Votre album, Prorok Ilja, qui sort en janvier 2025, propose une plongée dans l’histoire vraie d’Eliasz Klimowicz et de la secte qu’il a fondée, Grzybowska, basée à Grzybowszczyzna. Étant donné que vous êtes originaire de la région de Podlasie, non loin de là où les événements se sont produits, à quel point votre région d’origine a-t-elle influencé le processus créatif de l’album ?

Absolument ; ayant vécu en Podlasie, c’est impossible de ne pas ressentir le poids de son histoire, de son folklore et de sa spiritualité. L’histoire d’Eliasz Klimowicz et de la secte Grzybowska, j’ai grandi avec, presque comme si c’était une légende locale. Le fait de savoir qu’il s’agissait de la plus grande secte présente en Europe entre les deux guerres mondiales donne à l’histoire cette présence plus grande que nature, mais le fait de partager une telle proximité avec elle rend son traitement d’autant plus personnel pour moi. Les racines culturelles et religieuses de ma région parcourent tout l’album — que cela soit dans l’instrumentation ou la narration.

L’histoire de Klimowicz et de la secte est relativement méconnue, surtout du côté du public hors de Pologne. Pour ma part, j’ai découvert les travaux de Włodzimierz Pawluczuk, qui a mené des études extensives sur la secte. Son œuvre a-t-elle influencé l’album d’une quelconque manière ? Avez-vous eu des contacts avec lui ou d’autres personnes ayant étudié la secte ou qui en ont été membres ?

Włodzimierz Pawluczuk a contribué en très grande partie à façonner ma compréhension de l’histoire de Klimowicz. Son livre Wierszalin. Reportaż o końcu świata (trad : Ville de Wierszalin. Reportage sur la fin du monde) m’a offert une vision plus approfondie de la psyché de la secte et des gens qui ont suivi Klimowicz. Bien que je n’aie jamais rencontré Pawluczuk en personne, j’ai effectivement échangé avec des gens qui ont été liés de près ou de loin à la secte ou qui avaient au moins grandi avec des histoires y étant liées. Ces comptes-rendus tous très personnels ont apporté au récit un facteur humain, ce qui a beaucoup compté pour moi dans la conception de l’album — il ne s’agit pas juste d’histoire, pour certains ce sont des souvenirs encore vifs.

L’instrumentation folk donne à Prorok Ilja une impression d’authenticité et d’une musique qui reste proche de ses racines, ce qui s’accorde parfaitement aux thèmes religieux et liés au culte de l’histoire. Qu’est-ce qui est venu en premier dans le processus créatif — la musique ou le concept ?

C’est sans aucun doute le concept qui est venu en premier. Je savais que je souhaitais raconter l’histoire de Klimowicz de manière à rendre honneur à la région et à son peuple. À partir de là, la musique s’est développée de manière organique. Je voulais que les sonorités soient un reflet de l’endroit — d’où l’utilisation de mandoline et d’autres instruments folkloriques typiques de la région. Les deux premières pistes ont constitué le point de départ, et à partir de là, tout a évolué vers une expérience d’écoute complète. Le mix a constitué un des plus grands défis — il y avait plus de 1100 pistes à assembler pour atteindre ce niveau de profondeur. La magie de l’album réside dans ses textures en couches multiples ; c’est quelque chose qu’on doit prendre le temps d’écouter et d’assimiler dans son entièreté.

De nombreux auditeurs, moi-même y compris, ont noté des similitudes avec Negură Bunget, Arkona et Wardruna dans les éléments folk de l’album. Ces groupes ou d’autres artistes qui leur sont contemporains ont-ils eu une quelconque influence sur l’écriture ?

Je peux comprendre que l’on fasse ces comparaisons, notamment en raison de l’utilisation d’instruments folkloriques et de sons spécifiques à la région. Ceci dit, je tire mes inspirations de source davantage ancrées dans la tradition. La musique orthodoxe — les chants liturgiques grecs et russes — m’a considérablement influencé. L’album comporte aussi un aspect cinématique, pas seulement dans la musique, mais aussi dans la narration. Effectivement, j’ai pioché des inspirations chez quelques groupes folk locaux, mais en fin de compte, c’est un album qui vient droit du cœur. Il a mis deux ans à être construit, et j’y ai mis toutes mes tripes.

Y a-t-il d’autres artistes émergents qui vous ont inspiré, voire vous ont mené à envisager des collaborations, que ce soit en matière de musique ou de performances scéniques ?

En tout honnêteté, non. Pour cet album, j’ai voulu garder un contrôle total sur la création. Prorok Ilja est un projet profondément personnel, c’est pour cela que je n’ai pas souhaité que des influences extérieures viennent diluer ma vision des choses. Je me concentre avant tout sur la musique rituelle et la narration théâtrale, et je pense qu’introduire d’autres voix aurait pu perturber le processus créatif. Je considère Prorok Ilja, non seulement comme un album, mais aussi comme une forme de rituel et de pièce de théâtre — une expérience immersive et entière.

Vous avez mentionné l’aspect théâtral ; à ce propos, il est justement question d’adapter Prorok Ilja sous la forme d’une production scénique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, c’est un projet dont je suis très enthousiaste ! Il a toujours été question d’amener l’album au-delà de son aspect musical — c’est un récit, une histoire qui se prête parfaitement à la scène. Je travaille aux côtés de tout une équipe pour donner vie à cette vision, en tirant inspiration de la pièce de théâtre sur Klimowicz sortie dans les années 90 (Prorok Ilja de Tadeusz Słobodzianek, sortie en 1991, ndlr). L’objectif est de créer une expérience immersive qui mêle musique, performance scénique et narration visuelle, pour permettre à l’audience de mettre un pied dans le monde de Klimowicz et de la secte Grzybowska.

Dernière question : qu’espérez-vous que les auditeurs tireront de Prorok Ilja ?

J’espère qu’ils ressentiront la profondeur et la complexité de cette histoire — pas en tant que simple compte-rendu historique, mais aussi en tant que réflexion sur les croyances, la communauté et le besoin qu’a l’humain de trouver du sens. L’histoire de Klimowicz est à la fois tragique et fascinante, et au travers de la musique, je souhaite que les gens fassent l’expérience de ce parcours et des émotions qui l’accompagnent. Mais au-delà de cela, je souhaite que les auditeurs se sentent connectés — à la musique, à l’histoire, et peut-être même aux racines culturelles dont elles tirent inspiration.

JP MOVIE STUDIO Jacek Wisniewski