John Dee Khold, Jo Quail, In Twilight’s Embrace, Tilintetgjort
Au fil des quelques dernières années, Saor s’est fait présent sur des affiches de concerts ou fests toujours plus nombreuses et d’échelles diverses ; son style folk/prog atmosphérique teinté de touches black, principalement au niveau des voix, achevant de rendre le groupe accessible à un large public, et les fréquents changements de line-up live apportant à chaque fois une touche de renouveau. Ainsi, en ce jour, plus d’un an après ma dernière rencontre avec le groupe au Wild Boar Fest à Genève, en plus de retrouver les guitaristes Martin Rennie, fidèle au poste depuis dix ans, et Nicolas Bise, présent depuis l’an dernier, l’occasion se présente pour moi de découvrir deux nouveaux musiciens : le batteur Carlos Vivas et l’instrumentiste folk Elisabeth « Ella » Zlotos. Bien qu’encore fraîchement recrutés, ces derniers ont bien pris leur place aux côtés des anciens et se montrent très à l’aise dès l’ouverture Pillars of the Earth, premier titre extrait de l’album Aura, dont le groupe fête cette année les dix ans avec une setlist adaptée en conséquence. En vérité, cela ne change pas grand-chose, cet album se faisant déjà omniprésent dans la plupart de ses concerts ; autant dire que ce n’est pas aujourd’hui que Saor créera la surprise avec de l’inédit… Il serait toutefois malavisé de lui reprocher de continuer à exploiter un bon filon, d’autant plus lorsque des morceaux tels celui sus-cité ou The Awakening brillent par leur capacité à créer la sensation d’évasion chez des auditeurs en quête de celle-ci… De l’ambiance douce et vaporeuse de la lumière bleue couplée à un voile de fumée au talent de cinq musiciens pour qui rien d’autre ne semble compter, tout sur scène est réuni pour immerger le public de l’Inferno dans un voyage au cœur des steppes écossaises chères au fondateur Andy Marshall. Pour un peu, il serait tentant de fermer les yeux et de se laisser bercer par le charme des mélodies ou celui d’Ella Zlotos, à qui une incursion dans l’album Forgotten Paths au travers du titre Bròn donne l’occasion de dévoiler une voix au fort joli timbre… cependant, les bonnes choses ont une fin, prématurée pour nous autres photographes qui devons toujours être en avance. Ainsi, c’est un peu déçue de ne pouvoir rester, mais satisfaite de ce que Saor continue d’offrir, que je me dirige vers où le devoir m’appelle ensuite. [Ségolène]
Ma chronique du premier album de Tilintetgjort (ici), sans être négative, véhiculait un avis pour le moins mitigé ; j’espère donc trouver dans la prestation du groupe en live un nouvel intérêt. Dès lors que résonne le premier morceau, Kvikksølvdrømmer, un premier constat s’impose, positif s’il en est : le son est bien plus propre et clair qu’en « studio », bien que les conditions de set soient les mêmes. Qui plus est, il apparaît fort plaisant de voir les cinq musiciens investis à fond dans leur performances, notamment le frontman, Svik, qui a fière allure dans sa toge de moine à grande capuche. Après cette entrée en matière dans les règles de l’art, ce dernier annonce sans plus attendre que le morceau suivant est un nouveau, une annonce de nature à éveiller ma curiosité. Ce morceau inédit, The Oracle de son titre, dévoile quelques bons atouts que sont son mid-tempo, des chœurs en voix clean très justes assurés par Svik et ses compères guitaristes Hazzlegard et Den Gamle ainsi qu’une excellente ligne de basse ; des atouts déjà présents sur l’album qui produisent leur effet… tout du moins lors des premières minutes. Passé cette durée, le morceau se perd en circonvolutions et autres revirements qui créent un « effet patchwork » lui aussi présent sur l’album et me conduit à décrocher avant la fin. Si ce live ne suffit pas à me réconcilier avec Tilintetgjort, je me dois toutefois de lui reconnaître une capacité à rassembler aussi impressionnante que surprenante au vu de la jeunesse de sa carrière ; le show fait en effet « sold-out » en une poignée de minutes ! [Ségolène]
