
Site Internet
Ces dernières années, les Indiens de Bloodywood ont littéralement dynamité la scène metal internationale avec leur premier album Rakshak, qui avait vraiment fait forte impression et avait propulsé le groupe — qui avait cartonné sur Youtube — de la sphère Internet à la scène tout court. Ce mélange explosif de metal, de rap, de sonorités électroniques et d’instruments traditionnels avait su créer un vrai buzz, là où peu de gens imaginaient un filon. En effet, le mélange est étonnant mais ô combien efficace. Au fil des concerts, le succès s’est confirmé avec des lives dans de nombreux gros festivals, tous marqués par une énergie scénique folle. Pour avoir eu l’occasion de les voir récemment, sachez que je suis arrivé curieux mais j’en suis ressorti conquis !
Les voilà donc de retour avec Nu Delhi, un album court mais intense, composé de huit morceaux pour un peu plus de trente minutes d’écoute, dont on sent clairement qu’il est taillé pour la scène.
L’album s’ouvre sur Halla Bol, une introduction symbolique. Le morceau installe un climat mystérieux avec une ambiance sonore traditionnelle, avant que les guitares, percussions tribales et les effets électro ne prennent le relais. Le rap de Raoul Kerr se mêle aux rythmes très metalcore dans une montée en puissance assez typique du groupe, avec en toile de fond le dohol, dont les battements résonnent tout au long de l’album. Cet instrument est un vrai plaisir tant il dépayse l’auditeur et fait appel à notre cerveau reptilien tant l’envie de bouger est viscérale. Ceci, malgré une production très électronique qui pourrait sembler un peu trop lissée. En live, toutefois, l’énergie du groupe balaie ces craintes.
Vient ensuite Hutt, morceau au mid-tempo dansant, parfait pour faire sauter le public. Le refrain est accrocheur, soutenu par des progressions harmoniques simples mais efficaces (IV / V / VI / I) sur le refrain et des rythmiques inspirées djent durant les couplets. Le morceau parle du regard des autres, de la capacité à s’en affranchir pour assumer ses qualités personnelles. Il confirme la volonté du groupe de proposer des morceaux directs et pensés pour le live.
S’ensuit Dhadak, plus court et introspectif, qui ralentit le rythme sans perdre l’impact. Le groupe y explore une facette plus émotionnelle de sa palette, tout en gardant ses fondations percussives solides. C’est une transition intéressante avant l’un des temps forts de l’album.
En effet, le titre suivant est Bekhauf, collaboration inédite avec Babymetal, qui marque une ouverture rafraîchissante. Ce duo trilingue (anglais, hindi, japonais) combine la brutalité tribale de Bloodywood avec une touche plus pop et kawaii propre au trio japonais. Même si ce n’est pas vraiment ma tasse de thé (sans mauvais jeu de mot), le résultat est inattendu mais fonctionne parfaitement : les synthés prennent plus de place, et l’alchimie entre les voix et les styles rend le morceau accrocheur. Ce titre n’est peut-être pas le plus intense, mais c’est certainement l’un des plus mémorables de l’album.
On enchaîne avec Kismat, qui aborde la notion de destin et la capacité à reprendre le contrôle sur sa propre histoire. Le titre est bien construit, mêlant passages calmes et refrains puissants. Il participe à l’équilibre général du disque. Vient ensuite Daggebaaz, un morceau plus sombre, dont le titre signifie « traître » ou « trompeur ». Il dénonce les travers de la culture des influenceurs et le danger de suivre aveuglément des figures publiques. Une mention spéciale revient à l’usage subtil de flûtes indiennes, qui apporte une couleur supplémentaire au morceau. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser, à ce stade de l’écoute, que le groupe reste dans un terrain qu’il connait, sans prendre trop de risques. C’est d’ailleurs l’un des seuls bémols de l’album : une tendance à recycler certaines formules rythmiques et mélodiques, ce qui peut donner un sentiment de redondance.
On découvre ensuite Tadka, un titre léger et joyeux, hommage direct à (l’excellente!) nourriture indienne qui sublime les épices. Loin des grandes causes sociales ou politiques, ce morceau marque une pause bienvenue, tout en gardant l’énergie et l’identité sonore du groupe. C’est fun, frais, et totalement assumé.
Enfin, l’album prend fin sur Nu Delhi, véritable manifeste du groupe rendant un hommage vibrant à sa ville et sa culture, souvent victimes de préjugés. Le morceau commence doucement avec un harmonium indien délicatement mis en avant, avant que Raoul Kerr ne vienne poser son flow, bientôt rejoint par le chant puissant de Jayant Bhadula. L’intensité monte au fil des secondes avec l’ajout de dhol, guitares et percussions diverses. Le morceau se clôt sur une outro puissante, comme une synthèse sonore de tout ce que représente Bloodywood. On y entend aussi un des messages les plus clairs du groupe : “diversity’s a gift”. Tout est dit.
Nu Delhi s’inscrit dans la continuité du travail engagé par Bloodywood . L’album explore une fois de plus le croisement entre tradition indienne et modernité, entre rage sociale et autodérision, entre sérieux militant et fun décomplexé. S’il ne renouvelle pas la formule, il l’enrichit par petites touches, avec des collaborations bien senties et clairement utiles pour leur popularité. Un vrai plat détonnant et hyper bien préparé : made in India.