Cette quatrième et dernière journée débute avec Metalite (SE) et son power metal dans la lignée d’Amaranthe, Within Temptation ou encore Sonata Arctica, dont il reprend d’ailleurs le classique FullMoon pour le plus grand plaisir du public. Le groupe assure le show avec conviction, porté notamment par le bassiste Robert Majd, véritable pile électrique, toujours en mouvement, et bien sûr par la charismatique Erica Ohlsson, qui chante avec puissance et n’hésite pas à haranguer la foule entre deux morceaux. La setlist puise dans les quatre albums de la formation, offrant un bon panorama de son univers aux sonorités modernes et mélodiques, qui a su se faire une place dans le cœur des amateurs du genre. Une belle entrée en matière pour une journée qui s’annonce riche en moments forts.
Un de ces moments forts réside sans conteste dans le concert de Crucified Barbara (SE), qui célèbre non seulement les vingt ans de In Distortion We Trust, son premier album, mais aussi son grand retour sur la scène du Sweden Rock, vingt ans après leur première apparition… et surtout, son premier concert depuis sa récente reformation, après une séparation survenue en 2016. Les quatre femmes, toujours aussi fortes en gueule, sont bel et bien de retour pour asséner leur hard rock nerveux, inspiré entre autres par Motörhead et AC/DC. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles le font sacrément bien ! Pas de décor de scène sophistiqué ni de tenues extravagantes ici : le noir domine, l’attitude prime, et c’est la musique qui tient la vedette. Chaque morceau de cette setlist est une véritable claque. C’est crade comme le son de guitare râpeux de Klara Force, rageux à l’image du chant de Mia Coldheart, ça gronde comme la basse d’Ida Evileye et ça bastonne dur sous les frappes de Nicki Wicked. Une énergie brute se dégage de ces hymnes acérés : le punkisant Crucifier, le heavy Play Me Hard et ses « Come on! » repris à pleins poumons par le public, ou encore le furieux In Distortion We Trust. Autant de titres devenus des classiques pour les fans, et qui prouvent que les Crucified Barbara, visiblement ravies d’être de retour, n’ont rien perdu de leur flamme.
Direction la Pistonhead Stage pour assister à la prestation de Transport League (SE). Peu connu en dehors des frontières suédoises, le groupe mérite pourtant qu’on s’attarde sur lui. Son « heavy/groove metal from hell« , tel que ses membres le définissent, puissant et frontal, évoque immanquablement White Zombie — sans les artifices électro — mais aussi Pantera ou Clutch : le groupe joue une musique brute, directe, portée par la voix rocailleuse de Tony Jelencovich, étonnamment proche de celle de Rob Zombie. Peter Hunyadi, guitariste au look évoquant Suicidal Tendencies, balance des riffs massifs, épaulé par une section rythmique redoutable qui injecte des grooves bien sentis. L’effet est immédiat : le public se laisse happer, bouge, réagit, en redemande. Pas de chichis, pas de poses superflues : juste du metal lourd, compact, efficace, qui cogne là où il faut, quand il faut. Une prestation sans temps mort, portée par une énergie sincère et une efficacité redoutable. Une vraie bonne surprise et un excellent moment passé avec un groupe qui mériterait une plus grande exposition médiatique en dehors de la Suède.
