2022. Gageons que cet esprit ne tardera pas à dévoiler de nouveau partie de sa richesse, faisant émerger du pire le meilleur…