Orbit Culture fait partie des quelques groupes dont le style semble un peu décalé par rapport à l’orientation générale du festival. Cela ne signifie en aucun cas que le public se montrera froid ou peu intéressé pour autant. Death, groove, metalcore, un peu de tout cela ou ce que vous choisirez selon vos préférences personnelles, les différences entre ces genres pouvant être très minimes. Ce mélange, pratiqué par Orbit Culture, donne quelque chose d’intéressant : les compositions sont ultra efficaces et les gaillards savent bouger et chauffer le public, avec une énergie présente dans la musique comme sur scène. Le dernier titre, Vultures of North, avec son riff à la Rammstein, finit de mettre tout le monde d’accord. Le style est moderne et l’ambiance futuriste, qui tranchent avec ce que nous propose le reste de l’affiche et entraînent néanmoins une adhésion massive et amplement méritée. Il est bien loin, le temps où les aficionados du black metal ne toléraient aucune digression stylistique. Ce groupe n’est pas énormément connu, du moins en nos contrées, mais vaut assurément le détour. [Oli]
Après ce détour vers le death metal mélodique catchy, vient le temps d’un retour à des atmosphères plus ténébreuses avec le passage d’In Twilight’s Embrace sur la scène John Dee. Au fil d’une carrière de plus de vingt ans, le groupe polonais a opéré plusieurs virages dans sa direction musicale, le mélange death mélodique/metalcore rapide et agressif des débuts ayant progressivement laissé place au « pur » black metal à partir de l’album Vanitas en 2017 ; de sorte que, bien que n’ayant que peu changé de line-up, le groupe tel qu’il se présente aujourd’hui est bien loin de celui formé en 2003. C’est cette face sombre, voire très sombre, de sa personnalité que le quintet invite le public de l’Inferno à découvrir en plongeant ce dernier dans une ambiance à cette image, à la lueur des bougies et spotlights bleus tamisés et aux senteurs de l’encens. Sur cette scène qui prend alors des airs de tableau clair-obscur, les cinq musiciens apparaissent sous forme de silhouettes munies d’instruments et se mouvant dans la pénombre. De cette pénombre et de ces instruments ne tardent pas à surgir une mélodie grésillante et envoûtante, celle de Lifeblood, issu de l’album du même nom. In Twilight’s Embrace consacre en bonne partie sa setlist à cet opus ainsi qu’à ses plus récents efforts en date, le pénultième Lawa et l’ultime Eden of Iniquity. Les trois derniers titres nous font d’ailleurs le cadeau des sonorités si particulières et musicales de la langue polonaise, qui se marient spécialement bien à celles de ce black metal mid-tempo aux atmosphères abyssales ; les modulations dans les graves du chanteur Cyprian Łakomy, relique du passif du groupe avec le death mélodique, n’y sont pas pour rien. En cette heure où il commence à poindre, le crépuscule nous accueille à bras ouverts ; il fait bon se laisser aller à l’étrange quiétude de son étreinte… [Ségolène]
Les concerts de Me and That Man, side-project de Nergal (Behemoth), ressemblent franchement à des récréations pour le bonhomme qui ne cesse de sourire, de se montrer enjoué et de plaisanter, alors que sa musique mêlant rock, folk, country et blues ne respire pas la joie de vivre. My Church Is Black nous met dans l’ambiance, puis Nergal annonce : »Welcome Norway, Jesus is dead, this is Nightride« . Puis un saxophone fait son apparition sur Run with the Devil. Burning Churches est introduit par « Vous vous souvenez de ce qui s’est passé ici dans les 90’s ? » Nergal, souriant comme un gamin, fait évidemment référence aux incendies d’églises perpétrés alors par des adeptes du black metal. Plus tard, Look Away Lucifer, à la guitare sèche, est une reprise du groupe Madrugada, avec son chanteur Sivert Høyem en guest et le saxo qui réapparaît. Enfin, Losing My Blues, assez enlevé, très rock, met un terme à cette prestation à la fois fun de par l’attitude des musiciens et prenante de par sa teneur musicale. [Oli]
Pour un ou une artiste solo, captiver le public d’un festival extrême le temps d’un set représente un défi conséquent, d’autant plus lorsque l’artiste en question ne possède qu’un unique instrument sur lequel s’appuyer. Jo Quail et son violoncelle n’ont pourtant nullement besoin d’en faire des tonnes pour y parvenir. Dès les premiers battements de rythme sur le manche et passages de l’archet sur les cordes sur le morceau White Salt Stag, tous deux imposent l’attention et le respect chez les spectateurs de John Dee. Il faut reconnaître que cette jeune femme au physique délicat, seule sur scène sous la lumière des spotlights, qui semble dans sa bulle en totale alchimie avec son fidèle instrument, dégage un impressionnant mélange de douceur et de puissance qui a de quoi créer la fascination… de même pour sa musique, mélange de classique et de prog teinté d’un rien de folk qui n’est pas sans évoquer la référence du « cello metal » Apocalyptica. Plus fascinante encore, d’autant plus pour nous autres photographes qui avons l’occasion d’observer la musicienne au plus près, est sa capacité à changer d’expression à volonté, passant de l’extrême concentration à la plus pure détermination tout comme à une petite moue mélancolique en un coup d’archet. Vu comme cela, Jo Quail peut sembler distante, cependant elle se montre bien au contraire très souriante et accessible dans ses interactions avec le public et dévoile une personnalité attachante à la hauteur de son talent. Jo Quail, du haut de sa formation classique, serait-elle plus metal que nous tous ? Il se pourrait bien que ce soit le cas. [Ségolène]
