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Lorsqu’un groupe s’en va, les projets parallèles de ses anciens membres restent. Ainsi la mort d’Hyrgal courant 2024 met-elle en lumière Havor, one-man-band mené par l’un de ses guitaristes Mathias Nagy. Fruit d’un travail de longue date trouvant ses racines au début des années 2010, le projet ne concrétise toutefois son existence qu’à la fin de cette même période avec la sortie rapprochée de deux EP, Flesh and Wound et Empty Rooms-Empty Dreams, en 2018 et 2019, suivie en 2022 du premier album Dysphoria, puis du second en 2023, auquel nous nous intéressons aujourd’hui, Unfailing Faith in Darkness. Bien que marqués à divers degrés par les différences en matière d’écriture et de production associées au temps écoulé et aux changements allant avec, tous quatre sont liés par leur socle commun qui prend la forme d’un black metal proche de ses racines punk, sale, maladif et désespéré. À ce titre, le petit dernier en constitue l’illustration la plus aboutie — quoique, de manière un peu paradoxale, aussi la plus raffinée.
« Ce monde est en train de devenir cinglé ! » Sur cette phrase hurlée par un sample telle une invective s’ouvre le morceau homonyme ainsi que l’album, première d’une série des neuf diatribes qui le composent. À défaut d’ouvrir les bras à l’auditeur, Havor accueille ce dernier d’un crachat au visage, à l’image d’un Niklas Kvarforth de Shining crachant de l’alcool sur son public ; ceci à grand renfort de riffs et rythmiques ternaires à la façon de Marduk ou Koldbrann sur lesquels viennent se greffer à l’agrafeuse les vocalises de Mathis Nagy éructant son dégoût et sa colère tout en proclamant sa foi inébranlable dans les ténèbres. Démarrer un album ainsi, par son morceau le plus rapide et agressif, transmet le message de manière on ne peut plus limpide : chez Havor, rien n’est fait pour mettre à l’aise et tout espoir est vain. Le beau lui-même se fait miroir de l’horreur sur la deuxième piste, Horror Reflect in Diamond Eyes, plus posée et linéaire dans son rythme mais à laquelle l’usage intelligent du motif du triton apporte une certaine élégance.
Par la suite, si le tempo continue de descendre d’un, voire de quelques crans dans certains cas, le rythme, lui, ne faiblit jamais, de même que les sensations de malaise qui découlent de l’écoute. Tout du long, Mathias Nagy joue sur les alternances de tempo, de ton et des motifs classiques du black metal, aussi de langues entre l’anglais et le français, pour mieux malmener un auditeur qui s’en voit rappelé à son statut de misérable vermine humaine. Le tout dans un désordre ordonné, en tout cas davantage que par le passé et d’anciennes sorties plus ouvertement chaotiques. Ce nouveau niveau de maîtrise peut de toute évidence être attribué à la maturité acquise au fil des années et des expériences issues du vécu personnel ou acquises auprès de figures de mentors. Ainsi, au milieu des classiques influences Marduk et Koldbrann déjà citées, s’en distingue une autre toute personnelle pour le fondateur de Havor : celle d’Hyrgal et de son album éponyme, dont le sens de la structure et du rythme vient teinter l’album. À titre d’exemples, cette influence se fait particulièrement présente sur des pistes comme Poussé par la haine et sa mise en forme cyclothymique, Chiale à l’ambiance glauque amenée par des guitares aux nuances variées et une basse très lourde ou À demi-mort et son approche très rock dans les riffs. Les tribulations vocales de Mathias Nagy ne sont d’ailleurs pas sans évoquer celles de Clément Flandrois sur ce titre, dont le mid-tempo marque presque un moment de relâchement au milieu de l’album…
