Inferno Festival 2024 - jour 2
RockefellerGorgoroth, Sólstafir, Carpathian Forest, Vltimas, Arthur Brown

John Dee     Mantar, Extermination Dismemberment, Umbra Conscientia, Vorga

Date 29 mars 2024
Chroniqueur Ségolène Cugnod/Oli de Wacken
Photographe Ségolène Cugnod

Arthur Brown, 81 ans, fait partie des quelques artistes « hors contexte » présents à l’affiche de l’Inferno. Dans ce cas, on pourrait même parler d’OVNI, tant le registre musical du chanteur et de son groupe est éloigné du metal extrême, voire du metal tout court… Toutefois, la théâtralité du show et l’utilisation, dans les 60’s et notamment dans le clip vidéo de Fire, d’un maquillage noir et blanc, ancêtre du corpse paint, de même qu’un satanisme de pacotille en vogue à l’époque et pointant aussi le bout de son nez sur ce titre — très accrocheur au demeurant —, sont sans doute les raisons qui ont poussé un grand nombre de formations metal à le reprendre — entre autres Cirith Ungol et Ozzy Osbourne —, et un paquet de fans du genre à s’y intéresser. Ceci étant dit, Arthur Brown ne se résume pas qu’à un hit ; c’est aussi un répertoire de qualité, passant du psychédélique à la pop, avec des touches rock et quelques montées en puissance presque hard. L’assistance réagit positivement, ce qui touche Arthur, visiblement aussi ravi qu’ému au moment de quitter la scène. [Oli]

De par sa thématique ésotérico-futuriste, Vorga fait à sa façon figure d’OVNI autant parmi les groupes de black metal présents à l’affiche que des groupes de black metal en général. En ce jour de sortie de leur second album, Beyond the Palest Star, les Allemands Hymir et Zora, le Britannique Atlas et le frontman bulgare Petar Jordanov sont heureux de fêter cela en compagnie de leur public norvégien, qui de son côté se montre tout aussi ravi de les accueillir. Cependant, fait quelque peu surprenant, aucun extrait du petit nouveau n’a encore trouvé sa place dans une setlist déjà établie de longue date. À la place, c’est au travers de titres tels Comet ou Last Transmission, extraits du premier album Striving Towards Oblivion, ainsi que d’autres plus anciens tels l’excellent titre d’ouverture The Black Age, que Vorga nous entraîne tous dans ce qui prend des airs de voyage interstellaire. Telle une nébuleuse, la musique est dense ; cependant, les quatre musiciens, sur scène comme en studio, n’ont nul besoin de s’appuyer sur des dizaines d’effets électroniques en tous genres pour éclairer la voie ; leur talent seul suffit. Entre leurs mains et les cordes vocales acérées de Petar Jordanov, chaque note devient une étoile, chaque arpège une constellation et, sous leur guidance, nulle chute dans un trou noir n’est à craindre. Les lecteurs attentifs l’auront sans doute compris, Vorga est pour moi un coup de cœur qui se confirme et d’emblée un des plus beaux souvenirs de mon premier Inferno. Pour des points de bonus, le groupe se montre fidèle à sa thématique jusqu’au bout des dreadlocks de son bassiste Zora, au travers d’une direction artistique qui prend le contrepied du monochrome classique du genre black metal en optant pour un éclairage aux néons et un maquillage fluorescent tous deux hauts en couleurs. Un vrai bonheur pour les yeux — et l’objectif — autant que pour les oreilles ! [Ségolène]

