Premier concert de ce deuxième jour du festival : Vandenberg (NL), avec un set intitulé My Whitesnake Years. En d’autres termes, un show qui fait délibérément l’impasse sur la discographie du groupe Vandenberg pour se concentrer sur les tubes du Serpent Blanc dont Adrian Vandenberg fut guitariste sur Slip of the Tongue et Restless Heart (et dans une moindre mesure sur 1978), ainsi que sur scène pendant les années fastes de Whitesnake. La setlist est une véritable compilation de classiques que le public, venu en masse, connaît par cœur. Difficile de résister à des hymnes comme Bad Boys, Slide It In, Fool for Your Loving ou encore au superbe Sailing Ships, interprété en duo par Adrian et Mats Levén. Et que dire de l’émotion palpable sur Is This Love, ballade hard rock par excellence, toujours aussi bouleversante. Le talent de guitariste du Néerlandais n’est plus à prouver ! Ceci dit, il faut également saluer la qualité du groupe qu’il a réuni autour de lui. Ensemble, les musiciens parviennent à recréer la magie de la grande époque, avec une mention spéciale au chanteur suédois Mats Levén. Sans chercher à imiter David Coverdale, il en restitue le grain si particulier et l’intensité émotionnelle, avec un naturel déconcertant.
Après ce concert mémorable, il est déjà temps de se diriger vers la Festival Stage, l’une des deux scènes principales du site, pour le concert de Dark Tranquillity (SE). Un groupe qui joue presque à domicile, puisqu’il vient de Göteborg, à quelques heures de route d’ici. Sur la grande scène dépouillée trône un simple podium central, accueillant la batterie et le clavier. Cette simplicité assumée fait mouche. Elle braque les projecteurs là où il faut : sur le death metal mélodique et brut de décoffrage, des musiciens. Pas de strass, pas de paillettes, juste la musique qui parle d’elle-même, des artistes qui occupent l’espace avec une présence imposante, et de superbes vidéos projetées sur l’écran en fond de scène. Le concert démarre sur les chapeaux de roue, avec une énergie palpable dès les premières notes. Mikael Stanne, le charismatique chanteur, captive immédiatement l’audience par son growl puissant et sa présence scénique intense. Il court partout, allant chercher le public, créant un lien direct et électrique. Chaque musicien déploie une maîtrise technique impressionnante, parfaitement calibrée pour délivrer la mélodie sombre et agressive propre à Dark Tranquility. Les morceaux s’enchaînent sans temps mort, mêlant des titres phares du groupe comme Nothing to No One ou le plus ancien et très attendu Therein, à des passages plus récents comme Endtime Signals issu du dernier album en date du groupe. La setlist soigneusement choisie ravit autant les fans de la première heure que les nouveaux venus. La lumière, tamisée et subtile, épouse parfaitement l’atmosphère mélancolique et dramatique de la musique. Les vidéos projetées en arrière-plan renforcent cette immersion, alternant entre paysages froids, images abstraites et visuels inspirés des thématiques abordées dans les paroles, comme la solitude, la lutte intérieure et la nature. Cette mise en scène minimaliste mais efficace permet à la musique d’occuper tout l’espace, sans artifices inutiles. Quand les dernières notes de Misery’s Crown résonnent, c’est une clameur enthousiaste qui monte de la foule, ovationnant un groupe qui a su, en une heure, incarner l’essence même du metal mélodique venu de Göteborg et dont il est, en partie, le créateur et toujours un des plus brillants représentants.
