Saor, In the Woods…, Imperium Dekadenz, Can Bârdd
Le Marché-Gare, Lyon (FR)
Date 27 avril 2025
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://marchegare.fr/

La sortie du nouvel album de Saor, courant février 2025, Amidst the Ruins, s’accompagne d’une tournée européenne de onze dates au cours du mois d’avril de la même année, aux côtés des Norvégiens d’In the Woods…, des Allemands d’Imperium Dekadenz et des Suisses de Can Bârdd. Cette tournée prend sa conclusion au Marché-Gare de Lyon, ville dans laquelle le groupe aux racines écossaises compte de nombreux fidèles qui, à n’en pas douter, répondront de nouveau à l’appel tout comme lors du dernier passage de Saor à l’automne 2022. Une supposition que je ne tarde pas à vérifier, reconnaissant la moitié des spectateurs présents dans la salle !

La soirée commence tôt, avec le premier de ces groupes, Can Bârdd, qui partage plus d’un point commun avec la tête d’affiche, à commencer par ses guitariste et batteur live, Nicolas Bise et Carlos Vivas, ainsi qu’un frontman, multitâches en studio, privilégiant la basse en live. Sur fond de l’envoûtante introduction d’Une couronne de branches, extrait du dernier album Devoured by the Oak, les quatre musiciens entrent en scène, solennels et sérieux sous un éclairage tamisé. L’émotion se fait d’emblée présente dès ce premier titre, douce et forte à la fois, autant chez les musiciens sur le crescendo final que les spectateurs qui se laissent vite embarquer. Tout le monde est bien aidé en cela par les sons forestiers faisant office de fond d’ambiance, ainsi que par l’intimisme de l’espace. Le reste du set se déroule dans la même lignée, constitué de longs morceaux mêlant black, folk et structures progressives, renforçant la similitude du groupe avec Saor ; la flûtiste et chanteuse de ce dernier, Elisabeth « Ella » Zlotos, nous fait d’ailleurs l’honneur de sa présence aussi féérique que furtive sur le troisième morceau, Celestial Horizon. Can Bârdd trouve toutefois sa distinction dans un tempo globalement plus lent laissant place à des atmosphères plus contemplatives que guerrières. La performance prend ainsi des allures de flânerie lancinante dans les forêts et montagnes suisses où Can Bârdd trouve ses racines, interrompue à l’occasion par les remerciements en sobriété du frontman Malo Civelli. Ouverture oblige, le groupe n’a le temps de jouer que peu de morceaux ; cependant ceux qu’il nous donne à entendre ce soir laissent leur marque dans les esprits des spectateurs qui en ressortent encore plus conquis qu’ils ne l’étaient déjà. Petit groupe, grande leçon.

La Suisse laisse ensuite place à l’Allemagne, ainsi qu’à un black metal à l’ambiance plus dépouillée, avec le passage sur scène d’Imperium Dekadenz. En guise de début de set, les cinq hommes font le choix de deux titres parmi les plus raw et rentre-dedans, assez punk dans l’esprit. Après quoi, le frontman Christian Jacob a.k.a Horaz prend une première pause pour adresser des remerciements au public, dans un assez bon français ; public qui, de son côté, semble laissé quelque peu confus par cette entrée en matière. Mais ce qui suit met bien mieux en avant la noirceur tout à la fois brute et poétique, teintée de mélancolie, dont le groupe a le secret depuis vingt ans et sept albums. Ce style musical est porté par les morceaux, d’un côté, assez longs mais sans compromis et allant droit au but, et, de l’autre, par les musiciens qui livrent des performances tout aussi investies les unes que les autres. À commencer par les deux membres fondateurs, Horaz sus-cité et le guitariste Pascal Vannier a.k.a Vespasian, dont les performances musicale et vocale se font le principal véhicule de l’émotion. Vu comme cela, l’ambiance peut sembler morose, cependant la jovialité n’est pas mise de côté, comme le montre Horaz lors d’interactions teintées d’humour avec les spectateurs. De même, si les deux maîtres à penser sont ceux qui mènent le jeu, leurs compères de live sont loin de se cacher derrière eux ; bien au contraire, ce sont eux qui apportent l’équilibre à la balance ! Christoph Brandes, batteur de son état, s’amuse comme un enfant et ne cesse de sourire de toutes ses dents, tandis que le bassiste multiplie les grimaces. Quant au second guitariste, il se montre un exemple de force tranquille ainsi qu’un partenaire complémentaire de Vespasian. En milieu de set, la ballade Aurora et sa boucle au piano marquent un moment particulièrement touchant. Au moins aussi touchante est la complicité des deux guitaristes, qui profitent d’un passage instrumental centré sur eux pour échanger un check avec le sourire. Deux autres morceaux s’ensuivent, après quoi Horaz annonce que le prochain sera le dernier… « mais c’est un long morceau ! » Effectivement, Striga nous offre presque dix minutes de plus en compagnie d’Imperium Dekadenz, point d’orgue de ce moment aussi bon que simple.

