The Night Flight Orchestra, The Headlines, Pretty Maids, Jinjer, Alien, Within Temptation, Sarcator, Opeth, Myles Kennedy, Slipknot, King Diamond
Sölvesborg (SE)
Date 4 juin 2025
Chroniqueur Marc A
Photographe Marc A
https://swedenrock.com/

Il est 11 heures quand j’arrive, plein d’enthousiasme, à la tente presse pour débuter mon aventure au Sweden Rock. L’enthousiasme, cependant, retombe vite. En effet, mon nom est bien sur la liste des accrédités, mais associé à un personnummer — le numéro d’identité suédois — qui n’est pas le mien. Or, c’est précisément ce numéro qui sert de sésame pour récupérer le précieux pass. Heureusement, l’efficacité scandinave fait ses preuves, et le souci est réglé en quelques minutes. Me voilà donc, bracelet au poignet, prêt à franchir enfin les portes du festival suédois.

Sur les scènes, les hostilités ont déjà commencé. The Night Flight Orchestra, qui sera ma première étape de ces quatre jours, est en plein soundcheck — et ça sonne déjà plutôt bien. Le temps de repérer l’espace presse réservé aux journalistes du monde entier, de récupérer un casier pour y déposer mes affaires, de croiser quelques collègues suédois, belges et français, de boire un café… me voilà en route pour le premier concert officiel de mon Sweden Rock 2025.

Véritable chouchou de la presse comme du public depuis quelques années maintenant, The Night Flight Orchestra (SE) entre en scène sous les applaudissements nourris d’un public déjà conquis. C’est au son de Final Call, l’intro de leur dernier album, que débute le concert. Dès le premier morceau, l’ambiance est posée : détendue, festive, contagieuse. Sur scène comme dans la foule, ça chante, ça sourit, ça danse – les paroles sont connues par cœur et reprises en chœur par le public. Portés par cette énergie partagée, les musiciens enchaînent leurs tubes, avec une belle place accordée à leur dernier opus : Stratus, Shooting Velvet, Cosmic Tide, Paloma… le public est aux anges. Quelques morceaux plus anciens dont Satellite ou encore White Jeans s’invitent aussi à la fête, pour le plus grand plaisir des fidèles. Si le ton reste léger — on aperçoit Anna Brygård et Åsa Lundman, les hôtesses/choristes de ce vol de nuit, en train de siroter du champagne sur le côté de la scène —, il ne faut pas s’y tromper : les Suédois sont de redoutables interprètes, capables de reproduire leurs morceaux à la perfection, morceaux qui passent haut la main l’étape de la scène. Les titres bénéficient même d’un son plus rentre-dedans qu’en studio, dû à un mixage qui relègue les claviers au second plan, pour un résultat loin d’être désagréable. La troupe menée par Björn Strid offre une prestation idéale pour lancer les festivités. Parfaitement rodé, charismatique et généreux, le groupe pose d’entrée les bases pour un festival placé sous le signe de la fête, de la musique et de la bonne humeur.

Cap sur le concert suivant, celui d’un groupe que je découvre en live : The Headlines (SE), formation punk rock auteure de plusieurs albums, qui revendique fièrement l’héritage des Ramones et de The Clash. Le public est bien au rendez-vous et la tente est pleine à craquer. J’arrive un peu après le début du show, et l’ambiance est déjà brûlante. Kerry Bomb, la chanteuse à la voix éraillée, dégouline de sueur mais ne lâche rien. À peine le temps de me poser dans un coin pour prendre quelques photos qu’elle descend dans la fosse pour interpréter un morceau au milieu du public, provoquant un circle pit autour d’elle ! Le public suédois, d’ordinaire plutôt calme et discipliné, se lâche totalement, emporté par l’énergie brute du groupe et ses refrains punk teintés de pop. Remontée sur scène, Kerry Bomb enchaîne avec Warpaint/Authority, un brûlot dont le titre annonce clairement la couleur : une charge frontale contre l’autorité, crachée avec rage et conviction. Le refrain, scandé par tout le public – I hate authority ! – résonne comme un véritable cri de guerre. Même si, sur le papier, leur style musical n’est pas exactement ma tasse de thé, difficile de rester insensible à une prestation aussi intense. Entre sueur, décibels et adrénaline, The Headlines s’impose comme une vraie belle découverte en live – le genre de groupe dont je n’attendais rien de particulier, mais que je ne suis pas près d’oublier de sitôt.

