Kee Marcello Performs Europe, Crazy Lixx, Crimson Glory, Sabïre, D.A.D, Abbath, Mur, Scorpions
Sölvesborg (SE)
Date 6 juin 2025
Chroniqueur Marc A
Photographes Marc A, Vinylestimes (Scorpions)
https://swedenrock.com/

C’est sous une pluie battante que Kee Marcello (SE), ex-guitariste d’Europe, monte sur scène pour un set entièrement dédié à la période 1988-1992 du groupe, celle des albums Out of This World et Prisoners in Paradise. Malgré les éléments déchaînés, les musiciens restent imperturbables et enchaînent les titres devant un public réceptif, même si les morceaux joués ne comptent pas parmi les plus populaires de la discographie d’Europe. Jakob Samuel, ex-chanteur de The Poodles, assure le rôle de frontman avec enthousiasme, sans toutefois parvenir à faire oublier la prestance iconique de Joey Tempest. Kee Marcello, plus effacé, reste cantonné au côté droit de la scène, laissant volontiers la lumière à son chanteur, tout en livrant un jeu de guitare solide et précis. Mais alors que retentissent les premières mesures de Girl From Lebanon, une coupure de courant due à la pluie vient interrompre le concert pendant une bonne dizaine de minutes. Les musiciens, contraints de reprendre le morceau depuis le début une fois le problème réglé, peinent à retrouver l’élan du début. La suite du set voit le groupe interpréter des morceaux plus marquants, comme Just the Beginning, chanté par Michele Luppi depuis ses claviers pendant que Jakob quitte brièvement la scène. Kee profite ensuite de son moment de gloire avec un solo flamboyant, incluant une interprétation musclée de Flight of the Bumblebee. Jakob revient pour Seventh Sign, avant que le groupe ne conclue avec les deux incontournables de l’époque : Prisoners in Paradise et Superstitious. Un show écourté, en demi-teinte : professionnel et bien exécuté, mais un peu trop sage, manquant d’énergie et de morceaux réellement percutants pour totalement emporter mon adhésion.

Direction la Blåkläder Stage pour le concert de Crazy Lixx (SE), avec l’espoir d’assister à une prestation plus incisive, portée par un glam metal tout droit sorti des années 80. Bonne surprise : la pluie a cessé et le soleil fait même une timide apparition au moment où les musiciens entament leur set avec Whiskey Tango Foxtrot. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le morceau nous saute littéralement à la gorge. Pas de doute, le groupe a décidé de miser sur l’énergie brute dès les premières secondes, avec ce titre accrocheur qui fleure bon le Sunset Strip. Les guitaristes balancent leurs riffs avec assurance et s’emparent de la scène avec une fougue communicative. Le bassiste, véritable pile électrique, se démène comme un beau diable, arpentant la scène en tous sens. Le batteur, quant à lui, martèle ses fûts avec précision, ajoutant encore à la dynamique d’un show mené tambour battant. Crazy Lixx ne cherche pas à réinventer le style, mais bien à le célébrer avec une sincérité rafraîchissante. Pas de second degré ici, ni de nostalgie forcée : juste l’envie de faire vibrer les amplis, hurler les refrains à tue-tête et transmettre au public une passion intacte pour un glam metal assumé et fier de ses racines. Cette troupe bigarrée — un guitariste aux faux airs et à l’attitude de Zakk Wylde, un autre tout droit sorti de Judas Priest, un chanteur sosie juvénile de Gary Cherone, un batteur plus maquillé que tous les membres de Mötley Crüe réunis, et un bassiste qui n’aurait pas dépareillé chez Poison — enchaîne les titres avec une énergie hallucinante, alignant les hymnes glam qui font taper du pied et hocher la tête sans effort. Chaque chanson offre l’occasion d’un retour triomphal aux grandes heures du hair metal, et les musiciens ne se privent pas de jouer la carte du clin d’œil vintage. On les sent habités par un plaisir sincère à incarner tous les codes des années 80 : poses de rock stars, solos flamboyants, refrains scandés poing levé… Le groupe livre un show aussi exubérant qu’efficace, qui brille, qui pulse et qui assume à fond son amour du genre. Un concert rafraichissant et une bien belle surprise !

