Une occasion de voir Cattle Decapitation en festival, ça ne se manque pas ; une occasion de voir Cattle Decapitation chez soi, encore moins. C’est ainsi qu’en ce début 2025, moins d’un an après avoir assisté à la performance du groupe à l’Inferno Festival 2024 — une expérience pour le moins mouvementée —, il était inconcevable pour moi de passer à côté de son passage au CCO La Rayonne — et de la nouvelle occasion de le photographier qui va avec. Pour l’occasion, les nouveaux géants américains du death metal progressif partagent l’affiche avec leurs concitoyens de Shadow of Intent, étoiles montantes du deathcore symphonique, et de Revocation, valeur sûre du thrash/death technique, ainsi qu’avec les Sud-Africains de Vulvodynia, eux aussi en pleine ascension dans la scène slam/deathcore. Lorsque vient le moment de franchir les portes, je ne cache pas me sentir partagée entre l’enthousiasme à l’idée de revoir Cattle Decapitation — et faire ainsi un pas en dehors de mes genres de prédilection — et une certaine appréhension vis-à-vis de la manière dont va se dérouler une telle soirée… advienne que pourra !
Il se fait encore tôt, 18 h 30 plus précisément, lorsque vient le moment pour Vulvodynia d’ouvrir les sanglantes hostilités. Dès l’introduction de son set, le groupe sud-africain démontre d’emblée un certain sens de l’humour, faisant son entrée en scène sur fond de la musique du Roi lion, petit hommage décalé au continent dont il est originaire. Un décalage qui se retrouve chez le bassiste Nate Gilbert, qui débarque sourire jusqu’aux oreilles et en chemise hawaïenne et short, son micro étant en plus agrémenté d’un collier de fleurs assorti ! Après quoi et une demi-heure durant, c’est un apéritif pour le moins épicé que sert le quintet aux spectateurs déjà présents, apéritif qui prend la forme d’un mix slam/deathcore très codifié, mais non moins efficace au vu de des réactions alentours. Il ne faut en effet pas longtemps aux spectateurs les plus aguerris pour se lancer dans les premiers circle pits de la soirée, harangués pour cela, bien comme il faut, par le frontman aux dreadlocks d’or Lwandile Prusent ; celui qui a encore récemment troqué sa guitare contre un micro montre par la même une grande aisance dans ce nouveau rôle. De même, les instrumentistes ne sont pas en reste et démontrent une maîtrise au poil de leurs instruments. Seul bémol au niveau sonore : la grosse caisse triggée, certes typique du genre mais un tantinet trop synthétique. Dans tous les cas, avec sa reprise de la scène couplée à la sortie de son album Entabeni l’année dernière, Vulvodynia montre qu’il a très bien su se relever de sa séparation brutale avec son fondateur et ancien frontman Duncan Bentley et révèle un bon capital sympathie… en tout cas plus important que ce que son nom évoquant une maladie sanglante laisse imaginer !
Très efficaces dans leur mise en place et leurs balances, les Américains de Revocation se permettent de démarrer leur set avec dix minutes d’avance. Efficaces, les quatre musiciens démontrent qu’ils le sont sur tous les plans, à commencer par celui de la technicité, qui donne son cachet au mélange entre thrash et death metal assez sombre, teinté çà et là de quelques accents heavy metal old-school, tel que le groupe le pratique depuis maintenant plus de vingt ans ; tout du moins dans le cas du fondateur et meneur David Davidson. Au centre de l’attention depuis sa place en première ligne, ce dernier se distingue par la façon dont il vit ses soli de guitare, se montrant habité par ces derniers au point que ses expressions en deviennent mélancoliques, contrastant de manière incongrue avec celles qu’il affiche au micro, relevant quant à elle d’un registre plus comique… Dans la même lignée, il fait montre d’un sens de l’humour certain lors de ses interventions entre les morceaux, humour qui crée là aussi un contraste amusant avec l’ambiance sombre et apocalyptique du set. J’en veux pour exemple le plus parlant le moment où David crie à l’adresse du public « Faites du bruit pour Cattle Decapitation ! » en prenant une voix aiguë et nasillarde, boutade faisant référence à certains extrêmes vocaux du frontman du groupe… Quand on parle de Travis Ryan, ce dernier a récemment collaboré avec Revocation sur le single Confines of Infinity, sorti officiellement la veille du concert, et qui trouve sa place au milieu de la setlist entre deux extraits des récents albums Netherheavens (2022) et The Outer Ones (2018). En revanche, le chanteur de Cattle Decapitation ne vient pas rejoindre Revocation sur scène pour interpréter le titre avec le groupe, petit regret pour moi qui l’espérais. Du côté des musiciens, Alex Weber et Harry Lannon apportent un appui vocal solide et bénéficient d’un bon calibrage sonore, tout comme Ash Pearson. Bien qu’un peu calmes, les spectateurs se montrent tout de même réceptifs, certains se lançant une nouvelle fois dans des circle pits, et réservent à Revocation l’accueil respectueux qui lui est dû.