Mesdames et messieurs, la reine du heavy metal, Doro (DE) ! C’est sur cette annonce triomphale que Doro fait son entrée, attaquant bille en tête avec un Time for Justice musclé. D’entrée de jeu, l’Allemande prouve qu’elle est, plus que jamais, la reine incontestée du genre. Forte de plus de quarante ans de carrière, elle livre un show aussi professionnel que passionné, porté par une énergie communicative et une sincérité désarmante. Vêtue de cuir, arborant son éternel sourire, elle arpente la scène avec la même fougue qu’à ses débuts. Sa voix puissante et râpeuse, reconnaissable entre mille, déchire l’air à chaque refrain repris en chœur par un public composé en large majorité de fans de la première heure. Les titres s’enchaînent, mêlant extraits de son dernier album et classiques de Warlock : I Rule the Ruins, Burning the Witches, et bien sûr un All We Are fédérateur, scandé par la foule comme l’hymne qu’il est devenu. Le groupe qui l’accompagne est irréprochable : carré, soudé, parfaitement au service de la frontwoman qu’il soutient sans jamais l’éclipser — même si l’on ne peut s’empêcher de remarquer le musculeux Bill Hudson, posté à gauche de la scène, qui malmène sa guitare avec une intensité contagieuse. Entre les morceaux, Doro prend le temps de remercier le public, visiblement satisfaite et touchée par l’accueil chaleureux que lui réserve le Sweden Rock. Elle offre ensuite à la foule sa propre revisite de Breaking the Law de Judas Priest ; un moment fédérateur que l’audience reprend à tue-tête. Un concert à l’image de Doro elle-même : indomptable, authentique, et toujours profondément metal, malgré les années qui passent mais semblent décidément glisser sur elle sans laisser de trace.
En route pour un tout autre univers avec la sensation Samantha Fish (US). Artiste américaine complète — autrice-compositrice, chanteuse et guitariste — elle évolue dans un répertoire aux multiples facettes, où se croisent rock, folk, R’n’B et, bien sûr, blues. Dès les premières notes, soutenue par un groupe en formation resserrée (clavier, basse, batterie), elle embarque le public avec une prestation aussi chaleureuse qu’intense. La foule vibre comme les cordes de sa guitare, tour à tour caressées ou malmenées avec une virtuosité sidérante. Le set débute sur les chapeaux de roue avec une version incandescente de Kick Out the Jams (MC5), qui donne le ton et révèle l’étendue des influences de la native du Missouri. La suite alterne énergie brute et instants plus feutrés, puisant dans l’ensemble de sa discographie. Samantha Fish envoûte sans effort, portée par une voix tour à tour suave et puissante, et un jeu de guitare habité, oscillant entre riffs tranchants et envolées aériennes. Point d’orgue de ce concert déjà intense : une version bouleversante de I Put a Spell on You de Screamin’ Jay Hawkins, à vous donner la chair de poule.
The Mind Palace (SE), qui se produit sous la Pistonhead Stage, a attiré mon attention avec le superbe titre Blood Moon, découvert un peu par hasard après avoir vu le nom du groupe sur l’affiche du festival. Le hard rock mélodique des Suédois, teinté de sonorités 70’s et 80’s et aux thèmes occultes, a immédiatement accroché mes oreilles. Ce style devrait sans mal séduire les fans de Ghost ou de Lucifer, pour ne citer qu’eux. Sur scène, le groupe mené par Jenny Fagerstrand Fjordevik utilise intelligemment les quarante minutes qui lui sont imparties pour livrer un set à la fois plaisant et convaincant. Avec une vraie présence, sans pour autant surloyer, les musiciens déroulent leurs compositions avec assurance, entre riffs accrocheurs, mélodies entêtantes et refrains efficaces. The Mind Palace, qui commence à faire parler de lui dans le milieu hard rock suédois, confirme ici tout son potentiel. Un groupe à suivre de très près.