À peine plus d’une semaine après avoir découvert In the Woods… sur une scène de l’Inferno Festival 2025, je retrouve le groupe norvégien dans ma ville — pour mon plus grand plaisir, ayant déjà bien apprécié la prestation. Après un check de rigueur entre les musiciens que j’observe d’un coup d’œil furtif derrière les rideaux, ces derniers ouvrent le set sur Heart of the Ages, hommage aux débuts du groupe dans les années 90. « On essaie de jouer les gros durs, mais on n’y arrive jamais ! » plaisante ensuite le frontman Bernt Fjellestad, ceci alors que quelques spectateurs s’amusent à faire les marioles. Suit The Coward’s Way, extrait de l’album Diversum sorti en 2022. À l’instar de la tête d’affiche de ce soir, In the Woods… vient avec un nouvel album à promouvoir, Otra, tout fraîchement sorti le 17 avril dernier, — soit dix jours avant le concert de ce soir —, comme le rappelle Bernt Fjellestad. S’ensuit un premier extrait de l’album en question, The Crimson Crown. Le morceau est bien catchy et sonne presque pop, en dépit de son refrain jouant sur le switch vocal entre chant clair et saturé, qui donne au frontman l’occasion de montrer son excellence dans le domaine ; malheureusement, de près, le chant black est moins audible. De manière générale, In the Woods… joue sur son style hybride entre black metal et le mélange entre metal gothique et progressif qui a donné un second souffle à sa carrière dans les années 2010. Un tel style n’est pas voué à faire l’unanimité — comme me le démontreront certains camarades de concert de ce soir qui me diront ne pas avoir accroché —, toutefois le cœur que le groupe met à l’ouvrage se voit et se salue bien bas.

Après Ella Zlotos avec Can Bârdd, vient le tour d’un autre membre de Saor de faire son apparition sur scène ; cette fois-ci, il s’agit du guitariste Martin Rennie, qui rejoint In the Woods… sur The Misrepresentation of I, deuxième extrait d’Otra, l’occasion pour lui de partager un moment de camaraderie avec Kåre André Sletteberg et Bernt Sørensen et de nous faire profiter de ses talents ainsi que de son enthousiasme. Un peu réservé au départ, c’est à ce moment que le public commence à se lâcher un peu. En cela, la sympathie et la bonne humeur de Bernt Fjellestad contribuent en bonne partie, lui qui rappelle à tout le monde qu’« il ne faut pas oublier de trinquer ! » Moi qui avais mis du temps à m’habituer à son timbre à l’Inferno, je l’apprécie bien mieux ici. De même pour les extraits d’Otra, auxquels les cinq hommes — le chanteur en première ligne — donnent une dimension d’autant plus personnelle en live. Parmi eux, The Things You Shouldn’t Know fonctionne bien, pendant lequel le frontman se permet un petit moment théâtral en se mettant en hauteur sur une caisse. Le dernier morceau du set porte le même nom que le groupe, « par coïncidence » selon lui… on y croit ! Il déclare que le concert de ce soir marque « la fin parfaite d’une tournée parfaite » et en profite pour remercier tous les autres groupes et le public, qui ne se prive pas de lui rendre ces remerciements pour ce moment passé ensemble. Histoire d’ajouter aux miens, je repars avec un des médiators de Kåre André Sletteberg, très aimablement offert par ce dernier !