Hypocrisy (SE) investit la Rock Stage devant un public venu en nombre, délaissant sans trop d’hésitation Wishbone Ash, programmé au même moment. Il faut dire que la bande de Peter Tägtgren demeure une valeur sûre du death metal mélodique suédois et que son retour en forme après quelques années plus discrètes suscite un enthousiasme bien palpable. Une décision manifestement judicieuse, puisque le groupe déroule une sélection musclée de morceaux issus de sa riche discographie : aucun titre postérieur à 2013 (à l’exception de Chemical Whore) ne figure à l’appel. Le public a donc droit à un feu nourri de classiques tirés des plus anciens albums : Left to Rot, Buried, War-Path, Fractured Millennium, Eraser ou encore l’incontournable Roswell 47. Tägtgren, en grande forme, tente à plusieurs reprises de secouer une foule qu’il juge un peu trop sage, sans grand effet. Qu’importe : les musiciens assurent une prestation d’une qualité irréprochable, sans faille ni relâchement. Le son est massif, tranchant, et chaque riff ou blast est exécuté avec une précision chirurgicale. Fidèle à lui-même, Peter Tägtgren alterne rugissements abyssaux et solos incendiaires, tout en imposant sa présence avec une aisance de vieux briscard. Malgré la relative tiédeur du public, le groupe délivre un set implacable, oscillant entre brutalité frontale et atmosphères sombres, presque cosmiques ; une marque de fabrique qu’Hypocrisy n’a jamais abandonnée. Le final sur Roswell 47 fait l’effet d’une déflagration : riffs lourds, refrain repris en chœur, et une ultime montée d’adrénaline collective. Hypocrisy livre un concert dense, intense et maîtrisé, qui rappelle à tous que le death metal suédois, quand il est porté par de telles mains, ne vieillit décidément pas.
Du death metal au doom, il n’y a qu’un pas, que je franchis en assistant à la performance de The Crypt (SE), programmé sur la Pistonhead Stage. Ce jeune groupe, dont le premier album a été écrit par Leif Edling (Candlemass) et produit par Marcus Jidell (Avatarium), vient défendre un doom classique mâtiné de heavy, fortement ancré dans les sonorités des années 70. Les riffs sont lourds, les atmosphères chargées, et les refrains accrocheurs s’incrustent rapidement dans les esprits, à l’image de I Love the Darkness ou Rock Kommander, malheureusement interprété ici sans la présence de Dee Snider, invité sur la version studio. Au-delà de la musique, une grande partie de l’attention se porte sur Pepper, la prêtresse du groupe : figure théâtrale et magnétique, elle incarne les textes occultes de The Crypt avec intensité. Son chant habité, allié à une performance scénique mêlant danse, poses rituelles, accessoires ésotériques et vestimentaires, donne au concert une dimension presque cérémonielle. Un bon moment, aussi singulier que captivant, en compagnie d’un groupe qui s’est forgé un univers bien à lui, mêlant ésotérisme musical, imagerie marquante et théâtralité assumée et qui en joue à fond sur scène.
Bien que Soen (SE) remplisse les salles aux quatre coins du monde, le groupe se voit relégué ici sur la modeste Blåkläder Stage. La setlist, composée de leurs titres les plus emblématiques, est exécutée avec rigueur par Martin Lopez et ses compagnons, qui livrent une prestation sans fausse note. Pourtant, malgré la qualité des musiciens, les effets de pyrotechnie et les volutes de fumigènes qui donnent un peu de relief au spectacle, la magie n’opère pas. Rien à redire sur le fond, toutefois l’émotion peine à surgir. Peut-être est-ce dû au soleil trop présent, à l’atmosphère extérieure, ou simplement à l’absence de surprise… Toujours est-il que Memorial, Savia, Unbreakable, Modesty, Lotus, Antagonist, Violence ou Martyrs — tous des morceaux que j’affectionne — peinent à me toucher comme ils l’avaient fait lors du concert du groupe auquel j’ai assisté l’an dernier. C’est donc en gardant un petit goût de déception de ce show que je me dirige vers la scène principale.
Scène principale qui accueille le supergroupe Black Country Communion. Composé du légendaire Glenn Hughes au chant et à la basse, de Joe Bonamassa à la guitare et au chant, de Jason Bonham (le fils de John) à la batterie et de Derek Sherinian aux claviers, tous les ingrédients sont réunis pour un grand moment de hard rock aux parfums 70’s… et c’est exactement ce que le groupe livre. Dès l’ouverture avec un Sway nerveux, le ton est donné. Glenn Hughes, du haut de ses 73 ans, assure ses lignes de basse et ses parties vocales avec la précision et la puissance d’un jeune homme de… soixante ans. One Last Soul, morceau direct et accrocheur, ravit le public et offre à Jason Bonham l’occasion de martyriser son kit de batterie, ce qu’il fera sans relâche jusqu’à la fin du set. Le bluesy Wanderlust donne à Joe Bonamassa l’espace pour s’illustrer avec un solo époustouflant, tandis que Hughes charme par sa voix à la fois suave et puissante. Suit The Outsider, un pur concentré d’énergie hard rock où les claviers de Derek Sherinian apposent une touche vintage bienvenue. L’intensité retombe un instant avec le superbe Song of Yesterday, moment d’émotion suspendue, avant de repartir de plus belle avec Save Me, magnifié par un solo flamboyant. Le groupe enchaîne ainsi les morceaux devenus au fil du temps de véritables classiques, et conclut en apothéose avec Black Country, hymne porté par une ligne de basse frénétique qui achève un public littéralement abasourdi par tant de classe et de maîtrise. Un vrai grand moment de musique, une prestation magistrale, pleine de feeling et de maîtrise, dont ceux qui y ont assisté se souviendront longtemps.