De son passage dans les rangs d’Hyrgal, Mathias n’a pas tiré qu’un bon gain d’expérience et des influences sur la manière de concevoir sa musique ; il y a également gagné un partenaire de crime en la personne de Rémi Sérafino, jeune batteur dont les talents impressionnants lui ont valu d’être repéré entre autres par Igorrr. Son jeu à la fois rapide et ciselé ajoute une force de frappe supplémentaire à tous les morceaux, bien différente de la batterie programmée des précédentes sorties d’Havor, très organique, ce qui compense par ailleurs le côté plus polissé d’une production aux moyens plus conséquents que par le passé. Cet aspect plus « propre » en fera peut-être tiquer certains, qui considèreront que cela retire à l’aspect dérangeant qui fait le charme vénéneux du black metal misanthrope. Toutefois, force est de reconnaître que ce glow up a le mérite, non seulement de donner à Havor une image plus professionnelle, mais aussi de rendre l’écoute de Unfailing Faith in Darkness très fluide sans pour autant tomber dans un lissage excessif, histoire de profiter de chaque élément dans ses moindres détails les plus sordides…
Parmi ces détails qui marquent la différence, le groupe exploite, tout aussi habilement que les motifs musicaux et influences issus du black metal, les samples sonores qui ponctuent plusieurs des titres, dont l’usage sert ici un élément essentiel de la signature visuelle et thématique de Havor depuis ses débuts qui est : l’univers de la drogue. Cette combinaison infernale joue tantôt sur l’imagination morbide de l’auditeur au travers de la voix hésitante d’une jeune femme expliquant qu’elle fume du crack depuis l’âge de quinze ans en plein milieu de Chiale, qui vient l’immerger bien contre son gré dans un squat à junkies insalubre, tantôt sur la provocation au détour de Back in the Days, morceau le plus court de l’album et très punk, au travers d’une petite phrase évoquant les millions que rapporterait ce marché clandestin, information que la plupart d’entre nous se serait sans doute bien passée de connaître…
Plutôt que d’une montée en puissance, Unfailing Faith in Darkness prend ainsi la forme d’une descente aux enfers, dont chaque étape mène de manière inéluctable vers les bas-fonds de la condition humaine, que le fondateur de Havor ne semble que trop bien connaître. Tout du long de l’écoute, les baisses de tempo vont de pair avec les baisses de moral, jusqu’à atteindre le fond du gouffre sur J’aurais dû mourir à vingt ans, dont le tempo lent de valse morbide semble répondre en miroir à celui, frénétique, du titre d’ouverture, de même que le message y fait écho de manière plus intime et personnelle. Ainsi, sur cet ultime constat encore plus amer que celui du début, la boucle est-elle bouclée, de même que sur un ultime sample de voix intimant d’aller se faire foutre. Que faire d’autre, après tout, face à ce monde et à ce que l’on vient d’entendre ?
La lecture de cette chronique pourra sembler décourageante ; elle est en vérité plutôt à prendre comme un avertissement à ceux qui auraient la curiosité de se lancer dans l’écoute d’Unfailing Faith in Darkness. Que ceux-ci le sachent alors : cet album ne vous veut pas du bien. Bien au contraire, il ne vous est même pas destiné. Il est le catalyseur au travers duquel le fondateur de Havor déverse toute la rage et la haine qu’il voue envers une race humaine dont il n’a que faire et qu’il écrase de son mépris, en prenant tout son temps histoire de mieux s’en délecter. Outre cela, tout l’opus transpire à grosses gouttes le vécu par chaque pore de sa peau ingrate ; là-dessus, le soin apporté à l’ensemble n’y trompe pas, le propos en ressortissant dans toute sa sincérité brute. À conseiller aux âmes sensibles, qui sauront percevoir la dimension profondément personnelle et humaine se cachant derrière cet amas de miasmes et de noir à broyer — et leur semblable qui se cache probablement derrière son apparent rejet du monde et des autres. En revanche, inutile de se lancer en se pensant blindé — vous risqueriez bien d’en ressortir avec du plomb dans l’aile.