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Il n’est un secret pour personne dans la scène Black Metal, voire la scène Metal dans son ensemble, que la Norvège a été et demeure un des plus importants viviers, si ce n’est le plus important, de groupes s’en revendiquant. Ceci aura laissé le temps, pour le marché de se retrouver saturé, et, pour les codes associés de subir moult détournements en tous genres, y compris en dérision, jusqu’à transformer le « groupe de Black Metal norvégien » en un archétype confinant parfois à la caricature. Dans un tel contexte, quels moyens pour un groupe émergeant du néant tel Tilintetgjort de s’imposer dans le milieu ? En réponse, et déjà bien aidé par sa signature chez Dark Essence Records, producteur entre autres de Taake, le quintet au nom imprononçable avance deux arguments de poids. À gauche, une identification au courant avant-gardiste ; à droite, des méthodes de production artisanales basées sur l’enregistrement en direct. Au milieu, un premier album, In Death I Shall Arise, sorti le 31 mars dernier et dont le titre traduit l’ambition derrière ce pari, audacieux au vu de l’ambivalence des sentiments que peuvent susciter de tels choix artistiques, et tenu par un groupe qui du reste revendique sur son site une « passion féroce ». Que de promesses ! Tilintetgjort sait-il les tenir ?
En vérité, la question qui se pose, en premier lieu, concerne la définition que donne Tilintetgjort au Black Metal d’avant-garde. Marque d’originalité bienvenue pour certains, écran de fumée dissimulant un manque d’identité pour d’autres, opaque y compris pour les connaisseurs, le terme laisse attendre l’inattendu dans tous les cas… Sur son site, le groupe évoque des sources d’inspiration mêlant le Black Metal des années 90 au rock progressif des années 70, ainsi qu’à divers genres expérimentaux. Un tel mélange paraît peu facile à appréhender, cependant, en bons connaisseurs de l’alchimie dont ils font leur thématique centrale, les cinq membres de Tilintetgjort savent que le secret d’une combinaison réussie réside dans le dosage progressif. De cette manière, l’album s’ouvre sur Kvikksølvdrømmer, dont la structure simple en forme de boucle – le même riff ouvrant et fermant le morceau – ainsi que la durée raisonnable de sept minutes en font l’une des pistes les plus faciles d’écoute. Tout cela suffit toutefois à rassembler riffs chromatiques, chœurs façon Pagan, blasts frénétiques et autres références propres au Black Metal des 90’s qui plongent l’auditeur en —relative— douceur dans un bain bouillant. Le tout se voit renforcé par l’aspect brut de la production artisanale, qui fait ressortir chaque élément dans toute la sincérité de son imperfection, d’un micro de guitare par des notes de guitare dissonantes aux quelques fausses notes ponctuant les passages en chant clair, et donne à la basse de Sturt:, qui porte une bonne partie des compositions, le soin qu’elle mérite.
Après ce début rassurant, bien que déjà ponctué de son lot de ruptures de tons et de rythme, le groupe ne cesse par la suite de multiplier ces dernières, dévoilant un peu plus de la folie expérimentale des anciens et nouveaux alchimistes au travers de l’exploitation de ses influences. Cela commence avec Sannhetens Søyler, morceau centré sur les mélodies et où se pointent les premières dysrythmies, tout en reprenant peu ou prou les mêmes références que le titre d’ouverture. Son outro se lie à l’intro de la piste suivante, Mercurial, de manière assez fluide pour ne pas créer de mauvaise surprise. Ce troisième morceau est sans conteste celui où les influences progressives se font les plus marquées, porté par une longue montée en puissance qui donne l’occasion aux guitaristes, Hazzlegard et Den Gamle, de se livrer à quelques folies créatrices en matière de shredding. Sur Vinter og Høst, le groupe, non content de rendre un hommage poussé à Immortal, au travers de riffs à l’agressivité cinglante, pousse encore un peu plus loin le jeu de l’expérimentation, en intégrant des samples à l’intro et une rythmique jazzy à la batterie avant de conclure sur une outro bruitiste qui ne laissera pas les oreilles indifférentes. Hex, quant à lui, vient conclure cette première moitié d’album en faisant honneur à son sujet par l’emploi du chant diphonique, ainsi qu’aux racines punk du Black Metal de par sa durée dépassant de peu deux minutes et la simplicité de son style mélodique. Par Nicolas Flamel, Tilintetgjort aurait-il découvert le secret de l’alchimie parfaite ?
À n’en pas douter, la créativité débridée que revendiquent les cinq Norvégiens est bel et bien fondée, de même que la variété de leurs influences et le travail effectué pour faire honneur à chacune d’entre elles. Cependant, au fil de l’écoute d’In Death I Shall Arise, cette trop grande disparité se fait ressentir, et l’on ne peut s’empêcher de reprocher au groupe d’en faire un peu trop en cherchant à créer à tout prix des combinaisons improbables. En résultent des morceaux qui, bien que fluides dans leur enchaînement, manquent de cette fluidité dans leur individualité et finissent par partir dans tous les sens, de sorte qu’aucun ne paraît ressortir particulièrement du lot. La dernière piste de l’album, Dommedagsmonument, est la plus symptomatique de cet état d’esprit faisant rimer variété avec bordélique. Morceau-fleuve de plus de vingt minutes, il synthétise sur cette durée tous les éléments de ceux ayant précédé, le groupe se lâchant comme jamais sur les ruptures de ton et de rythme… au point de donner l’impression d’écouter plusieurs morceaux réunis en un seul ! Les amateurs d’analyse musicale y trouveront du bon grain à moudre ; à l’inverse, les moins avertis — et les moins concentrés — risquent fort de se retrouver perdus et de lâcher en cours de route… Il donne en tout cas une occasion bien opportune à Svik de clamer haut et fort « In Death I Shall Arise! », idée qui fera sourire plus d’un !
Ce premier effort permet-il à Tilintetgjort de se démarquer au milieu de la masse ? À n’en pas douter, de par l’originalité dont ni la musique ni les méthodes de production ne manquent -bien que n’étant pas nouvelles dans le cas de ces dernières. In Death I Shall Arise n’est pas un album conçu pour plaire à tout le monde, et il ne fait là aussi nul doute que son grain sonore particulier et sa structure chaotique en laisseront plus d’un sceptique. Cependant, au-delà de ces considérations, force est de constater qu’en voulant adopter la même recette explosive sur tous les morceaux, le groupe oublie d’ajouter à chacun d’eux son assaisonnement, tous six finissant alors par avoir le même goût… L’originalité devient par-là la faiblesse autant que la force de l’ensemble. Animé par la passion, Tilintetgjort doit toutefois savoir raison garder, dans la perspective de ses prochaines productions ; l’alchimie n’en ressortira que meilleure…