S’il est un groupe légitime à revendiquer le statut d’égérie de l’Inferno, il s’agit bien de Borknagar. Présent dès la première édition en 2001, l’ancien groupe du fondateur du festival Jens F. Ryland fait son retour cette année pour une quatrième participation, en bonne place sur l’affiche et avec un nouvel album à présenter, Fall. C’est d’ailleurs sur un extrait de ce dernier opus, Nordic Anthem, que s’ouvre le set, le public rassemblé pour accueillir le groupe de Bergen se voyant lui-même accueilli par les atmosphères pagan et envoûtantes portées par la rythmique façon rituel des tambours de Bjørn Dugstad Rønnow et les vocalises éthérées d’ICS Vortex et Lars A. Nedland clamant « This is our home ». Sans plus attendre, Borknagar enchaîne sur un autre hymne nordique, Up North, issu du bien nommé True North. Si cette entrée en matière sous forme de double hommage que rend le groupe à ses terres natales a de quoi susciter l’émotion, la sérénité émanant de ces cinq musiciens qui savent faire ressentir qu’ils sont bel et bien à la maison ici à Oslo, sur la scène de ce festival que certains ont vu naître, l’a bien plus encore. Tout et tout le monde est réuni pour profiter au mieux de ce moment aux airs de balade dans les montagnes ayant inspiré le nom du groupe, emmenés par des guides bienveillants sur des chemins familiers comme inexplorés… Parmi les extraits de Fall, le très rythmé Moon produit son effet, lui dont le titre n’est pas sans évoquer, pour qui a en tête l’affiche de l’Inferno 2023, le morceau quasi-homonyme d’Amorphis… à croire qu’il s’agit d’une clause présente dans le contrat de tout groupe de rock/metal progressif qui se respecte ! [Ségolène]
Toujours à l’instar de leurs comparses finlandais, les membres de Borknagar connaissent l’attachement des fans à la période 90’s de la carrière du groupe et incluent à la setlist quelques incursions dans cette époque au travers de titres tels Colossus ou Dauden. Cette diversité musicale, en plus de conquérir le public, met en avant les performances techniques et la versatilité des musiciens en tant qu’instrumentistes, mais aussi, et surtout, celles de son binôme de chanteurs d’exception, à qui chaque morceau offre l’occasion à l’un comme à l’autre de briller à sa manière. En grande amoureuse des voix masculines, je succombe à leur charme ; je reconnais toutefois que la balance de mon petit cœur penche vers Lars Nedland, dont les envolées presque lyriques jusqu’à des notes très hautes sur Up North, la performance quasiment soliste sur Voices — sur lequel le public l’accompagne — et les expressions rêveuses tempèrent à merveille un Vortex plus théâtral et sauvage dans ses expressions vocales et scéniques, notamment sur les vieux titres… Cela reste tout de même en duo que les deux hommes brillent le plus fort, comme le montre le finale Winter Thrice, où Simen et Lars effectuent à eux deux le travail de quatre ! Bien plus qu’un duo vocal, ce dernier titre est aussi celui où l’alchimie atteint son paroxysme, entre les musiciens et avec les festivaliers. Somme toute, avec ou sans nouvel album dans l’équation, toute raison est bonne de passer un bon moment aux côtés de Borknagar, qui n’en finit plus de prouver être digne du nom de la famille du metal progressif nord-européen et rend l’hiver plus doux. [Ségolène]
Khold nous propose sa formule magique : une technicité réduite pour une efficacité renforcée, tel est le secret de son succès. Les accords joués sont basiques, le style est carré et peut se montrer monstrueusement heavy par moments, et les riffs sont ultra efficaces. « Carrée » est le mot qui revient sans cesse en tête en repensant à cette prestation, d’autant que cette caractéristique tranche avec celles qui peuvent s’appliquer aux quelques autres groupes de black vus plus tôt sur cette même scène du John Dee. Khold combine une majorité d’atouts pour satisfaire un public exigeant ! [Oli]
