
Site Internet
Coroner fait partie des pionniers incontestés du thrash metal technique, aux côtés notamment des Canadiens de Voïvod. Le groupe suisse avait marqué les esprits avec son cinquième et dernier album, Grin, paru en 1993. Salué tant par la presse spécialisée que par le public, il demeure aujourd’hui encore une référence absolue du genre. Depuis Grin, c’était pourtant le silence radio du côté de Zurich : aucun nouvel album, seulement quelques apparitions live sporadiques.
Autant dire que l’annonce, plus de trente ans plus tard, d’un sixième album intitulé Dissonance Theory a eu l’effet d’un séisme dans le milieu metal. Et quel plaisir de découvrir enfin un premier extrait, Renewal, dévoilé il y a à peine quelques semaines. Un titre prometteur, certes, mais qui laissait planer le doute quant au bien-fondé d’un retour aussi tardif.
L’album du retour allait-il être à la hauteur de la légende ?
C’est donc avec une certaine impatience mêlée d’appréhension que je lance la lecture du disque.
Dès les premières secondes, Oxymoron, une courte intro atmosphérique et glaciale, installe d’emblée l’ambiance: froide, clinique, presque oppressante, quasi industrielle. Cela s’annonce tranchant comme l’acier.
Et la suite ne déçoit pas : Consequence, le premier véritable morceau confirme cette impression. C’est non seulement froid et tranchant, mais aussi incroyablement groovy, porté par des riffs assassins, une basse vrombissante et un chant rageur. Coroner n’a rien perdu de son sens de la précision chirurgicale, ni de cette approche presque intellectuelle du thrash metal, et balance d’entrée de jeu une véritable claque en pleine gueule.
Une déflagration sonore qui se prolonge avec Sacrificial Lamb, un titre massif dominé par des riffs étouffants et une section rythmique d’une densité impressionnante. Si le morceau s’ancre profondément dans la lourdeur, il rappelle aussi pourquoi le thrash de Coroner est qualifié de technique : les musiciens y multiplient les changements de rythme et d’ambiances sans jamais perdre en tension. Et au cœur de cette tempête métallique surgit un superbe solo, lumineux et mélodique, dont la clarté tranche avec la noirceur du reste du titre — un contraste saisissant, typique du groupe.
Et ce n’est pas fini : au fil des morceaux, le thrash massif du trio se mêle à des passages plus rapides, à des fulgurances techniques, à des solos épiques et à des ambiances progressives où le groove n’est jamais très loin. On reconnaît immédiatement la patte des Suisses, cette capacité à concevoir une musique à la fois complexe, violente et froide, tout en demeurant mélodique et, étrangement, réconfortante. Un paradoxe qui fait toute la force de Coroner et rend leur univers sonore aussi exigeant qu’accessible.
L’album se conclut sur Prolonging, un court instrumental où un orgue Hammond très rock progressif vient se poser sur des riffs de guitare répétitifs, offrant à l’ensemble une fin originale et inattendue, digne du groupe.
Il est évident que Tommy Vetterli, Ron Broder, les deux membres originels, et Diego Rapacchietti, le petit nouveau derrière les fûts, ne sont pas sortis de leur retraite pour faire de la figuration, mais bien pour réclamer le trône qui leur revient de droit : celui d’un thrash aux atmosphères sombres, progressives, techniques et passionnantes.
Avec ce nouvel album, le groupe signe un véritable pont entre le passé et le futur — une œuvre qui n’a rien à prouver mais qui, paradoxalement, le fait avec éclat. Plus qu’un simple retour, il est une mise à jour réussie d’un langage musical qui, trois décennies plus tard, n’a rien perdu de sa pertinence.
En définitive, Dissonance Theory n’est pas qu’un simple come-back : c’est une leçon. Une démonstration éclatante de ce qu’un groupe peut accomplir lorsqu’il reste fidèle à son identité tout en embrassant le temps présent. Coroner ne cherche pas à rejouer le passé ni à flatter la nostalgie des anciens fans ; il redéfinit plutôt ce que peut être le thrash metal technique à l’ère moderne — plus mûr, plus sombre, plus introspectif. Dissonance Theory s’impose ainsi comme un album à la fois testament et manifeste, confirmant que Coroner, plus de trente ans après Grin, n’a rien perdu de son tranchant. Mieux encore, il n’a jamais semblé aussi vivant.