Sur le chemin vers le concert suivant, j’assiste de loin à une partie du show de Nothing More (US) qui a clairement musclé son jeu : les morceaux, déjà puissants sur album, gagnent une nouvelle dimension en live. Plus rugueux, plus intense, un durcissement de ton que les spectateurs, venus nombreux, semblent apprécier.

Pour ma part, cap sur la Rock Stage, où les vétérans de Pretty Maids (DK) ne vont pas tarder à entrer en scène. Moi qui ne les ai encore jamais vus en live, je suis curieux de découvrir ce que leur heavy metal mélodique a à offrir sur les planches. Les Danois sont manifestement attendus de pied ferme par leurs voisins suédois, venus en nombre. Ils ouvrent le bal avec un Mother of All Lies survitaminé qui donne immédiatement le ton. Ronnie Atkins et René Shades débordent d’énergie, sillonnant l’immense scène d’un bout à l’autre, sourire vissé aux lèvres. Chris Laney, impeccable à la fois aux claviers et à la guitare, passe d’un instrument à l’autre avec une aisance déconcertante. Plus en retrait, Ken Hammer reste fidèle à son poste côté droit, concentré et redoutablement efficace. En une petite heure, Pretty Maids enchaîne les classiques issus de ses différentes époques. Little Drops of Heaven, Red Hot and Heavy, Serpentine, Pandemonium, ou encore une reprise émouvante de Please Don’t Leave Me du regretté John Sykes soulèvent la foule. Mais sans surprise, ce sont les incontournables Future World et Love Games, tirés de l’album culte Future World, qui déclenchent la plus grosse ovation. Avec ce set généreux, porté par une machine bien huilée qui, malgré les années — et le cancer du poumon dont a souffert Atkins il y a quelques années —, reste d’une efficacité redoutable. Un véritable plaisir !

Lors d’un festival, il faut parfois faire des choix. Je décide donc de faire l’impasse sur une bonne partie du set de Jinjer (UA) pour me rendre à la petite Blåkläder Stage, où se produit au même moment le groupe suédois Alien. Avant de filer, j’assiste tout de même aux deux premiers morceaux des Ukrainiens, On the Top et Duél, qui suffisent à confirmer ce que la réputation du groupe laissait présager : un son massif, une énergie impressionnante, et surtout la performance bluffante de Tatiana Shmayluk, qui passe du chant clair aux hurlements avec une aisance et une maîtrise redoutables. Leur metal progressif, à la fois technique et surpuissant, soulève sans difficulté une foule déjà acquise à leur cause.

Toutefois, aujourd’hui, c’est Alien qui a ma préférence. Non que Jinjer ne m’intéresse pas — mais leurs performances live sont abondamment chroniquées sur le net —, j’ai donc choisi de mettre en lumière cette formation suédoise culte, souvent oubliée, qui a pourtant marqué l’année 1988 avec un album éponyme devenu un classique du hard FM/AOR. Parmi les titres incontournables joués ce soir : Only One Woman (écrite par les Bee Gees pour les Marbles, groupe dans lequel chantait un certain Graham Bonnet), Brave New Love, Tears Don’t Put Out the Fire, mais aussi Dying by the Golden Rule, Go Easy ou encore Night of Fire. Sur scène, les musiciens affichent une joie évidente d’être là, multipliant les interactions avec un public manifestement ému, visiblement composé de fans de la première heure. Discret mais impeccable, le guitariste Tony Borg déroule ses parties avec un jeu très inspiré de Ritchie Blackmore — auquel il ressemble d’ailleurs étonnamment — tandis que Jim Jidhed interprète les chansons avec une voix toujours aussi assurée, puissante et chargée d’émotion. Il est soutenu par Kajsa Borg (fille de Tony) et Jonathan Jaarnek, deux jeunes choristes qui apportent une touche de fraîcheur et d’harmonie, donnant encore plus de relief aux refrains accrocheurs du groupe. Un beau moment de nostalgie !