Place maintenant au metal progressif des Américains de Crimson Glory, un concert attendu avec impatience par un public qui s’est rassemblé en masse devant la scène… et par moi aussi, je dois bien l’avouer. Le groupe aligne trois de ses membres originaux : le bassiste Jeff Lords, le guitariste Ben Jackson et le batteur Dana Burnell, rejoints par le soliste Mark Borgmeyer et Travis Willis au chant. Le concert démarre sur les chapeaux de roues avec un tonitruant Valhalla, extrait de leur tout premier album sorti en 1986, qui séduit immédiatement l’audience. Les musiciens sont impeccables, et Travis Willis, en particulier, impressionne par sa maîtrise vocale, alternant avec aisance les graves et les aigus sans jamais perdre en justesse ni en énergie. Très mobile, il occupe la scène avec une présence qui capte les regards. Après cette ouverture enthousiasmante, le groupe déroule une setlist largement axée sur son album culte Transcendence, pour le plus grand bonheur des fans : pas moins de huit titres sur les onze joués en sont issus. Nous avons ainsi la joie d’entendre les classiques Lady of Winter, Red Sharks, Painted Skies, Masque of the Red Death ou encore In Dark Places. Seuls manquent à l’appel Burning Bridges et le morceau-titre, remplacés par Dragon Lady et Azrael, extraits du premier album. Moment fort du concert : juste avant d’interpréter Lonely, Travis Willis invite le public à applaudir John Zahner, le claviériste, qui vit là l’avant-dernier show de sa carrière avant de prendre une retraite bien méritée. Une salve d’émotion traverse alors la foule, saluant ce musicien qui officiait déjà sur l’album Transcendence. Un concert mémorable, à la hauteur du mythe. Crimson Glory prouve ce soir qu’il n’a rien perdu de sa superbe et qu’il sait encore faire briller la flamme d’un metal progressif de grande classe.

C’est à Sabïre (CA) qu’échoit la lourde tâche de succéder à Crimson Glory. Le groupe m’étant totalement inconnu et ma curiosité piquée, j’ai mené quelques recherches en ligne avant de me décider. Intrigué par l’univers singulier de son chanteur, guitariste et unique compositeur, Scarlett Monastyrski, je choisis d’assister à ce concert, donné sous chapiteau sur la Pistonhead Stage. Si Scarlett revendique haut et fort pratiquer de l’acid metal, la musique de Sabïre s’apparente plutôt à un heavy metal rugueux et vintage, fortement influencé par W.A.S.P., influence que le frontman assume pleinement, jusqu’à reprendre Blind in Texas en fin de set. On retrouve d’ailleurs chez lui bien des gimmicks chers à Blackie Lawless tels l’accoutrement en cuir, la coupe de cheveux, les postures outrancières, le trait de maquillage noir qui lui barre le visage… même sa voix évoque étrangement celle du leader de W.A.S.P. Le chanteur ne se prive pas d’insulter le public à répétition – « get lost », « fuck your mothers », « go fuck yourself » – avec une jubilation quasi théâtrale et un sourire en coin. Loin de s’en offusquer, les spectateurs entrent de bonne grâce dans son jeu. Musicalement, Sabïre tient la route. Le groupe joue avec solidité, délivrant un son volontairement sale, rêche, brut de décoffrage, à l’image des débuts du heavy metal. Ici, pas de fioritures ni de quête de perfection : ce qui compte, c’est l’attitude, l’authenticité, l’énergie. De ce côté-là, Sabïre remplit largement le contrat. Cela étant, au-delà de la posture, Scarlett Monastyrski a aussi composé de véritables hymnes : Ice Cold Lust, Call Me Bastard, Rip Rip Kill… des morceaux accrocheurs et aux refrains fédérateurs, taillés pour le live. Lors de Slave to the Whip, le frontman dégaine son gimmick favori : le mezcal-izer, un énorme pistolet à eau rempli de mezcal (une eau-de-vie à base d’agave), avec lequel il arrose joyeusement les spectateurs — qui ne se font pas prier pour ouvrir grand la bouche à l’idée d’un shot gratuit. Les Canadiens offrent un show sans concession, bruyant, irrévérencieux et furieusement divertissant. Une sorte de saut dans le temps, à l’époque où le heavy metal effrayait les ligues de vertu du PMRC et trônait en haut des charts. Au final, un concert jouissif, pour un groupe à suivre de près.