Prochaine destination : la Festival Stage, pour un concert aussi improbable qu’attendu : celui des Sex Pistols (UK), version 2025, avec Frank Carter au micro. Honnêtement, j’y vais par curiosité, sans grande conviction ni attendre grand-chose de la prestation des punks anglais, persuadé que deux morceaux me suffiront. Je ne suis visiblement pas le seul dans ce cas, une foule compacte se pressant devant la scène. L’ambiance est électrique ! On sent une forme d’excitation collective. Une marée humaine acclame l’arrivée du groupe avec une ferveur inattendue, à mi-chemin entre nostalgie sincère et curiosité. Dès la première minute, Frank Carter balaie tous les doutes. Il déboule sur scène avec une énergie démente, harangue la foule, bondit partout, et attaque Holidays in the Sun comme s’il jouait sa vie. Le public ne se fait pas prier : ça saute, ça hurle, ça danse… L’écran géant en fond de scène diffuse des images d’archives, souvenirs de la grande époque des Pistols. Les trois membres originaux sont là, droits dans leurs bottes, et redonnent vie à leurs hymnes sans chercher à moderniser quoi que ce soit — et qui n’en a de toute façon pas besoin. Les morceaux tiennent toujours la route, bruts et provocateurs, comme des pavés lancés dans les vitrines du bon goût. Le punk a encore des choses à dire — ou à crier ! Frank Carter, lui, s’éclate. Il est clairement honoré de tenir ce rôle, et ça se voit. Il joue à fond la carte de l’humour et de la provoc’ avec des phrases balancées au public dans un style mi-arrogant, mi-taquin : « On sait que c’est un festival rock, c’est pour ça que j’ai mis ma veste en cuir ! », ou encore, pince-sans-rire : « La prochaine chanson est une chanson punk ». Il n’imite pas Johnny Rotten, mais en capture l’esprit, l’irrévérence, la rage et la dégaine. Comme pour faire tomber le quatrième mur une bonne fois pour toutes, il ne lui faut que quatre morceaux avant de sauter dans la foule pour chanter Pretty Vacant au milieu du public. Le moment est dingue : c’est sale, c’est joyeux, c’est vivant. De retour sur scène, le groupe enchaîne sans temps mort avec le reste de son unique album, Never Mind the Bollocks, qu’il joue en intégralité (sauf Submission). Le public, chauffé à blanc, connaît chaque parole et chaque riff. Tout au long du set, l’énergie ne faiblit pas, bien au contraire. En bonus, deux reprises viennent ponctuer le set : No Fun des Stooges, hurlée avec une joie destructrice, puis le cultissime My Way, présenté par Frank Carter comme « le slow de la setlist ». Il faut bien avouer que cette version, à mi-chemin entre la provocation et l’hommage déglingué, fonctionne à merveille. Comme vous l’aurez compris, pris dans la folie du moment, je suis resté jusqu’à la fin de ce show terriblement efficace, happé par l’énergie brute et la jubilation collective. Et que dire de la fin ! Une apothéose en bonne et due forme avec un Anarchy in the UK d’anthologie, repris en chœur par une foule en transe, poings levés, dans un chaos parfaitement orchestré. En somme, un final à la hauteur de la légende. Qui aurait cru que, près de cinquante ans après leur explosion initiale, les Sex Pistols — même sans Rotten — réussiraient encore à mettre le feu comme ça ? Contre toute attente, ce concert que je pensais fuir restera comme l’un des plus marquants de la journée.
Autre scène, autre ambiance : avec Kreator (DE), pas question de plaisanter. D’entrée de jeu, les Allemands mettent les points sur les i dans une débauche de flammes, de confettis, de décibels, et de symboles infernaux. La scène se présent comme un véritable tableau de chaos : figurines géantes de démons cornus, squelettes pendus, et bien sûr, Violent Mind, la mascotte du groupe, trônant fièrement au milieu de ce théâtre de l’horreur. Pas de place pour les temps morts dans ce show furieux. Mille Petrozza et ses acolytes assènent leur thrash metal avec une précision chirurgicale et une intensité implacable. La setlist couvre toute leur discographie : du tout premier album Endless Pain, avec un Flag of Hate toujours aussi fédérateur, au plus récent Enemy of God, dont le titre éponyme déclenche une véritable tempête dans le public, sans oublier les indispensables Coma of Souls ou Pleasure to Kill, moments de furie pure repris en chœur par les fans.
Le point d’orgue visuel survient sur Mars Mantra, lorsque deux silhouettes masquées aux traits de Violent Mind viennent enflammer deux mannequins grandeur nature à l’avant-scène, créant une vision d’apocalypse renforcée par les lumières rouges sang du lightshow. C’est infernal, grandiloquent, spectaculaire — en deux mots, du Kreator pur jus. Peu habitué à la réaction trop polie du public suédois, Mille Pettrozza demande à tout le monde de faire du crowd surfing, ce qui déclenche une vague de folie chez les fans qui, enfin, se lâchent, mais aussi et surtout la panique dans le service de sécurité de bord de scène, peu habitué à cette vague de corps qui lui arrive sur la tête… Le crowd surfing ou même avoir son enfant sur les épaules est rapidement tué dans l’œuf ici. Ceux qui se risquent à cette pratique se voient raccompagnés fermement à la sortie du pit, sans exception. Même le chanteur de Dark Tranquillity n’échappe pas à la règle : malgré sa notoriété, il ne bénéficie d’aucun traitement de faveur et se fait vertement éconduire, tout sourire, sous mes yeux amusés. Seul bémol de ce show pourtant redoutablement efficace : les caissons pyrotechniques installés à l’avant de la scène. Pour ceux – comme moi – qui se trouvent au tout premier rang, ils créent une barrière visuelle qui entrave la vue. Je ne vois donc bien souvent que la moitié supérieure des musiciens, notamment Mille Petrozza, qui reste d’ailleurs assez statique au centre de la scène. Rien de rédhibitoire, bien sûr, la prestation des Teutons restant solide comme un char Panzer ; ceci dit, ce détail gâche tout de même un peu le plaisir quand on vient aussi pour voir autant que pour entendre — et qu’on a des photos à prendre.
