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Il n’aura pas fallu beaucoup de temps à Båkü pour passer de l’ombre à la lumière des feux des projecteurs. L’année 2024 est en effet bien remplie pour le groupe originaire de Valence, au cours de laquelle il a sorti son premier clip illustrant le morceau Opposite II et partagé à deux reprises l’affiche avec Celeste, référence lyonnaise du blackened sludge, lors d’un concert au Marché-Gare puis au Plane’R Fest ; j’ai d’ailleurs découvert le quintet et sa musique singulière lors de la première de ces deux dates. En effet, parmi les nouveaux venus de la jeune scène post-metal/post-hardcore, Båkü se distingue, d’une part par sa configuration à trois guitares, d’autre part en jouant en fosse dès lors que les conditions du live lui en laissent la possibilité. À partir de là, une personnalité si marquée ne pouvait que m’inciter à me pencher sur le premier EP éponyme sorti fin mai 2023, ceci alors que le groupe s’apprête, au cours de l’année 2025, à sortir une seconde production dans la même lignée.
L’EP s’ouvre sur une longue introduction de presque deux minutes simplement constituée d’une poignée de sons d’ambiance tout aussi simplement combinés. Cette piste d’ouverture, très efficace dans son minimalisme, a pour effet d’immerger immédiatement l’auditeur dans une atmosphère sombre et onirique qui constitue le cœur de l’univers de Båkü — et de ses inspirations. Les grognements inquiétants de la créature dont le groupe tire son nom, monstre dévoreur de rêves issu du folklore japonais, résonnent tels des échos sur les parois d’une caverne, comme pour prévenir l’auditeur qu’il sera peut-être sa prochaine victime…
Point le temps, cependant, de se laisser aller à la peur de voir notre âme dévorée, la fin de l’intro se fondant dans le début d’Opposite I. Ce premier morceau, en plus d’assurer que l’immersion reste continue, dévoile une des plus grandes forces de Båkü, groupe comme EP, à savoir une écriture à couches multiples, exploitée avec intelligence et mesure. En forme de montée progressive, chaque marche de cet escalier métaphorique amène, ici une guitare saturée, là une rythmique lourde et grasse, là encore les hurlements stridents de Daniel Arnoux… autant d’éléments coexistant les uns avec les autres sans s’étouffer entre eux et qu’aucun ne paraisse superflu. La configuration à trois guitares, entre autres, fait montre de sa pertinence, la combinaison de deux guitares rythmiques en soutien de la lead apportant un relief non négligeable à la partie instrumentale et permettant l’exploration d’un large éventail de sonorités, entre mélodies clean et saturations grésillantes. Le tout grâce à une production d’excellente qualité ; ni trop lisse ni trop brute, beaucoup de soin y est mis à faire ressortir les aspérités et l’harmonie de chacune des pistes, séparées comme assemblées.
La deuxième piste, Opposite II, a peut-être constitué pour certains leur porte d’entrée dans l’univers de Båkü ; il s’agit en effet de celui que le groupe a choisi pour être illustré dans son premier clip, sorti le 2 mai 2024. Ce morceau n’est pourtant pas le plus facile d’accès, qui semble ne jamais démarrer durant plus de la moitié de sa durée… Tout au long de cette partie instrumentale bien trop longue pour être qualifiée d’introduction, couvrant presque cinq minutes sur les plus de sept totales, le groupe prend un malin plaisir à jouer avec les attentes — et les nerfs — des auditeurs en multipliant ce qui prend des airs de transitions vers l’entrée d’une partie vocale… et les ruptures de ton et de rythme allant avec, les instruments « durs » laissant place à des passages purement ambient dont les sons de cliquetis et voix fantomatiques semblent tout droit sortis d’un film d’horreur… autrement dit, l’atmosphère la plus propice à la création d’une vidéo. La voix de Daniel Arnoux teintée d’accents post-hardcore, de même qu’une guitare en tremolo picking évoquant des influences black metal, viennent compléter cette ambiance cinématographique ainsi que cette crise identitaire qui constitue le point central de l’EP, jusqu’à une fin qui semble un peu abrupte.
Par la suite, Båkü s’amuse à prendre de nouveau à revers les attentes des auditeurs, cette fois-ci en faisant l’impasse sur les chiffres III et IV pour passer directement à Opposite V, dernier et plus long des titres de l’EP du haut de ses presque dix minutes. À l’inverse de son prédécesseur, ce morceau prend un départ rapide et agressif — précédé encore une fois des grognements du monstre — avant d’embrayer sur des passages mid-tempo. Båkü mise une nouvelle fois sur de très longs passages instrumentaux pour instaurer une atmosphère pleine de suspense, voire anxiogène, créée par les motifs de boucle répétés par la guitare lead ainsi que par un duo basse-batterie au son particulièrement lourd et gras à la façon d’un album de sludge. La mise en retrait de la voix, ici lointaine dans le mix, contribue à la mise en avant de ces éléments ; ceci, jusqu’à une montée en puissance dans la dernière minute très incisive et black metal dans l’esprit, qui achève de marquer les esprits au fer rouge…
… ou presque, les caquètements du Baku apportant une ultime conclusion à l’EP dans une courte outro bruitiste faisant écho à la piste d’introduction et bouclant ainsi la boucle. Le monstre est retourné dans sa tanière, nous n’avons plus rien à craindre…
… pour le moment. Au moins jusqu’au prochain voyage, prévu pour plusieurs étapes au cours de l’année 2025 et qui promet d’être encore plus intense dans son onirisme noir. À découvrir sans modération.