Sleep Token
Even In Arcadia
Genre metal progressif
Pays Royaume-Uni
Label RCA Records
Date de sortie 09/05/2025

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Ma rencontre avec l’univers de Sleep Token fut relativement tardive, à travers Take Me Back To Eden, un album qui m’avait immédiatement conquis par l’aptitude du groupe à tisser une dentelle sonore où se mêlaient avec élégance des influences disparates : R&B, trip-hop, rock progressif, djent, jazz, le tout traversé par une sensibilité mélodique pop très marquée.

Mais ce qui m’avait captivé par-dessus tout, c’était le talent des musiciens pour façonner des paysages sonores à la fois mélancoliques et introspectifs, ponctués de passages d’une intensité dramatique subtilement orchestrée. Cette capacité à équilibrer tension extrême et relâchement émotionnel donnait à leur musique une réelle richesse et un pouvoir d’attraction singulier.

J’avais ainsi découvert leur univers à distance de tout le battage médiatique : les masques, la mystique savamment entretenue, ou la viralité sur TikTok. Une chance, peut-être, pour s’immerger pleinement dans la musique, sans filtre ni préjugé.

C’est donc avec une curiosité sincère que je me suis plongé dans l’écoute d’Even In Arcadia, nouvel opus du groupe, qui, si l’on en croit les premières chroniques, divise déjà profondément la communauté musicale. Enthousiasme inconditionnel pour les uns, franche déception pour les autres.

Dès les premières secondes de Look To Windward, on retrouve le vocabulaire familier de Sleep Token : une introduction minimaliste au synthé, la voix envoûtante de Vessel, une montée progressive suivie d’une explosion de riffs, avant un retour au calme. Le morceau se distingue notamment par l’introduction d’un beat trap en son milieu, un motif que l’on retrouve également dans Emergence, au phrasé quasi rap et aux guitares djent, clôturé par un solo de saxophone inattendu et mélancolique. Past Self, de son côté, joue la carte d’un format plus radio-friendly, dominé par des textures électroniques léchées.

Après l’écoute de ces trois premiers titres, un constat s’impose : si ce début d’album s’écoute sans déplaisir, il manque toutefois, à mon goût, le grain de folie, l’originalité et le mordant qui faisaient la singularité du groupe. Certes, la voix, les mélodies et le mélange des styles sont bien là, mais le tout semble comme volontairement édulcoré, presque aseptisé, comme si Sleep Token avait choisi de gommer ses aspérités les plus abrasives pour livrer un disque plus accessible.

Ce sentiment se renforce à mesure que l’on progresse dans l’écoute. Les morceaux font le travail, sans accroc, mais peinent à retrouver cet équilibre si particulier entre mélancolie, rage contenue et intensité. Et même lorsque cette énergie refait surface, c’est souvent à dose homéopathique : un cri ici, une batterie déchaînée là dans Caramel, ou encore cette montée de rage dans la deuxième moitié d’Infinite Bath, qui bascule enfin dans une véritable explosion émotionnelle.

Le reste des morceaux suit globalement le même schéma de lente progression suivie d’un climax modéré. Dangerous, l’émouvant Even In Arcadia, Provider ou Gethsemane appliquent cette formule avec rigueur, mais sans grande surprise, au point d’éveiller un léger sentiment de répétition. Et si l’utilisation de batterie électronique n’est pas rédhibitoire pour moi, il est dommage que les talents de batteur de II ne soient pas plus mis en avant.

Sans être un mauvais album, loin de là, Even In Arcadia n’offre pourtant pas l’évolution artistique que j’espérais de la part d’un groupe aussi ambitieux. La surprise n’est plus au rendez-vous, et si l’émotion reste présente, elle semble ici plus calculée que viscérale. 

En résulte un disque solide, parsemé de beaux moments, extrêmement bien produit et interprété, mais en demi-teinte, qui suscite autant de respect que de frustration. Even In Arcadia satisfera sans doute les fans les plus fidèles du groupe, mais risque de désarçonner, voire d’agacer les plus allergiques à une musique qui s’éloigne quand même énormément des standards du metal.