Un peu moins de trois mois après la sortie de son excellent nouvel album Amidst the Ruins, synthèse parfaite de douze ans de carrière, Saor le joue ce soir dans son intégralité devant son public lyonnais — moins un titre, des contraintes horaires écourtant le set d’un quart d’heure. Sur une scène éclairée aux couleurs du drapeau écossais et immergée dans une brume que l’on dirait venue des highlands du pays, les musiciens font leur entrée, pour embrayer directement sur le morceau donnant son titre à l’album. Tout comme sa version studio, il constitue une excellente entrée en matière, qui fait d’une pierre, non deux, mais bien trois coups : il permet, en premier lieu, aux musiciens de démontrer la cohésion et l’alchimie qui les unissent, par ailleurs aux spectateurs de finir de s’immerger dans l’ambiance, enfin à Andy Marshall de saluer d’un grand geste les talents d’instrumentiste à vent d’Ella Zlotos, que tout le monde acclame à très juste titre lors d’un passage solo. En vérité, comme le public et moi-même aurons l’occasion de le constater, c’est bien elle qui porte une bonne partie du show, de par sa présence autant que ses instruments et sa voix.

Très efficace également que le second morceau, Echoes of the Ancient Land, qui se révèle particulièrement calibré pour la scène, allant droit au but — et à nos oreilles et esprits. Si Saor n’a pas le temps de nous gratifier d’une interprétation live de Glen of Sorrow, à mon regret certain, l’on peut relativiser en se disant que cela nous permet de profiter plus tôt de la magnificence acoustique de The Sylvan Embrace. En jouant les boucles faisant office d’introduction, Martin Rennie semble dans sa bulle. L’acoustique offre un grand espace d’expression à la voix mélodieuse d’Ella Zlotos, de même qu’à la sienne ; leur duo vocal s’en révèle très agréable à écouter. Petite surprise : le morceau prend une tournure metal sur sa fin ! En tout cas, hormis lors de ce moment de calme entre deux tempêtes, les musiciens mobiles se baladent sur l’espace scénique et se rejoignent les uns les autres pour faire des duos entre eux — sans pour autant laisser Carlos Vivas de côté ! Parmi ces duos, celui formé par Martin Rennie et Nicolas Bise se distingue par son alchimie guitaristique.

Comme sur l’album, le dernier titre, Rebirth, est celui où tout le monde se donne le plus à fond, sur scène comme devant. De cette façon, ses presque quinze minutes donnent l’impression de filer comme des flèches, ceci jusqu’à l’entêtante séquence finale aux airs de générique de fin de film, encore une fois portée par les vocalises d’Ella Zlotos.

Bien entendu, cette « séquence finale » n’en est en réalité pas vraiment une. Saor n’allait tout de même pas partir en oubliant le morceau éponyme de l’album Aura, dont le cycle anniversaire des dix ans s’est récemment achevé, et nous laisser sur notre faim ! Les spectateurs, pour la plupart déjà familiers avec ce titre, ne boudent pas leur plaisir face à ce petit cadeau final. Encore moins lorsque nous avons une nouvelle surprise, celle de voir débarquer, sur les dernières minutes, les membres d’Imperium Dekadenz, munis pour certains de percussions sur lesquelles ils battent le rythme en synchronisation approximative avec Carlos Vivas ! Les membres d’In the Woods… ne tardent pas à débarquer à leur tour, leurs verres levés à la santé de tout le monde, suivis de Malo Civelli et Matthieu Favre de Can Bârdd. Tous les musiciens de ce soir se trouvent ainsi réunis pour les dernières notes, suivies d’un salut final qui apporte à la tournée une conclusion digne de ce nom, en plus de démontrer que les liens unissant les musiciens vont bien au-delà d’une simple affiche partagée.

Bien plus qu’une excellente leçon de black metal teinté, tantôt de touches folk, tantôt de touches prog, toujours de profonde émotion, le concert de ce soir a offert au public lyonnais un grand moment de réconfort partagé, dans l’évasion que les quatre groupes avaient à offrir. Un voyage musical comme l’on aimerait en vivre plus souvent…