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Il est aujourd’hui difficile de contester la place de Leprous parmi les figures majeures du metal progressif contemporain. Mais si le groupe norvégien occupe une position aussi singulière, ce n’est pas tant par son appartenance à une scène codifiée que par la trajectoire artistique qu’il a su tracer, en constante mutation. Depuis leur première démo en 2004, les musiciens de Leprous ont patiemment bâti, au fil d’albums à la fois inventifs et profondément émotionnels, une identité sonore unique, souvent à contre-courant des attentes du genre.
Car si leur virtuosité technique ne fait aucun doute, elle n’a jamais été un but en soi. Leprous lui préfère une approche viscérale, expressive, toujours au service de l’émotion plutôt que de la démonstration. Cette sincérité artistique leur a valu une reconnaissance croissante, ainsi qu’un public fidèle, prêt à les accompagner dans chacune de leurs explorations, aussi audacieuses soient-elles.
Les sorties successives de Pitfalls (2019), Aphelion (2021) puis, plus récemment, Melodies of Atonement (2024), ont consolidé leur statut au sein du panthéon du metal progressif moderne. Une période d’une rare fécondité pour la formation menée par Einar Solberg, que An Evening of Atonement – Live in Tilburg vient consacrer avec éclat.
Capté au Poppodium 013 de Tilburg, aux Pays-Bas, un soir de février 2025, ce concert monumental s’étend sur deux sets retraçant l’ensemble de la carrière du groupe. Vingt morceaux, plus de deux heures de musique, déclinés en plusieurs formats : double CD, triple vinyle, et une somptueuse édition Blu-Ray agrémentée d’une interview de 26 minutes – soit près de cinq heures de contenu. Une véritable célébration de tout un parcours.
Mais An Evening of Atonement est bien plus qu’un simple enregistrement live. C’est une synthèse de plus de vingt années de création, une traversée des multiples facettes de l’univers Leprous, oscillant entre vulnérabilité assumée et puissance cathartique. Le groupe y poursuit son exploration de la fragilité humaine, sans jamais renier ses racines plus extrêmes. Loin de se contenter des codes du metal progressif, Leprous y sculpte un espace émotionnel singulier, où le silence a autant de poids que la déflagration sonore.
Au cœur de cet équilibre fragile, la voix d’Einar Solberg règne comme un instrument à part entière. Capable de passer d’une douceur angélique à une fureur dévastatrice, il incarne cette tension permanente entre maîtrise et abandon, entre perfection technique et sincérité brute. Autour de lui, ses compagnons de route tissent un écrin sonore d’une précision redoutable, sans jamais étouffer la sensibilité qui fait l’âme du groupe. Leprous ne cherche pas à impressionner mais à bouleverser et y parvient avec brio.
An Evening of Atonement dépasse ainsi le cadre du simple témoignage scénique. C’est une déclaration d’intention, un manifeste d’intégrité et de constance. Plus de vingt ans après leurs débuts, les Norvégiens prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur audace, mais qu’ils l’ont transformée, affinée, pour offrir une musique toujours plus exigeante, mais profondément humaine.
En définitive, An Evening of Atonement – Live in Tilburg s’impose comme une œuvre charnière : à la fois rétrospective et tournée vers un avenir tout aussi prometteur. En capturant la quintessence d’un parcours à la créativité foisonnante, Leprous signe ici une célébration de sa propre évolution.
Peu de groupes parviennent à conjuguer avec autant d’équilibre la rigueur du musicien et la sensibilité de l’artiste. À Tilburg, Leprous ne se contente pas de jouer : il se met à nu, expose sa force et sa fragilité, et rappelle que, dans le metal progressif, la véritable modernité ne tient pas à la forme – mais à l’authenticité.