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L’utilisation de thèmes liés à la nature pour décrire la musique ne date pas d’hier et s’avère plutôt adéquate lorsqu’on parle d’un style qui s’est autant approprié l’imagerie de la nature que le black metal. En effet, les pochettes d’albums de black metal atmosphérique représentent presque exclusivement des forêts enneigées, renforçant ainsi l’association du genre avec des paysages froids et sauvages. Ne soyons donc pas surpris que quelques groupes fassent appel à un nom plutôt descriptif comme Paysage D’Hiver pour évoquer l’émotion que suscite leur musique.
Pour Alcest, et plus spécifiquement leur septième album Les chants de l’aurore, il serait plus approprié d’utiliser le terme « luminosité » et de parler de l’été. Considéré comme le pionnier d’un style mêlant l’intensité du black metal à la mélancolie du shoegaze, Alcest n’en est pas à son premier album planant et hypnotique. Bien que toute la discographie d’Alcest soit effectivement très atmosphérique et introspective, chaque album conserve une personnalité distincte. Ainsi, utiliser des mots tels que « languissant », « réverbérant » ou « planant » pourrait être considéré comme peu descriptif étant donné la diversité de leurs œuvres. Décrire les six autres albums en utilisant, bien évidemment, des thèmes liés à la nature, est donc nécessaire pour contextualiser Les chants de l’aurore et le comparer aux autres ouvrages.
Le premier album, Souvenirs d’un autre monde, fut précurseur dans l’intégration aussi explicite des styles black metal et shoegaze. Que ce soit à travers la chanson éponyme ou encore « Les iris », Souvenirs d’un autre monde évoque la sérénité et le renouveau d’un matin printanier. Comme tout bon premier album du genre black metal, le mixage fut souvent critiqué pour son amateurisme.
Le suivant, Écailles de lune, se montrait encore plus introspectif. Mais plutôt que d’approcher la musique avec un sentiment d’espoir, Neige (chant et tous les instruments) a préféré une émotion plus mélancolique. Il ne serait donc pas exagéré de décrire Écailles de lune comme étant triste et frôlant le désespoir. Pour beaucoup de fans du style, Écailles de lune n’est pas seulement le meilleur album d’Alcest, mais aussi le meilleur de son genre.
Après ce grand opus, Les voyages de l’âme a su ramener l’espoir qui était si présent sur le premier album. Telle une marche dans une forêt où le soleil filtre à travers les branches des arbres, l’album a su utiliser l’intensité et l’oppression du black metal tout en laissant place à l’épanouissement du shoegaze. Une fois cette aventure forestière terminée avec le troisième album, nous voilà, avec Shelter, plutôt sur une plage calme, ensoleillée et sereine. Neige a effectivement abandonné les éléments du black metal sur ce quatrième album pour se concentrer à tout prix sur le rêve et l’hypnotisme du shoegaze. Beaucoup de fans ont été déçus par cet abandon de l’élément metal qui rendait Alcest si unique.
Ce fut donc une belle surprise pour tout amateur de metal lorsque Neige décida, pour son cinquième album, Kodama, de réintroduire les éléments du black metal avec force. Pour beaucoup, ce fut une redécouverte du groupe et de son mélange musical unique.
Alors que Kodama peut être comparé à une aube dans un bosquet par sa nature plutôt dualistique, le sixième ouvrage, Spiritual Instinct, se veut plutôt représenter la noirceur totale. Non seulement y a-t-il eu un changement marqué au niveau de l’atmosphère, mais également au niveau du mixage et de la sonorité du groupe. En effet, alors que Kodama utilisait des éléments de post-rock, Spiritual Instinct a intégré des éléments de post-metal, rendant l’album encore plus lourd que ses prédécesseurs.
Qu’en est-il donc des Chants de l’aurore, le septième et plus récent album d’Alcest ? Pour continuer avec les analogies de la nature, l’album représente le lever du soleil sur une plaine au début de l’été. Komorebi, la première chanson, évoque en effet l’ambiance d’un réveil estival. Le doublage vocal de Neige ainsi que la présence de synthétiseurs ambiant renforcent cette ambiance rêveuse. Le batteur Winterhalter rappelle efficacement à l’auditeur que les éléments du black metal sont toujours présents dans les œuvres d’Alcest. Les moments d’intensité sont énergétiques et même édifiants. L’envol, la deuxième chanson, est plus réverbérante, rappelant que l’été peut être aussi étouffant par sa chaleur que par sa luminosité. L’utilisation de guitares acoustiques évoque les feux de camp et toute la mélancolie associée au rappel de souvenirs lointains. Les voix criardes refont surface vers la fin de cette chanson et peuvent être ressenties comme la conclusion d’un crescendo hypnotique.
Flamme jumelle est une chanson très similaire en caractère aux deux premières, mêlant joie et hypnotisme à un mur de sons éthérés. Bien que le paysage soit familier, il n’en est pas moins d’une beauté saisissante.
Améthyste et la première moitié de L’enfant de la lune se concentrent davantage sur leurs fondements métalliques. Surtout dans le cas d’Améthyste, c’est la chanson où Neige met le plus l’accent sur sa voix criarde. Ces deux chansons donnent l’impression d’avoir été composées entre la sortie de l’album Spiritual Instinct et la composition des deux premières chansons de Les chants de l’aurore. L’enfant de la lune utilise davantage d’influences post-rock, permettant à l’auditeur d’apprécier un rythme plus réverbérant et répétitif qui se termine sur un crescendo rappelant Explosions in the Sky ou encore Isis.
Les pièces ambiantes servent respectivement d’interlude et de pièce finale, clôturant finalement l’album sur une note plutôt languissante, comparable à ce sentiment de fin d’été.
Bien que Les chants de l’aurore n’explore pas nécessairement de nouveaux terrains, l’exécution est irréprochable et les émotions transmises à travers cette œuvre sont très bien rendues. Il s’agit là d’un album réussi de la part d’Alcest et constitue la bande sonore parfaite pour tout auditeur fan de musique à la fois introspective et très émotive.