Whitechapel
Hymns in Dissonance
Genre deathcore
Pays États-Unis
Label Metal Blade
Date de sortie 07/03/2025

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Commençons par un petit point historique. Whitechapel, formé en 2006, est un groupe américain originaire de Knoxville dans le Tennessee. Ayant complètement retourné la scène metal avec ses trois premiers albums (The Somatic Defilement en 2007, This Is Exile en 2008 et A New Era of Corruption en 2010), Whitechapel jouait à l’époque un deathcore ultra féroce et novateur, avec des touches de brutal death et de grindcore, ainsi que des paroles franchement dégoûtantes (surtout sur le premier opus, un concept album racontant les meurtres de Jack l’Éventreur, le groupe tirant ainsi son nom du district de Londres où l’assassin sévissait). Avec le temps, le style du groupe évolua d’abord vers un deathcore plutôt groovy et propre, puis adopta une approche davantage mélodique, avec des ballades et des morceaux comprenant du chant clair. Cela permit au groupe d’explorer le côté cathartique et émotionnel de sa musique, se plongeant dans l’enfance difficile du chanteur. Mais quatre ans après son dernier album Kin, le groupe, tout comme les fans, avait soif de brutalité. Alors trêve de plaisanteries, Phil Bozeman (le chanteur, qui n’avait pas autant composé depuis belle lurette) se remit à écrire des riffs. Le but, retrouver la violence extrême des premiers opus. Laissez-moi vous dire que ce but est largement atteint.

Dès le tout premier morceau, Prisoner 666, on est bombardé par un mur de son : rythme lent, gros chugs à la guitare et voix gutturale martèlent l’auditeur. L’atmosphère est menaçante et fait en sorte qu’on ne se sente pas en sécurité en l’écoutant. Le chanteur affirme dans une interview avec Metal Blade Records que l’album est « une moquerie de la vraie nature des hymnes. Ces derniers sont mélodieux et harmonieux. La dissonance est l’exact opposé de la mélodie et de l’harmonie. Elle représente le mal ». La pochette elle-même est dérangeante, elle met mal à l’aise. Avec un rythme effréné, Hymns in Dissonance ne s’arrête jamais, ou quand il fait une pause, c’est seulement pour repartir encore plus vite et encore plus fort. Outre sa vitesse folle, l’album dans son ensemble contient des moments très groovy, avec des riffs « rebondissants » et lents, comme sur Bedlam ou Diabolic Slumber. Whitechapel a également ressorti du placard des touches de grind, avec des riffs en powerchords comme sur le titre éponyme ou The Abysmal Gospel. Le seul moment où on nous offre une once de répit (à part l’interlude Ex Infernis, qui s’apparente plus à un chanson rituelle) arrive au dernier morceau, Nothing Is Coming for Any of Us, qui se termine par un magnifique solo de guitare se répétant pendant presque trois minutes. Après autant de brutalité, on sort de cet album quelque peu ému.

Le deathcore est un genre de metal qui souffre tragiquement d’un manque de composition. La plupart des groupes sont prévisibles : ils suivent à la lettre la structure « intro-couplet-refrain-couplet-breakdown-refrain » et la réchauffent à l’infini. Au bout d’un moment, on reconnait à chaque fois quand un breakdown arrive et on perd tout étonnement. Cependant, Whitechapel se démarque de tous les autres. Même si deux ou trois morceaux arborent ce schéma, la majorité de l’album est assez imprévisible et vous prend par surprise. Tout comme sur The Somatic Defilement, on peine à distinguer une structure propre. Par exemple, sur A Visceral Retch, on passe de couplets ultra rapides à d’autres beaucoup plus lents sans transition apparente, et au moment où on pense qu’un breakdown arrive, le groupe nous torpille de blast beats pour ensuite nous écraser avec ce breakdown tant attendu. Du génie.

Zach Householder, guitariste du groupe, s’est occupé de la production, alors que pour le mastering, on retrouve Ted Jensen aux commandes (il a travaillé avec Behemoth, Carnifex et Machine Head, entre autres). La production est super claire et puissante, il est ainsi possible d’écouter une version old-school de Whitechapel mais avec une approche moderne techniquement parlant. Les guitares sonnent incroyablement bien, bien qu’on entende peu la basse. Concernant la batterie, le bruit que fait la classe claire est phénoménal. Avec un son métallique et puissant, on dirait que Brandon Zackey frappe littéralement sur un immense fût en acier. Dans le département vocal, il s’agit sans aucun doute de la meilleure performance de Phil Bozeman. Visiblement, celui-ci a beaucoup travaillé sur ses lows et ses highs, ces dernières le faisant sonner comme un véritable malade mental, alors que les premières semblent sortir tout droit des puits de l’enfer. Cependant, il ne s’agit pas de gymnastique vocale, de faire des sons fous juste pour faire des sons fous, Phil sait exactement où et quand placer certaines techniques sans que cela sature les morceaux. Ses gutturales sur le dernier breakdown de A Visceral Retch ressemblent presque à la fin de Prostatic Fluid Asphyxiation (du premier album). Voulu ou non, c’est une ressemblance intéressante. Le chanteur démontre aussi ses talents en ce qui concerne sa diction étonnamment claire et l’époustouflante vitesse avec laquelle il débite chaque parole, sur la première moitié de Mammoth God ou Prisoner 666, par exemple.

L’histoire racontée par l’album est également intéressante. Pour faire court, il s’agit de la suite logique de This Is Exile. Dans ce dernier, il est fait mention d’un certain Daemon, censé être le fils de Satan. Mais dans Hymns in Dissonance, on suit l’histoire de son frère cadet qui prend le pouvoir après la mort de Daemon, établit un culte morbide et force ses fidèles à réaliser toutes sortes de rites plus horribles les uns que les autres, pour enfin conquérir le monde. Les morceaux 1 et 2 servent d’introduction alors que les 3 à 10 (à l’exception de l’interlude Ex Infernis) sont tous liés à un péché capital que les membres de la secte doivent commettre afin d’invoquer Satan. On retrouve, par exemple, la colère pour Hate Cult Ritual ou la cupidité pour Mammoth God.

En somme, Whitechapel a réussi son pari haut la main, c’est-à-dire produire un digne successeur à la sainte trilogie que représentent ses trois premiers opus. Avec un album imprévisible, punitif et groovy à la fois, le groupe arrive à briser la structure monotone d’un genre trop souvent répétitif et stérile, et tout cela sans compromis. Au lieu de proposer un son plus soft, d’implanter du chant clair ou des orchestrations symphoniques comme le font un grand nombre d’artistes, les Américains font l’inverse et reviennent à leurs racines avec un concept album à l’atmosphère franchement angoissante, terriblement bien produit et écrit de main de maître. Comme en témoigne l’ancien logo sur la pochette, qui n’était plus utilisé depuis 2012, le vieux Whitechapel est de retour, et ils sont là pour tout casser.

Morceaux favoris : Hymns in Dissonance, A Visceral Retch, Hate Cult Ritual, Mammoth God, Nothing Is Coming for Any of Us.

https://www.youtube.com/watch?v=UzsX5pjZggo

https://youtu.be/QfHGEOA90PU?feature=shared