Après à peine un petit quart d’heure d’attente, c’est au tour de Korn (US) de faire son entrée sur la Festival Stage. Que dire de la prestation des Américains qui n’ait déjà été écrit ou crié mille fois ? Pour les avoir vus en 2022 à Stockholm, je peux témoigner que les musiciens n’ont absolument rien perdu de leur énergie, de leur rage ni de leur fougue. Le show est, comme à l’accoutumée, gigantesque, porté par un des plus beaux lightshows qu’il m’ait été donné de voir — et croyez-moi, des concerts, j’en ai vu. La setlist est monstrueuse : Blind, Twist, A.D.I.D.A.S., Freak on a Leash, Dead Bodies Everywhere, Shoots and Ladders… Tous ces titres emblématiques passent à la moulinette live dans une ambiance incandescente, avec un public littéralement en transe. Jonathan Davis, au lieu de rester figé derrière son mythique pied de micro, arpente la scène avec intensité, incarnant chaque morceau avec cette fureur contenue qui fait toute la singularité du frontman. Cerise sur le gâteau en fin de concert : le public est invité à entonner un tonitruant Happy Birthday à James « Munky » Shaffer, qui fêtera son anniversaire le lendemain. Voir Korn sur scène, c’est comprendre instantanément pourquoi ce groupe est devenu un pilier du metal moderne et pourquoi il continue de déplacer les foules avec une telle aisance. Une heure trente passée comme une demi-heure. Trop court, bien sûr. Et déjà, une envie pressente de les revoir.
Le dernier concert de la journée — et un passage obligé pour moi — est celui de Dream Theater (US). J’ai une longue histoire d’amour avec ce groupe, que j’ai adoré dès ses débuts et jusqu’à son quatrième album. À cette époque, Dream Theater parvenait à trouver un équilibre rare entre virtuosité instrumentale et émotion sincère. Néanmoins, au fil des années, cette balance s’est peu à peu rompue, les musiciens semblant s’enfermer dans une quête effrénée de la complexité, souvent au détriment de la chaleur et de la spontanéité. Le retour de Mike Portnoy, cœur rythmique de la première ère du groupe, a ravivé chez moi de grandes attentes… peut-être un peu trop. Honnêtement, le show m’a laissé en partie déçu. Pas par la technique, toujours irréprochable, ni même par James LaBrie, qui livre une prestation honorable malgré quelques difficultés dans les aigus — ainsi qu’une chute sur un câble mal fixé dès les premières minutes du show, qui visiblement le met de mauvaise humeur pour le reste du concert. Plutôt par un set trop froid, trop chirurgical. La flamme qui brûlait sur scène dans les années 90 semble vaciller, remplacée par une précision très, voire trop clinique. Le plaisir de revoir Mike Portnoy derrière les fûts est bien réel, et l’interprétation de Pull Me Under m’a arraché un frisson de nostalgie. Malheureusement, cela ne suffit pas à masquer une impression d’automatisme : on assiste à une démonstration plus qu’à un partage. La virtuosité est là, incontestable, mais manque d’âme ; en résulte un concert où l’on admire plus qu’on ne vibre. Les musiciens paraissent figés, presque absents. John Myung reste imperturbable, rivé à son iPad, sans esquisser le moindre mouvement. John Petrucci semble concentré uniquement sur l’exécution. Seul Jordan Rudess tente parfois de briser la glace en s’avançant sur le devant de la scène, mais l’ensemble manque cruellement de vie. Le concert est propre et maîtrisé, mais donne davantage à voir un groupe au passé glorieux qu’un groupe vivant et habité. En résumé, une belle mécanique, sans véritable souffle ni âme.