Cepheide
Les échappées
Genre Black Metal atmosphérique
Pays France
Label Les Acteurs de l'Ombre Productions
Date de sortie 03/12/2021

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Pour les astronomes amateurs ou professionnels, le nom de Cepheide désigne une étoile plus massive que le Soleil. Aux mélomanes adeptes des ambiances sombres et saturées, ce nom évoquera les épopées atmosphériques plongeant au cœur de l’infinité de l’espace, fruits de l’imagination d’un homme, nommé Gaetan Juif. Ce musicien aussi talentueux que mystérieux produit depuis 2013 un black metal comme lui seul semble en avoir le secret, sombre, froid et si paisible à la fois… Après quelques années à ne compter que sur lui-même pour produire ses sorties, parmi lesquelles un premier album intitulé Saudade en 2017, Les Acteurs de l’Ombre l’extraient en 2019 des ténèbres. En 2021, toujours sous leur houlette et désormais seul aux commandes de Cepheide depuis le départ de tous ses collègues musiciens, Gaetan se renomme Joseph Apsarah et sort un second opus baptisé Les Echappées. Pour l’occasion, le Juif converti à l’hindouisme (ndlr : le terme apsara désigne des nymphes célestes dans la mythologie hindoue) laisse de côté la thématique de l’espace pour plonger l’auditeur dans son propre monde intérieur, se livrant ainsi dans toute sa personne.

Le premier morceau, Le Sang, rassure tout de go les fans de longue date : si le créateur de Cepheide change de nom et de thème, il n’abandonne pas pour autant son style emblématique. Ainsi, ce sang qui coule dans les veines de Gaetan/Joseph ne prend pas sa couleur rouge habituelle, mais se teinte des couleurs d’un black metal extrêmement dense, aussi bien dans sa musicalité que dans les émotions qu’il transmet. Dense en distorsion, en dissonance et en ciels orageux, la musique que Cepheide partage dans Les Echappées l’est tout autant en harmonies, mélodies planantes et eaux profondes claires ; tout autant d’éléments contribuant à faire pencher la balance du côté des ambiances atmosphériques. Pour un peu, on entendrait presque l’humidité goutter le long des couloirs exigus et sinueux formés par le riffing et les blasts… Un rien de black dépressif, aussi, dans les cris dont le cinquième titre tire son nom ; tout à la fois stridents et cristallins, tels une grêle noire ou bien des éclats de glace perçant les tympans dans un tintement.

Tout au long des six titres de l’album, Joseph Apsarah marche sur cette corde raide et entraîne avec lui son auditeur. Ceci en invitant ce dernier, non sans fermeté, à explorer le gouffre obscur millénaire tortueux de L’Oubli, mais aussi, non sans bienveillance, à profiter des moments de calme à la lueur d’une lampe sur fond d’envolées romantiques entre deux coulées dans Le Sang et Les Larmes. Le nouveau venu peut en tout cas se sentir rassuré : nulle raison de craindre la chute tant que le maître de maison est là pour le guider…

Les Echappées, comme l’indique son titre, tisse sa toile autour du désir de laisser s’évader le flux d’émotions accumulées depuis trop longtemps et des canaux par lesquels ce dernier s’écoule. Ainsi, l’alcool désinhibiteur qui coule à flots dans L’Ivresse, ou la bile vomie à profusion dans La Nausée, se teintent également de ces belles couleurs de l’ombre et du gel. La constance dans cette combinaison entre black metal agressif et passages plus éthérés confère à l’album une uniformité qui constitue peut-être son principal défaut et fera paraître les quarante-deux minutes d’écoute un peu poussives à certains, la durée relativement longue des titres y contribuant… Les deux morceaux sus-cités apportent toutefois un contrepoint à cette impression de tout identique de par les élans de surprise qu’ils comportent ; les guitares plus distordues que jamais pour le premier, les envolées de chant clair pour le second. Ainsi, pas d’inquiétude à se faire quant à l’harmonie de ce mariage : ténèbres et lumière savent que ne pas tomber dans la routine est essentiel pour entretenir la flamme…

L’appréhension d’un album tel Les Echappées se trouve bien loin d’être simple et dépendra de l’appétence de chacun de ses auditeurs pour les genres dont il se revendique. À ce titre, il paraît juste d’affirmer que plusieurs écoutes seront nécessaires, y compris aux adeptes les plus aguerris, pour l’assimiler dans toute sa complexité. Difficilement déchiffrable de par le chaos bouillonnant dans lequel se mêlent l’ensemble des instruments et se noient les voix, d’aucuns pourraient en outre se sentir oppressés par le vase clos du thème introspectif, exact inverse des vastes étendues de l’espace… Dans la ligne directe de ce thème, la — sublime — pochette représente un visage au front percé d’un orifice étroit d’où s’échappent les volutes de ténèbres issues du monde intérieur du créateur de Cepheide, comme pour inciter chacun à effectuer sa propre introspection. Ceux qui auront la curiosité de s’y engouffrer découvriront alors la richesse indéniable de cet univers où se mêlent sauvagerie et fragilité, désordre et maîtrise, et trouveront dans ce lieu fermé une paradoxale échappatoire. Ainsi, si ce monde sombre et froid semble à première vue hostile, il pourrait bien devenir pour quelques-uns le plus doux des foyers.