Vltimas a marqué le véritable grand retour de David Vincent en 2019 avec un premier album, Something Wicked Marches In, et au début 2024 sortait Epic, un grand opus. Ses différents projets post-Morbid Angel, comme Genitorturers ou I Am Morbid avec lequel il est toujours actif, étaient ou sont intéressants, néanmoins la musique d’Vltimas atteint vraiment un autre niveau. Qui plus est, en live, ce qui frappe d’entrée de jeu est l’aisance de David Vincent, qui a remisé sa basse pour se consacrer exclusivement au chant. Nombre de chanteurs-instrumentistes semblent perdus lorsqu’ils se retrouvent avec un seul micro entre les mains, mais lui semble être comme libéré de son instrument, adoptant un jeu de scène très théâtral et un look soigné. Couplés à son charisme naturel, ces éléments donnent une ampleur supplémentaire à une musique puissante et accrocheuse s’apparentant au dark metal — et non pas au death, précisons-le. Le choix d’un chant très majoritairement clair et la voix profonde de David Vincent conviennent à la perfection à cette musique qui prend toute son ampleur sur scène, en grande partie grâce aux multiples talents de Mr. Vincent, ce qui n’enlève rien à celui des autres musiciens. [Oli]

Umbra Conscientia, prochain groupe à fouler les planches de la scène John Dee, s’inscrit à son tour dans ce qui semble être la thématique du jour, celle des « étranges personnages », les musiciens poussant à leur manière l’aspect mystérieux en jouant sous un éclairage très tamisé. Les silhouettes qui se distinguent dans cette quasi-obscurité dégagent ainsi une aura et un charisme qui ont de quoi marquer l’esprit… davantage, en tout cas, que ce que les Costaricains donnent à entendre au public. Umbra Conscientia joue un black metal fidèle à l’image que renvoient son nom comme sa direction artistique, c’est-à-dire sombre, dense et chargé en atmosphères occultes, néanmoins un peu trop classique et manquant d’un « petit plus » qui lui permettrait de se démarquer du lot. Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins efficace dans son écriture et son rythme, de même que les musiciens, qui montrent un investissement de tous les instants dans l’exécution scénique qui fait plaisir à voir et contribue à l’immersion d’un public friand de ténèbres dans une ambiance à ces couleurs. La voix caverneuse du chanteur F. y contribue en bonne partie, meilleur atout du set. Tout ceci réuni compense l’académisme de l’ensemble et conforte Umbra Conscientia dans son statut de groupe encore jeune auquel l’avenir réserve de belles perspectives dans l’évolution de son identité. À revoir dans quelques années, histoire de voir où les chemins des ombres l’auront mené… [Ségolène]

Carpathian Forest ou l’un des plus punks des groupes de black metal norvégiens. La preuve ? All My Friends Are Dead, reprise de Turbonegro, chantée en duo par Nattefrost et… son fils, jeune ado qui a l’air de tout sauf d’un metal maniac. Ça le fait, et il est même touchant de voir le père Nattefrost, avec sa dégaine de dur à cuire, si fier de nous présenter son fiston. Un moment franchement sympa qui démontre que ceux qui se donnent l’air le plus méchant ne le sont pas toujours complètement… La tendance punk sera de retour pour He’s Turning Blue, pourtant une composition du groupe. Pour le reste, évidemment, le public a droit à ce black âpre, rugueux et froid, qui a fait la renommée du groupe. Un très bon concert. [Oli]

Peu cliente du genre slam/brutal death de manière générale, et n’ayant pas accroché à ce que propose Extermination Dismemberment en studio, je reconnais me rendre à reculons vers la prestation du groupe biélorusse tout en gardant espoir que cette dernière me donne l’occasion de réviser mon jugement. Malheureusement pour moi, après un premier morceau et des prises de vues laborieuses dues au clignotement des spotlights suivant le rythme des — trop nombreux — breakdowns, je ne tarde pas à comprendre que tel ne sera pas le cas. Les quatre hommes jouent une musique qui, bien que très au point techniquement et tout aussi efficace au vu des réactions des fans de slam death dans l’audience, n’en reste pas moins agressive aux oreilles des non-initiés, tout comme un peu trop fidèle aux conventions du genre à celles des connaisseurs — entre riffs palm mute, bass drops, etc. Mon sens du devoir m’incite toutefois à rester encore un moment ; l’occasion pour moi d’apprécier les qualités de frontman de Vladislav Martorosov, ex-batteur bien plus à sa place en avant qu’en arrière de la scène et qui incite le public à se lancer dans des circle pits, ainsi qu’une qualité sonore bien moins synthétique qu’en studio, notamment du côté du batteur Alexander Kazakov. [Ségolène]

