Sunken fut créé en 2012 à Aarhus sous le nom d’Arescet, avant d’en changer en 2013 afin d’adopter celui sous lequel nous le connaissons aujourd’hui. Le groupe republie alors sa demo The Crackling of Embers avant de sortir les albums Departure et Livslede, respectivement en 2017 et 2020. Dès le début de leur carrière, les Danois parviennent à se trouver une identité tout à fait singulière, identité que le groupe affine et perfectionne encore aujourd’hui.
Je dois avouer que j’ai découvert Sunken plutôt récemment, plus spécifiquement au moment où je me préparais au Summer Breeze Open Air de cette année. Il va sans dire que j’ai d’emblée été conquis par leur musique. Ceci dit, c’était avant de les voir en concert, à 2 h du matin sur une des plus petites scènes, ce que je garde assurément en tête comme un des sets les plus mémorables du festival. C’est alors avec la plus grande joie que je me lançai dans la découverte de leur tout nouvel album, Lykke, qui sort le 24 octobre chez Eisenwald. Ayant la lourde tâche de succéder à Livslede, qui a permis au groupe de véritablement se forger un nom dans la scène internationale, ce nouvel opus excède toutes les attentes.
Autant dire que des attentes, il y en avait énormément. La vie d’un groupe comporte plusieurs défis : le premier album permet de définir le son du groupe et de montrer au monde entier ce à quoi s’attendre ; le second, d’autant plus difficile, consiste à continuer sur cette même voie, à expérimenter un petit peu histoire de ne pas se répéter, mais pas trop quand même ; le troisième album constitue, à mon avis, une des épreuves les plus dures car, après deux LP très bien reçus par la communauté, il s’agit maintenant de tailler son propre chemin et de montrer aux fans qu’on est toujours capable de produire un contenu de qualité, qui égale voire surpasse les efforts précédents, tout en se réinventant dans une certaine mesure.
Tout d’abord, les Danois ont débuté leur carrière avec un black atmosphérique assez classique pour ensuite, au fil du temps, s’aventurer hors des sentiers battus et de proposer un son qui est devenu vraiment unique en son genre, et qui est des plus exceptionnels. La manière dont le groupe joue avec les atmosphères, les textures et les sons est, à mon sens, tout simplement inégalée. Alors que les parties rapides sont fulgurantes et viscérales, les parties lentes sont lourdes, planantes et mélancoliques, les morceaux alternant entre des paysages sonores typés doom et très évocateurs, des blasts inarrêtables, et des moments paisibles. L’écoute de l’album, long de 47 minutes et composé de quatre titres, passe extrêmement vite lorsqu’on est happé par son atmosphère. Chaque morceau prend le temps de s’installer et d’instaurer une ambiance particulière, la voix ne monopolisant en aucun cas l’espace et laissant les instruments opérer leur magie. Din Roest Malede Farver I Luften, le premier titre de l’album, est un morceau plutôt planant, donnant le ton pour le reste de l’opus. Og Det Er Lykke, le second, représente le pan dépressif, avec des progressions d’accords mélancoliques et une montée en crescendo qui explose tout à coup en une partie terriblement émotionnelle. Glaedesfaerd, le troisième, illustre une lente déchéance de par une ambiance davantage doom et shoegaze, presque religieuse par moments. Finalement, Naar Livet Gaar Paa Haeld, relativement tranquille, clôt ce chapitre par un sentiment de pseudo-béatitude, le morceau étant assez lent et atmosphérique.
Le terme « sunken » signifie « coulé » ou « englouti ». En somme, exactement ce qu’on ressent en écoutant leur musique. Par-dessous d’acérés leads de guitare au premier plan, se cachent des riffs tremolo avec énormément de réverbération, ce qui constitue un tapis sur lequel reposent les morceaux, et c’est quelque chose que j’ai très rarement entendu. Au fur et à mesure de l’album, l’écoute donne l’impression que ces sons, flous, s’éloignent, comme si l’on coulait jusqu’au fond de l’océan. La voix de Martin Skyum Thomasen, quant à elle, penche quasiment dans le DSBM par moments, comme sur Og Det Er Lykke, où son chant peut pleinement s’exprimer et démontrer sa polyvalence avec des cris torturés et furieux. Les paroles tournent autour du thème de la dépression, du désespoir, et évoquent les souvenirs d’une joie passée, « lykke » signifiant « bonheur » en danois. Le dernier morceau, Naar Livet Gaar Paa Haeld, raconte la fin d’une histoire, la dernière étape d’un voyage : on a touché le fond, où tout est noirceur et quiétude.
Même si Lykke est un album doté d’un son singulier, le groupe n’hésite pas à démontrer ses influences, qu’elles proviennent du blackgaze de Deafheaven et d’Alcest, du funeral doom d’Ahab ou même du drone et du post metal. Le tout est mélangé d’une manière astucieuse, résultant en un album bien ancré musicalement, mais prenant la liberté d’expérimenter et d’affiner un black metal qui est devenu, avec le temps, vraiment unique et qui transcende le genre.
Les jeunes Danois ont certainement délivré une offrande des plus impressionnantes de 2025, et, encore une fois, un chef-d’œuvre en matière de black atmosphérique. Lykke invite à un long voyage dans le néant, une odyssée explorant autant les abysses de l’océan que celles de la psyché humaine, dans une sorte de longue noyade inévitable. À travers des compositions mélancoliques, froides et planantes ainsi que des textes sublimes, le groupe questionne la notion de bonheur, de joie passée et de dépression. En somme, un album frappant, émouvant et fabuleusement impactant, un digne successeur à Livslede, poussant son art encore plus loin. On retrouve davantage d’influences, d’inspiration et de polyvalence (surtout dans la voix) que sur les opus précédents. Lykke marque ainsi Sunken comme une formation de black metal à absolument suivre de près et qui ira loin. D’ailleurs, le groupe sera en tournée dans quasiment toute l’Europe du 21 novembre au 20 décembre 2025. Alors foncez les voir, ça vaut vraiment le coup.
Morceaux favoris : Og Det Er Lykke, Glaedesfaerd, Naar Livet Gaar Paa Haeld.
Saura ravir les fans de : Deafheaven, Blood Abscission, Alcest, Mare Cognitum, Der Weg einer Freiheit, Wolves in the Throne Room.