En tant que chroniqueuse et live reporter, je ne cache pas que le deathcore compte parmi les sous-genres qui me parlent le moins et dont a fortiori je sais le moins parler… exception faite de sa variante symphonique, dont le troisième groupe de l’affiche, Shadow of Intent, constitue un des fers de lance — ainsi qu’une agréable surprise découverte au hasard de l’algorithme Spotify pour moi. Au vu de l’enthousiasme que suscite le groupe avant même d’entrer en scène — alors que cette dernière se retrouve plongée dans l’obscurité — et d’entamer le premier morceau, ce statut me paraît plus que justifié… hypothèse que la suite ne tarde pas à confirmer ! À seulement quatre, musiciens et vocaliste portent à bout de bras un poids (très) lourd, équipés pour cela, les premiers de leur technicité irréprochable, le second de sa voix grave et puissante aux accents parfois plus proches du brutal death que du deathcore. Parmi eux, le bassiste Andrew Monias se distingue par son jeu se rapprochant par moments de celui d’une guitare lead ; bien appréciable également que l’enthousiasme du batteur Bryce Butler, dont le sourire béat ne quitte jamais son visage, particulièrement solaire lors de son moment « solo » en dernier tiers de set. Tout du long de ce dernier, aucune faiblesse n’est à déplorer, que cela soit au niveau du calibrage sonore, très équilibré et lisible en dépit de la densité de l’ensemble, ou à celui de l’enchaînement des titres, qui se déroule sans temps mort ni coup de mou, bien aidé en cela par un Ben Duerr à fond et en constante interaction avec son public. Si de prime abord sa présence domine le set, ses camarades ont aussi des cordes vocales à leur arc, qui complètent la performance du frontman : Andrew Monias possède un bon scream de type plutôt black metal et Chris Wiseman se montre aussi bon chanteur clean que guitariste. L’ensemble est soutenu par des orchestrations ostentatoires, prétexte à quelques comparaisons avec d’autres groupes pour certains. Si, parmi les spectateurs, les rapprochements avec Lorna Shore vont bon train, j’ai pour ma part tendance à rapprocher Shadow of Intent de Fleshgod Apocalypse, les deux groupes partageant des aspects orchestraux très similaires… rien d’étonnant pour qui se rappelle que Francesco Ferrini compte parmi les collaborateurs du groupe depuis 2019 !
En somme, tout est réuni pour un set explosif… toutefois, « ça manque d’âme » entends-je commenter un spectateur. Dans le cas de Shadow of Intent, technicité rime-t-elle avec rigidité, selon une perception somme toute relativement courante ? La question est ouverte. Toujours en est-il que ce soir, tout le monde se montre très investi dans la prestation du groupe, musiciens comme spectateurs — ces derniers en faisant même peut-être un peu trop par moments. Prestation qui file à toute vitesse et que l’on ne voit pas passer, hormis, je le reconnais, sur sa fin, les deux derniers morceaux traînant un peu en longueur.
Ceux qui suivent mes live reports s’en souviennent peut-être, ma première rencontre scénique avec Cattle Decapitation s’était soldée par une déconvenue due à des conditions de prises de vues difficiles couplées à une mauvaise gestion du stress de ma part, et je mise sur le concert de ce soir pour rattraper le coup. Par chance pour moi, le set débute sur The Carbon Stampede suivi du plus récent The Prophets of Loss ; pas les morceaux les plus rapides, l’idéal pour permettre au public un échauffement raisonnable sans trop de risque de claquage… avant que les choses prennent un tournant autrement plus musclé avec l’enchaînement de We Eat Our Young et Scourge of the Offspring, deux extraits du dernier album Terrasite. Après ce démarrage qui nous a pour le moins secoués, Travis Ryan prend un moment pour adresser ses remerciements au public, en prenant soin de préciser dans son discours que c’est la première fois que le groupe joue à Lyon. Il déclare ensuite que le prochain morceau est là « pour rendre tout le monde heureux » et faire en sorte que tout le monde « rentre en bonne santé » ; les connaisseurs — ainsi que moi-même — comprennent vite qu’il s’agit de Bring Back the Plague ! Moi qui avais à peine profité de ce morceau, qui compte parmi mes préférés, à l’Inferno, je suis comblée. L’interlude The Great Dying part I ouvre ensuite la voie à One Day Closer to the End of the World, autre extrait de Death Atlas ; après quoi, le set prend un virage plus symphonique et cinématique avec le récent Solastalgia. De manière générale, la setlist est presque entièrement consacrée aux deux — excellents — derniers albums de Cattle Decapitation, sans jamais remonter au-delà de 2012 et de Monolith of Inhumanity, ce qui n’est pas pour déplaire à votre chroniqueuse, et encore moins aux spectateurs du milieu de la fosse au vu de leurs réactions !
Sur ces entrefaites, Travis Ryan, qui semble décidément d’humeur à rire, réitère ses remerciements au public sur un ton rigolo, ajoutant que ce dernier a plus d’énergie que le public de Paris, où le groupe jouait la veille ; puis le groupe enchaîne sur Forced Gender Reassignment. M’étant à ce moment mise en retrait de la scène, je peux profiter au mieux de toutes les nuances de la palette vocale du frontman, jusqu’aux plus extrêmes, bien moins perceptibles depuis les premiers rangs. En revanche, même à distance, je ne peux m’empêcher de trouver la caisse claire un peu trop puissante. Dans tous les cas, s’il est quelque chose qui fait plaisir à entendre, c’est Travis Ryan prononçant « merci » sans la moindre pointe d’accent ! Du côté des spectateurs, sans surprise, c’est mosh pits et slam à gogo, quelques accidents étant évités de peu. Quelques morceaux plus tard, The Great Dying part II introduit Death Atlas de l’album du même titre, qui donne au set une conclusion très progressive du haut de ses neuf minutes et au frontman l’occasion de serrer quelques mains dans les premiers rangs — et à moi-même, la confirmation de mon coup de cœur pour Cattle Decapitation qui ne cesse de grandir.
Ainsi s’achève, dans le sang et la sueur résultant de la boucherie impliquant 700 personnes entraînées par les quatre groupes dans leur sillage, cette soirée aussi décoiffante que riche en confirmations, tant musicales que de l’idée que sortir de sa zone de confort apporte bien des choses. À la prochaine !