N’étant pas particulièrement fan de Within Temptation (NL), je décide tout de même d’assister à une bonne partie de leur show. Si le groupe de Sharon Den Adel me laisse plutôt froid en version studio, je suis curieux de voir ce qu’il vaut sur scène ; qui plus est, c’est sans doute l’une des rares occasions que j’aurai de voir les maîtres du metal symphonique en action. À ce moment, force est de constater que la scène leur convient bien mieux que le disque. Là où je trouve leur musique assez plate en studio, elle prend ici toute son ampleur. La scénographie est particulièrement soignée, avec ses immenses colonnes doriques surplombées de chandeliers et les vidéos projetées en fond de scène qui installent une atmosphère gothique parfaitement en phase avec l’univers sonore du groupe. En 1 heure 15, Within Temptation démontre pourquoi il domine son genre, en déroulant une setlist façon best-of, qui fait la part belle au dernier album, Bleed Out, sans oublier les classiques issus de ses disques récents et plus anciens, comme Our Solemn Hour, Faster ou l’incontournable Supernova, qui déclenche une véritable hystérie dans un public aux anges. Si l’ensemble des musiciens fait le job avec brio, deux d’entre eux se démarquent nettement : Vikram Shankar – vu récemment avec Pain of Salvation – toujours en mouvement derrière ses claviers, et bien sûr la reine Sharon Den Adel, véritable aimant scénique. Visuellement captivante et vocalement irréprochable, elle livre une prestation sans faute, impressionnante de justesse et de maîtrise. Profitant d’une pause entre deux morceaux, elle prend le temps d’afficher son soutien à l’Ukraine – dont elle arbore le drapeau peint sur le bras – dans un court discours engagé sur l’importance vitale de défendre la démocratie. Elle en profite pour inviter le public à regarder le documentaire que le groupe a tourné l’année précédente dans le pays en guerre, ajoutant une touche d’humanité et de gravité à un concert déjà habité. Elle dédie ensuite Stand My Ground au peuple ukrainien. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’admets donc que c’est une belle surprise pour moi qui ne m’attendais pas à être autant impressionné par les Néerlandais.

Changement total de décor et d’ambiance avec Sarcator (SE), qui se produit sous chapiteau, sur la Pistonhead Stage. Le jeune groupe balance un thrash musclé, teinté de black et de death, devant un public certes attentif, mais plutôt avare en réactions. Pas de chichis ici : ça joue vite, fort, et sans détour. Le jeu de scène se résume à un headbang intensif de la part des musiciens, soutenu par un lightshow minimaliste dominé par des teintes rouges et jaunes qui renforcent l’atmosphère brutale. Pas besoin d’artifices: c’est la musique qui parle, et elle parle fort. Dans ce cadre resserré, ce déferlement sonore fonctionne parfaitement. Une parenthèse sombre et intense, à mille lieues du clinquant de certaines grosses productions du festival.

Le soleil, fidèle compagnon jusque-là, cède brusquement sa place à quelques gouttes de pluie, qui commencent à tomber dès les premières notes d’Opeth (SE). Mikael Åkerfeldt et sa troupe ouvrent leur set avec §1, extrait de The Last Will and Testament, leur dernier album en date. Tout semble parfaitement en place : un son limpide, un lightshow soigné, un groupe carré… mais la météo en a décidé autrement. Les quelques gouttes deviennent rapidement des trombes d’eau et, comme souvent dans ce genre de situation, personne n’avait vraiment anticipé. Je me retrouve donc, comme une bonne moitié du public, à courir me mettre à l’abri. Direction la tente presse, en quête désespérée d’un imperméable ou, à défaut, d’un coin sec. Par chance — et désormais équipé d’un imperméable et d’une protection pour mon appareil photo — je suis de retour à temps pour la fin du set. Et quelle fin ! Opeth enchaîne In My Time of Need, tiré de Damnation, mon album préféré du groupe, Ghost of Perdition, Sorceress et Deliverance — qui est ce soir interprété pour la millième fois en live — dans une montée en intensité magistrale. Malgré la pluie battante qui tombe toujours, le public reste stoïque, captivé par la prestation hypnotique du groupe. La voix de Mikael Åkerfeldt, toujours aussi habitée, oscille entre douceur mélancolique et growls abyssaux qui ont définitivement fait leur retour, portée par une section rythmique implacable et des arrangements toujours aussi subtils. La météo déchaînée couplée à la musique du groupe crée un moment suspendu, presque irréel – assurément un grand moment du festival.

Je poursuis mon périple humide par une halte devant la Sweden Stage, de taille intermédiaire mais toujours bien fréquentée, même sous la pluie. C’est Myles Kennedy (US) qui s’y produit, imperturbable malgré les conditions météo. Avec sa voix toujours aussi reconnaissable, il livre un set efficace reprenant les titres de ses trois albums solo. Pas de grandes démonstrations scéniques ici : tout est dans l’interprétation, dans l’équilibre entre puissance vocale, retenue et jeu de guitare — dont il change régulièrement selon les titres — sobre. Le public, fidèle, suit le rythme sans se laisser démonter par la pluie persistante. Une parenthèse plus calme, mais bienvenue, dans cette journée déjà bien chargée en décibels et en émotions.