S’il est une raison qui suffit à elle seule à expliquer le « sold-out » de cette troisième soirée de l’Inferno, il s’agit bien de la présence de Dimmu Borgir. Cinq ans après son dernier passage pour la promotion de l’album Eonian, le grand nom du black metal symphonique fait son retour sur la scène Rockefeller, cette fois-ci dans le cadre des célébrations de ses trente ans de carrière, initiées au cours de l’édition 2023 du Beyond the Gates en août dernier. Ceci, face à des festivaliers qui n’attendent que de s’y joindre au vu de l’impatience de certains. Autant dire tout de suite que ces derniers n’en sortiront pas déçus ! Pour fêter cet anniversaire comme il se doit, le groupe a réservé quelques surprises à ses fans, dont il dévoile la première après une entrée en matière en grandes pompes sur l’instrumental Det nye riket suivi de Raabjørn speiler draugheimens skodde ; une surprise qui prend la forme d’un retour de trois anciens membres le temps de quelques titres ! Le suivant, Spellbound (by the Devil), voit débarquer le premier d’entre eux, Tjodalv, batteur entre 1995 et 1999 et qui fait son retour derrière les fûts pour la seconde fois après le Beyond the Gates. Deux titres plus tard, Shagrath annonce, non sans jouer sur le suspense, la présence de deux autres anciens membres : Mustis (multi-instrumentiste de 1998 à 2009) et nul autre qu’ICS Vortex, de retour sur scène deux heures à peine après la performance de Borknagar. Cette réunion des anciens donne lieu à une performance collective de The Insight and the Catharsis sur laquelle tous profitent du moment à fond, en particulier Vortex qui s’en donne à cœur joie autant sur sa basse qu’en chantant à pleins poumons derrière le micro, sous les accolades de son vieux camarade Shagrath. L’alchimie de l’union entre anciens et nouveaux est plaisante à voir ; quel plus beau cadeau d’anniversaire à offrir à soi-même et au public ? [Ségolène]
Pour la suite et l’entièreté du concert, après un retour à sa configuration classique, Dimmu Borgir continue de dévoiler une setlist qui l’est, elle, un peu moins, similaire à celle jouée au Beyond the Gates et qui propose un tour d’horizon de la carrière du groupe. En d’autres termes, pour Shagrath, Silenoz, Galder et consorts, l’heure est à la mise en retrait du symphonique grandiloquent des albums récents au profit d’un hommage aux racines au travers de titres old-school tels Stormblåst, Entrance ou Dødsferd ; une autre surprise pour ceux qui ne les attendaient pas. Non que cela soit pour déplaire à des spectateurs qui, bien au contraire, expriment leur ravissement vis-à-vis de ce retour aux sources apportant un rafraichissement bienvenu au show d’un groupe qui, selon certains, peine à se renouveler depuis quelques années… L’entrain dont font montre les musiciens est pour beaucoup dans ce sentiment, en particulier Silenoz qui multiplie les joyeuses grimaces et le bassiste Victor Brandt à l’aise au point qu’il semble prendre la pose pour les photos ! Les fans de la dernière heure ne sont pas laissés sur le carreau, puisqu’Eonian trouve sa représentation au travers des deux extraits Ætheric et Council of Wolves and Snakes, segment au cours duquel la théâtralité atteint son paroxysme puisque prenant des airs de rite occulte mené par un Shagrath immergé dans son rôle de maître de cérémonie, levant un crâne cornu en hommage à ses fidèles sur fond de passage orchestral, le tout agrémenté d’effets pyrotechniques. L’enthousiasme va bon train sur scène comme en face, et c’est ainsi que, dans la bonne humeur générale, je me surprends à lâcher mon appareil pour entonner les vocalises de l’éponyme hymne Dimmu Borgir aux côtés des autres spectateurs… bien que je reconnais que je me serais bien passée des hurlements de fans un peu trop enjoués dans mes oreilles ! Après ce qui se donne l’allure d’un finale, le groupe fait mine de quitter la scène sous les yeux d’un public qui n’est pas dupe de la manœuvre, avant de revenir sous les acclamations pour le véritable et très attendu finale, constitué de trois titres parmi ses plus grands classiques, dont le grand favori Progenies of the Great Apocalypse. Après une telle dose d’épique, l’adrénaline prend son temps à redescendre ; j’en veux pour témoins les spectateurs que j’entends répéter « It was wonderful! » ou « Amazing show! » avec un grand sourire. Du haut de ces deux heures de set, Dimmu Borgir s’impose comme l’excellente surprise de cette édition de l’Inferno, lui qui s’imposait comme tête d’affiche vouée à rassembler avant même le début des hostilités. Un succès plus que mérité ! [Ségolène]