Petit détour par les stands de nourriture avec D.A.D (DK) en fond sonore. Les Danois semblent toujours aussi déjantés mais, n’ayant suivi leur set que d’une oreille distraite, je m’abstiendrai de tout commentaire détaillé.

Une fois le ventre rempli, direction la Sweden Stage pour retrouver une toute autre ambiance avec Abbath (NO). La légende est fidèle à elle-même : en une heure, le Gene Simmons du black metal sert à son public exactement ce qu’il est venu chercher. La setlist puise presque exclusivement dans le répertoire d’Immortal, enchaînant les hymnes ténébreux devenus, au fil du temps, de véritables classiques. Ainsi, Withstand the Fall of Time, Sons of Northern Darkness, All Shall Fall, Blashyrkh (Mighty Ravendark) ou encore One by One viennent littéralement déchirer l’air, portés par une intensité glaciale. Comme toujours, on ne comprend pas un mot de ce que dit le chanteur entre les morceaux — grognements, borborygmes ou incantations ? — et, comme toujours, la scène est noyée dans un brouillard si épais qu’on distingue parfois à peine les musiciens. Qu’importe : le show est impeccablement rôdé, chaque riff tombe juste, chaque break claque comme un coup de hache, et l’ambiance est au rendez-vous. Abbath reste l’un des rares patrons incontestés du black metal, et ce soir encore, il le prouve sans forcer.

Autre découverte live marquante : le groupe islandais Múr, qui propose un metal progressif/post-rock à la fois agressif et glacial, d’une froideur presque comparable aux heures les plus sombres du black metal. Le spectre d’influences est large – de Meshuggah à Devin Townsend, en passant par Opeth – et les musiciens l’explorent avec intelligence, alternant passages de violence extrême et respirations plus atmosphériques. Le chanteur Kári Haraldsson, à la voix profonde et caverneuse, joue également du keytar, ce clavier-guitare qui le cloue derrière son micro. Son immobilité ne gêne en rien, tant la musique du groupe, dense et cinématographique, se suffit à elle-même. Une prestation intense, hypnotique et chargée d’émotion, livrée par un jeune groupe dont l’avenir s’annonce prometteur.

Dernière étape de cette journée : Scorpions (DE), que l’on ne présente plus. Le groupe, qui célèbre cette année ses soixante ans de carrière, entre en scène sous les vivats d’un public conquis d’avance et ouvre le bal avec un puissant Coming Home. Beaucoup des morceaux joués ce soir sont tirés de Love at First Sting, dont le groupe et ses fans ont fêté les quarante ans il y a peu : Bad Boys Running Wild, Big City Nights, ou encore l’inévitable Rock You Like a Hurricane font vibrer la foule. La setlist pioche aussi dans les autres grands classiques de leur discographie des Allemands : Blackout, Make It Real, Send Me an Angel, Top of The Bill ou le plus récent Gas in the Tank. Le show est d’une précision redoutable : tout est calé au millimètre, du lightshow spectaculaire aux vidéos d’archives projetées en fond de scène, qui apportent une touche bienvenue de nostalgie. On sent un groupe de vétérans qui connaît parfaitement son métier et maîtrise chaque aspect de sa prestation. Mais — car il y a un mais — si Rudolf Schenker et Matthias Jabs affichent toujours une forme éclatante et une vraie présence scénique, les marques du temps se font clairement sentir du côté de Klaus Meine. Sa voix, désormais mécanique, semble parfois déconnectée de l’émotion qu’elle veut transmettre, et sa gestuelle figée trahit une certaine raideur. Le charisme est intact, l’émotion reste palpable, mais l’énergie n’est plus tout à fait au rendez-vous… sauf du côté du plus jeune Mikkey Dee, qui insuffle une puissance phénoménale aux morceaux. L’ancien batteur de Motörhead apporte une force de frappe et un dynamisme qui rehaussent clairement l’ensemble, injectant un peu de sang neuf dans cette machine bien huilée. Entre le plaisir de réentendre ces classiques intemporels et une infinie tristesse face à l’évidence que le temps passe, pour mes héros comme pour moi, le show de Scorpions me laisse, comme à beaucoup d’autres avec qui j’ai échangé après le concert, un goût amer. Un mélange de nostalgie pour un temps définitivement révolu, de respect pour une carrière exceptionnellement riche, et de mélancolie. Un concert en forme d’adieu qui ne dit pas son nom.