C’est une véritable marée humaine qui s’est amassée devant la Festival Stage pour assister au premier grand moment de cette édition : Slipknot (US), tête d’affiche de la soirée, entre en scène avec la fureur qu’on leur connaît. Le groupe de Des Moines ne fait pas dans la dentelle et ouvre les hostilités avec (sic), immédiatement enchaîné par People = Shit, scandé en chœur par une foule en transe, puis par Gematria (The Killing Name), qui achève de faire monter la température. Après ce démarrage pied au plancher, Corey Taylor prend la parole pour adresser un message au public : il invite chacun à envoyer de l’amour à Shawn “Clown” Crahan, resté au pays auprès de sa famille. Les hostilités reprennent de plus belle avec une avalanche de classiques piochés dans la vaste discographie du groupe. Le public en redemande à grands cris. Sur scène, les musiciens livrent un véritable show total, autant visuel que sonore : combinaisons rouges, masques terrifiants, gestuelle théâtrale et décor à l’avenant – tout y est. Chaque détail est pensé pour frapper fort, et ça fonctionne. Alors que le concert touche à sa fin, le groupe revient pour un rappel attendu, mais pas moins explosif. Spit It Out déclenche une nouvelle vague d’euphorie collective, avant que Surfacing et les huit minutes furieuses de Scissors ne viennent clore cette soirée placée sous le signe de la rage pure. Un concert phénoménal de puissance brute, porté par un Slipknot au sommet de sa forme : précis, habité, mais aussi chaleureux et généreux envers son public.

Pour les plus courageux — qui se font nombreux, moi y compris —, une dernière étape incontournable s’impose avant de clore cette première journée marathon : le concert de King Diamond (DK). Pas particulièrement amateur de sa musique, je choisis malgré tout d’assister à son show. Il faut dire que le Danois est une véritable légende du heavy metal et que je ne l’ai encore jamais vu sur scène ; une belle occasion de combler cette lacune et d’ajouter à ma collection live l’un des derniers grands noms du genre encore en activité. La scène, pour l’occasion, s’est parée d’un immense escalier central et d’ornements gothiques qui plantent d’emblée le décor sombre et théâtral propre à l’univers macabre du King. Un cercueil trône au centre de la scène, quelques poupées décharnées sont posées ici et là, et l’éclairage dominé par le bleu accentue cette atmosphère de film d’horreur vintage. L’ensemble respire le glauque bien léché, tout en respectant parfaitement l’imagerie de King Diamond. Le maître de cérémonie fait son entrée théâtrale au son de Funeral, l’intro lugubre de l’album Abigail, avant d’enchaîner sans attendre sur Arrival et A Mansion in Darkness, deux classiques issus du même disque culte. L’ambiance est immédiatement posée : celle d’un opéra macabre où chaque morceau devient un tableau vivant. La suite du show prend des airs de fête d’Halloween cauchemardesque, avec son lot de rituels et de visions d’outre-tombe comme cette messe noire, célébrée en grande pompe, pendant laquelle surgit une femme-zombie, victime d’une étrange cérémonie Voodoo orchestrée par le King lui-même, dans une délicieuse mise en scène aussi kitsch que captivante. Spider Lilly, nouveau single fraîchement sorti, s’intègre naturellement à la setlist. Il marque un tournant dans le concert, à la fois musical et visuel, puisqu’il permet à notre figurante zombie de refaire surface – cette fois sous les traits de Lilly, jeune femme à l’apparence démoniaque, vêtue d’une robe noire et au regard aussi dérangé que dérangeant. Le personnage hante la scène, gesticule, démembre des poupées, et renforce l’aspect théâtral d’un show où l’horreur n’est jamais loin du grand-guignol. Pour Spider Lilly, le King pousse encore plus loin l’esthétique macabre : il arbore un masque par-dessus son maquillage déjà saisissant, donnant à son visage des allures de poupée de porcelaine fissurée. Le résultat est aussi troublant qu’effrayant, parfait prolongement visuel d’un morceau où la frontière entre cauchemar et réalité semble définitivement abolie. Après 1 heure 15 d’un spectacle théâtral mêlant heavy metal old school et clins d’œil appuyés aux films de la Hammer, dans une mise en scène aussi macabre qu’exigeante, le moment est venu — non sans avoir savouré le classique des classiques Abigail, jouée en rappel — de prendre congé du King. Les guitares peuvent enfin se taire, les esprits se calmer. Il est temps de rentrer, de recharger les batteries et de se préparer à une deuxième journée qui s’annonce tout aussi dense, intense et, espérons-le, mémorable que cette première déjà bien remplie.