Les Chants de Nihil, Lunar Tombfields
Manoir Pub à Saint-Maurice, Suisse
Date 21 avril 2022
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Cédric Ferret
https://manoirpub.ch

L’ambiance d’un manoir serait, aux yeux de nombreuses gens, idéale pour une performance de black metal. Il ne pouvait alors pas mieux tomber qu’en ce soir du 21 avril 2022, c’est un Manoir, celui de Saint-Maurice, qui accueille Lunar Tombfields et Les Chants de Nihil, deux fiers représentants du genre ayant pour point commun de jouer sous la bannière des Acteurs de l’Ombre Productions. Nouveaux fleurons pour les premiers, vétérans pour les seconds, les deux groupes venus de France comptent bien communiquer leur metal noir aux atmosphères aussi macabres qu’élégantes à leurs voisins francophones. Sous une lumière tamisée, dans l’ambiance calfeutrée de la salle de concert du Manoir Pub, le show peut commencer.

Sur fond d’une introduction atmosphérique imposant le silence, les musiciens de Lunar Tombfields font leur entrée sur la scène. Formé de deux membres en studio, de quatre en live, le line-up est ce soir réduit à trois musiciens, sans que la partie de basse ne soit assurée. De cette déconvenue en découle une autre ; à savoir qu’il est difficile, en effectuant les balances d’un groupe privé de basse, d’aboutir à un résultat concluant… Malgré cela, les trois hommes, bien loin de perdre leurs moyens, tirent parti au maximum de cette configuration en mettant l’accent sur les mélodies des deux guitares ainsi que sur les parties vocales du frontman M.

Fort d’une très jeune carrière débutée en 2020 et ayant abouti à la sortie d’un premier album, The Eternal Harvest, en février dernier, Lunar Tombfields a pourtant beaucoup à offrir à son public. Le groupe joue un black metal atmosphérique à l’image de son nom évoquant la mort et la nuit, chargé tout à la fois en onirisme poétique et en mélancolie brute. Ces caractéristiques transparaissent aussi bien dans les lamentations des deux guitares que dans celles de M. — par ailleurs écrites d’une plume aussi charmante que sobre pour qui prend le temps de les lire. L’éclairage bleu ainsi que la fumée entourant les trois musiciens achèvent de compléter cette atmosphère froide et brumeuse. Les morceaux, bien que peu nombreux, possèdent une durée assez longue et, surtout, suffisamment de richesse en matière d’arrangements et de mélodies pour immerger l’audience dans l’ambiance. Malgré la configuration inhabituelle, les trois musiciens assurent le show avec un professionnalisme qui fait plaisir à voir ; celui d’entre eux derrière la batterie, notamment, se montre très minutieux dans son jeu. Impressionnant pour Äzh qui, comme nous l’apprendrons plus tard, a remplacé le batteur de session live, retenu en France pour raisons personnelles ! Il en est de même pour le second guitariste, bassiste à l’origine ayant troqué son instrument pour une guitare et dut apprendre la partie concernée en quelques heures ; ceci expliquant son jeu hésitant par moments…

Austères et intimidants sur scène, les trois musiciens de Lunar Tombfields se révèlent fort sympathiques et accessibles en dehors. Nous avons ainsi l’occasion d’échanger avec eux autour de leur tournée ainsi que de leur projet de sortir un second album, avant de retourner devant la scène pour la prestation de leurs compatriotes de pays et de label des Chants de Nihil. Venu faire la promotion de son dernier opus en date, Le tyran et l’esthète — ayant eu l’infortune de sortir en janvier 2021, en pleine période Covid —, le groupe breton rattrape son retard en centrant son plan de conquête du monde — du moins de la Suisse pour ce soir — sur cet album.

L’entrée en scène du groupe, dans la fumée et sur fond des premières notes du titre Entropie des conquêtes éphémères, annonce la couleur : les Bretons n’ont certainement pas effectué 800 bornes de trajet pour rendre une simple visite de courtoisie à leur public suisse. Bien au contraire, ils comptent plutôt servir à ce dernier une bonne portion de black metal à la sauce française, c’est-à-dire bien saignante… et pour cela, rien de tel que de prendre le public de front ! Les Chants de Nihil tire dans le mille dès cette entrée en matière chargée en frénésie guerrière qui se voit accueillie avec les honneurs. Le morceau suivant, Ma doctrine, ta vanité, à l’intro et aux refrains en forme de chœurs militaires, annonce une suite de prestation à son image : rapide, épique et martiale. Fort d’une solide expérience et muni d’instruments aussi calibrés que sa setlist, le groupe frappe fort, vite et surtout juste, chacun jouant son rôle à la perfection. À ce titre, l’artillerie lourde se retrouve à l’arrière de la scène, où le batteur Äzh impressionne par sa capacité de frappe au débit d’une mitraillette. En première ligne, le frontman Jerry mène l’assaut en compagnie de ses frères d’armes ÖberKommander et Mist, tous trois possédant des cordes vocales aussi acérées que celles de leurs guitares et basse. La discipline de fer que s’imposent les musiciens s’illustre jusque dans leur tenue vestimentaire ; tous quatre portent en effet le même brassard rouge. Avec Les Chants de Nihil, on file droit, ou on ne file pas, et le public semble avoir choisi ce soir la première option !

Entre deux rafales de riffs, Les Chants de Nihil sait prendre des moments de repli sur les mid-tempos de La crue et Danse des morts-nés. D’une solennité accrue apportant une touche d’émotion dans ce monde de brutes, ces deux morceaux ont également pour eux le mérite d’offrir à ÖberKommander l’occasion d’exprimer l’étendue de sa vélocité sur l’instrument à quatre cordes. Si son confrère Thomas tire à la mitraillette à la batterie, lui manie un canon. Cette alternance bipolaire entre rapidité et ralenti, cris rauques et clairs, atteint toutefois son apogée sur le titre éponyme du dernier album, Le tyran et l’esthète, dont le titre annonçait déjà la nature duelle. Une nature qui s’exprime en pas moins de huit minutes ; c’est long, mais bon sang, c’est bon !

Après avoir fait le tour des meilleurs moments de son dernier opus, Les Chants de Nihil achève son plan de conquête sur un retour aux sources avec Rouge comme tes lèvres, extrait de sa toute première démo (!), puis le mélancolique Dame Silence, qui portent le coup de grâce à des spectateurs qui en redemandent. Le groupe répond alors à cette demande en invitant ses nouveaux disciples à le rejoindre au stand de merchandising et, au vu de l’impact laissé sur le Manoir Pub ce soir, quelque chose me dit que les ventes seront bonnes… Je ne peux en tout cas pas me retenir de succomber à la fièvre acheteuse et de me procurer un T-shirt ainsi qu’un exemplaire de l’album Le tyran et l’esthète.

Cette soirée 100 % black metal sur les terres voisines de la Suisse, et ce malgré les quelques déconvenues subies par Lunar Tombfields, aura offert une fois de plus une belle démonstration du savoir-faire français en la matière, ainsi qu’une bonne leçon sur la discipline nécessaire à tout musicien qui se respecte. Et putain, quelle leçon.

Lunar Tombfields

Par Cédric Ferret

Les Chants de Nihil

Par Cédric Ferret