Sven Mor
Dernière couleur d’un monde vivant (EP)
Genre Black Metal
Pays France
Label Huard Productions
Date de sortie 05/10/2021

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Il arrive, animé par les vagues, enfermé depuis des mois, venant des fissures et des trous d’une caverne sous-marine… « Il », c’est Sven Mor, nouveau venu dans le vaste paysage du black metal français ayant sorti en octobre de cette année un premier EP quatre titres, Dernière couleur d’un monde vivant. En bon couteau suisse et adepte du DIY qui se respecte, et jusqu’au-boutiste dans sa conception du terme « one-man-band », Sven Mor crée tout de ses mains ou presque, y compris son propre label, Huard Productions, pour distribuer cet EP en format cassette, en mode vieille école. Quatre titres, voilà qui peut paraître bien court aux oreilles de certains. Cependant, au-delà de cette courte durée et de son titre en décasyllabe tiré par les cheveux, Dernière couleur d’un monde vivant se révèle riche en surprises et se donne les moyens de marquer les esprits.

Le premier des quatre titres, L’épopée des monstres (On ne s’est jamais dit je t’aime), dès son intro récitée avec gravité, expose ce qui constitue le fil conducteur de l’univers de Sven Mor ; à savoir, un mariage délicat entre ambiance apocalyptique et plongée intimiste au cœur de l’individu. J’en veux pour preuve les harmoniques mineures jouées en tremolo picking et les hurlements torturés, typiques du black metal… qui laissent subitement place à un duo entre une basse au son rond et doux et un orgue synthétique jouant le rythme d’une valse ; ceci semblant tout droit sorti d’un vieux vinyle des 80’s et servant une atmosphère teintée de romantisme noir. Cette ambiance se voit mise en avant par un mixage soigné, loin des productions amateuristes du genre, sans être parfait pour autant. Une mention spéciale revient aux passages acoustiques de l’EP, dont le contraste avec l’électrique ressort avec une certaine superbe.

Cependant, sur le titre suivant, Sur les algues, ce mixage devient différent ; plus étouffé, donnant l’impression que le morceau est joué entre quatre murs. Ou peut-être entre les parois d’une caverne marine où sommeille une créature des abysses… C’est dans ce morceau, ainsi que dans le suivant, Le chant du huard, que le compositeur-interprète laisse s’exprimer son amour de la mer. Cela passe bien sûr par des mélodies et une voix chargées en émotion, mais aussi par la présence de divers sons venant frôler les tympans : ici, celui d’une tempête ; là, celui des vagues ; ou encore le cri spectral de l’oiseau susmentionné qui hantera plus d’une nuit… La flûte accompagnant Sur les algues assurée par PISOQ, le frère de Sven Mor, touchera les cœurs des uns — le mien en tout cas — par sa mélodie envoûtante, ou au contraire en agacera d’autres.

Ce qui marque toutefois chez Sven Mor, peut-être davantage que son ambiance entre noirceur propre au genre et désuétude à la mode des 80’s assumée, c’est la plume de son créateur. Le black metal est un genre générateur de chansons à textes, comme nous le savons ; ceux des titres de Dernière couleur d’un monde vivant possèdent ainsi une identité bien particulière. Pensés pour être récités plus que chantés ou criés, étranges et au sens difficilement saisissable, les abominations dignes de Lovecraft y côtoient les hommes, dont elles sont plus proches que ces derniers ne l’imaginent. Tous sont mis à nu, au sens propre comme au figuré, de leur amour à leur désir en passant par leur folie. Dernière couleur d’un monde vivant s’achève ainsi sur son titre éponyme, hymne au vampirisme érotisé, où le simulacre d’orgue fait son retour.

Tout ceci nous mène à la principale surprise créée par Dernière couleur d’un monde vivant : qui pourrait croire, à l’écoute, que cette petite perle sort d’une huître à peine ouverte ; d’un novice ne baignant dans le milieu black metal que depuis à peine plus d’une année ?

Bien entendu, cette inexpérience se ressent au niveau de certains éléments manquant encore de maîtrise ; plus notablement, le « pur » chant clair un peu en décalage avec le reste et le solo de guitare sur L’épopée des monstres, assez brouillon. Cependant, que cela ne freine pas de potentiels auditeurs ; ils pourraient alors passer à côté d’un créateur qui aurait, avec un peu de maturation, encore plus à offrir que ce que l’on imagine…

Elles sont là, les créatures. Tendons-leur la main.