J’ai le temps d’assister à une partie du show des prog metalleux de Vola qui, fidèles à leur réputation, délivrent une performance impeccable. La setlist fait la part belle aux deux derniers albums, Witness et le très bon Friend of a Phantom, laissant peu de place au reste du répertoire ; seul Stray the Skies, tiré de Inmazes, vient rappeler les débuts du groupe. Asger Mygind arbore toujours son éternel jogging et sa veste kaki, look décontracté qui contraste avec l’intensité qu’il met dans son chant et dans ses riffs. Derrière lui, Adam Janzi, torse nu comme à son habitude, se démène avec précision et puissance sur ses fûts, reptilien et hypnotique. Le groupe offre au public exactement ce qu’il est venu chercher : un son clair, lourd, mélodique, et une prestation extrêmement vivante. Vu l’accueil réservé par l’audience, cela suffit amplement à faire de ce passage un nouveau succès pour les Danois.
Le dernier concert de ce Sweden Rock, pour moi, est celui d’un groupe que je rêvais de voir depuis toujours sans jamais en avoir eu l’occasion : Exodus. Ce soir, les voilà enfin devant moi, prêts à en découdre — et quelle claque ! Ce n’est pas un simple concert, c’est une véritable leçon de thrash metal que prennent tous les spectateurs ce soir. J’ai pourtant vu tous les grands noms du genre en live : Anthrax, Metallica, Megadeth, Slayer… mais jamais je n’avais assisté à une telle déflagration sonore. Le groupe de Gary Holt est littéralement déchaîné, animé par une rage intacte et une détermination à ne laisser aucun survivant. Rob Dukes, en frontman possédé, court d’un bout à l’autre de la scène, harangue la foule, crache ses textes avec une intensité sauvage, sans laisser une seconde de répit au public. Sa prestation est viscérale, bestiale, galvanisante. En outre, si beaucoup ont trop longtemps réduit Exodus à son mythique premier album, Bonded by Blood — dont seuls Bonded by Blood, A Lesson in Violence et Strike of the Beast seront joués ce soir —, le groupe démontre avec une rage fiévreuse qu’il n’est ni un vestige du passé, ni le groupe d’un seul disque. Fabulous Disaster, Blacklist, Brain Dead, Iconoclasm, Prescribing Horror : autant de coups de massue enchaînés sans pitié, portés par une section rythmique impitoyable et un son abrasif au possible. Le public est sonné, euphorique, abasourdi par tant de puissance. Exodus n’a plus rien à prouver mais, ce soir, le groupe a tout donné. Un final en forme d’explosion nucléaire pour ce Sweden Rock.
J’ai choisi de faire l’impasse sur le concert de Sabaton, groupe que je n’ai jamais vraiment réussi à apprécier malgré sa popularité incontestable, ce que je ne regrette absolument pas. En effet, après la déferlante thrash d’Exodus, je rentre heureux, lessivé, le sourire aux lèvres et les oreilles encore bourdonnantes. Ce dernier concert a été une véritable apothéose, une conclusion parfaite à un festival riche en émotions, en découvertes, en rencontres et en retrouvailles musicales. Il est rare de finir une édition sur un tel moment de grâce brute : Exodus a placé la barre très haut, et je repars avec des souvenirs brûlants gravés dans la mémoire.
À l’année prochaine, Sweden Rock !