Inutile de préciser qu’après ce moment mouvementé, je ne suis pas fâchée de remonter vers Rockefeller pour retrouver un peu de calme auprès des Islandais de Sólstafir et de leur post-rock aux couleurs des aurores boréales de leurs terres d’origine. Sur scène comme en face, l’heure est venue de laisser l’agitation au vestiaire pour simplement se laisser porter par des morceaux planants et les sensations douces-amères que véhiculent leurs mélodies éthérées, à défaut d’avoir accès aux textes… Cela étant, Sólstafir a tôt fait de prouver ce qui n’a de toute manière pas besoin de l’être, à savoir que nul n’est besoin de comprendre tout ce qui nous est dit dès lors que l’on a en face de soi des interlocuteurs maîtrisant leurs canaux de transmission. Les quatre hommes font ainsi tomber les barrières linguistique et intérieure et mettent à nu une émotion qui dès lors s’affiche, impudique et sans complexe, partout où elle le peut : dans la voix plaintive d’Aðalbjörn Tryggvason, par moments criarde au point qu’il se permet de s’éloigner du micro, et les expressions torturées qui l’accompagnent, appuyée par Ari Þorgeir Steinarsson tout aussi expressif derrière la batterie ; dans les petites danses d’un Svavar Austmann dont les lunettes de soleil ne cachent pas l’enthousiasme un peu débordant ; dans la minutie posée de Sæþór Maríus Sæþórsson, aux airs et au jeu de guitariste de blues sous son grand chapeau… jusque dans l’attitude du public qui reçoit ce déferlement mélancolique avec le respect qui lui est dû. Quelle autre réaction avoir, je vous le demande, face à des artistes possédant le don de mettre n’importe qui seul face à soi-même, y compris au milieu d’une foule de centaines de personnes ? Pour ma part, je ne cache pas qu’après avoir lâché mon appareil pour profiter au mieux de la fin de cette performance, je me trouve à deux doigts de verser une larme en reconnaissant Fjara ou lors de la conclusion sur Goddess of the Ages, seul morceau en anglais du set… Bien plus que du post-rock à voix, c’est un grand moment de contemplation et d’introspection que Sólstafir offre au public de l’Inferno, gravé dans les cœurs et les esprits pour longtemps. [Ségolène]

Étonnant, le duo allemand Mantar, formé par Hanno (chant et guitare) et Erinc (batterie et chant), l’est, dans le meilleur sens du terme. Les musiciens, qui font l’économie d’un bassiste en studio comme en live, se positionnent de part et d’autre de la scène, se présentant donc au public de profil. Leur black/sludge dégage quelque chose de sale, d’urbain et de malade. Il est surpuissant mais laisse s’échapper, à quelques occasions, des riffs accrocheurs, histoire d’offrir quelques petites respirations au public, foule masochiste qui se délecte de cette oppression sans nom. Toutefois, Hanno sait aussi se montrer humoriste, comme lorsqu’il déclare, durant son soundcheck qui a lieu juste avant le concert : « Ne faites jamais, jamais, de soundcheck devant le public !« . Le pauvre donnait-il le change, se sentant mal à l’aise ? Ce genre de péripétie amuse toujours. [Oli]

En matière de black metal norvégien, Gorgoroth se pose là et, sauf événement majeur, nous savons tous exactement à quoi nous attendre. Cependant, le groupe annonçait une surprise, quelques semaines avant le festival. Et bien, il s’agissait de la présence d’Atterigner, chanteur de studio attitré, sur scène. En effet, Hoest, qui officie d’ordinaire en live avec le groupe, est aussi le frontman de Taake, qui joue ce soir à Aarburg, en Suisse, mais qui clôturera l’Inferno dimanche. Atterigner en impose, physiquement parlant, mais ne modifie pas la donne en profondeur. Les amateurs du genre n’ont pu qu’apprécier le côté inédit de cette date de Gorgoroth, ainsi que la puissance de feu de la formation. Sacrée machine de guerre ! [Oli]