The Night Flight Orchestra, Tragedy
MJC Ô Totem, Lyon (FR)
Date 31 janvier 2025
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Jean-Yves Cluze
https://ototemlive.com/

Lorsque l’on sort un nouvel album, quoi de tel pour marquer le coup que de célébrer ça aux côtés de fans comptant parmi les plus dévoués et que l’on a pas eu l’occasion de revoir depuis un moment ? Telles sont en tout cas les circonstances dans lesquelles The Night Flight Orchestra fait l’honneur à son public lyonnais de son retour dans notre région, cinq ans après son dernier passage et le jour même de la sortie de son excellent nouvel album, Give Us the Moon. Il va sans dire que les quelques dizaines de spectateurs rassemblés devant la MJC Ô Totem brûlent d’impatience d’en découvrir les extraits en live ; ceci, malgré la fraîcheur des températures de cette fin janvier !

Ceci étant dit, pour le moment, l’heure est plutôt à l’hommage à la grande période du disco fin 70’s/début 80’s, revisité façon rock et metal de la même époque, le tout servi avec une bonne tranche de fun et d’humour décomplexé par les experts en la matière que sont les New Yorkais de Tragedy. Le set s’ouvre sur Lance, présenté sur le site du groupe comme « homme-serviette et parfait idiot », faisant irruption sur la scène vêtu d’un costume à cotte de mailles et arborant un gyrophare rouge sur la tête, entrée bientôt suivie de celles des autres musiciens, qui se présentent quant à eux en égéries de mode disco à paillettes. Une intro de The Final Countdown au pipeau à laquelle Lance donne une interprétation pour le moins… personnelle (comprendre par là, en faisant exprès de jouer faux), marque le coup d’envoi du set, bien évidemment sur le morceau des Bee Gees dont Tragedy tire son nom, histoire de faire les présentations comme il se doit. Cependant, comme l’indique l’inscription sur le backdrop, le groupe se présente comme « un hommage metal aux Bee Gees et au-delà » et l’illustre en enchaînant directement sur une reprise de Lay All Your Love on Me d’ABBA, démontrant par la même son sens du romantisme décalé… Et le romantisme décalé, Tragedy en a fait le cœur de son propos, sa raison même d’exister ! La période disco est riche en hymnes à l’amour ou à sa quête, dont les cinq musiciens — et Lance — reprennent les plus cultes à leur sauce saveur métallique. Parmi eux, une version power ballad de You’re the One that I Want ou encore une version de It’s Raining Men introduite par le riff de Raining Blood… on appréciera la spiritualité de la plaisanterie !

À ce sujet, Björn Strid décrivait récemment Tragedy en interview comme « le genre de groupe à en faire des caisses et à ne pas se prendre au sérieux ». Tragedy met effectivement beaucoup de cœur à rendre honneur à ces propos tout au long de son set, ponctué de moments où les musiciens tombent à genoux façon théâtre dramatique, d’excès vocaux en tous genres et d’interventions burlesques d’un Lance qui change de costume plus vite que son ombre et va jusqu’à descendre se balader au milieu des spectateurs avec une poupée gonflable à son bras. Niveau blagues graveleuses, le « pire » reste tout de même le moment où, se lançant dans une parodie des coaches en masculinité a la Andrew Tate et consorts, ces messieurs font mine de puiser au goulot d’une bouteille de sperme en affirmant que c’est bon pour la virilité… de quoi faire la grimace autant que rire !

Ceci dit, toujours selon le chanteur de The Night Flight Orchestra, « ce sont aussi des mecs qui savent jouer », ce que ces derniers prouvent à de multiples reprises, notamment les guitaristes Mo’Royce Peterson et Gibbon Ass Freehly sur leurs instruments, ou ensemble en chantant souvent à tour de rôle, dévoilant par là une belle complémentarité de voix. En fait d’excès, Tragedy fait surtout preuve d’excès de générosité ! En réponse, le public, bien qu’un peu sage sur le début, ne met pas beaucoup de temps à se prêter au jeu, riant de très bon cœur et applaudissant bien fort. Sur les deux derniers titres, le groupe revient aux reprises des Bee Gees, dont la première, How Deep is Your Love ?, donne l’occasion à Mo’Royce Peterson de présenter ses confrères. Enfin, il était impensable de ne pas conclure une telle première partie sans une reprise de Staying Alive ; sans surprise, c’est un grand succès ici bas ! Tragedy livre là un beau moment festif, mais qui, de par sa nature même de « show à gimmicks », semble de ceux qui, s’ils sont sympathiques et amusants la première fois, sont voués à perdre de leur efficacité et de leur effet de surprise lors des éventuelles fois suivantes. À vérifier à une prochaine occasion ?

Comme souvent en attendant l’arrivée de la tête d’affiche du soir, j’en profite pour observer les spectateurs alentours ; l’occasion pour moi de constater qu’ils sont nombreux à arborer T-shirts, sweat-shirts ou encore sacs et autres goodies au nom de The Night Flight Orchestra, jusqu’à une spectatrice carrément déguisée en hôtesse de l’air. Comme quoi Björn Strid n’exagère pas lorsqu’il affirme en interview que les fans français comptent parmi les plus fidèles du groupe ! En tout cas, déguisés ou non, tous les spectateurs sont aux aguets lorsque les lumières baissent et que retentit, en accord avec le nom du groupe et son esthétique inspirée de l’aviation, l’appel d’embarquement Final Call annonçant l’arrivée sur la scène des musiciens, suivie de près par celles du frontman Björn Strid et des deux choristes Anna Brygård et Åsa Lundman sur fond de l’introduction du stratosphérique Stratus, également première piste du tout nouvel opus Give Us the Moon. Cette entrée en matière fort dynamique se poursuit sur un voyage — en DeLorean — vers les débuts du groupe en 2012 avec California Morning, extrait du tout premier album Internal Affairs. Après quoi, et alors que les deux choristes prennent une pause de rigueur en se servant une coupe de champagne, Björn Strid prend la parole pour remercier les spectateurs de s’être déplacés en nombre pour le retour de The Night Flight Orchestra cinq ans après le dernier passage du groupe à Lyon ; aussi « le dernier concert avant le covid », rappelle-t-il non sans en rire. Il en profite pour également rappeler que ce soir est celui de la sortie de Give Us the Moon, « et on est là pour fêter ça tous ensemble ! » Effectivement, le concert ne tarde pas à prendre des airs de release party ! Tout le monde est heureux d’être présent ce soir et le manifeste à sa manière, les spectateurs en sautant et tapant dans les mains à tout bout de champ et les huit membres du groupe en s’amusant tels des enfants.

En ce qui concerne la setlist, elle brille par sa variété qui met en avant les multiples influences qui accompagnent le groupe depuis ses débuts : entre les extraits du petit dernier viennent s’insérer d’autres plus old-school à divers degrés, tels le très « Europe-an » Divinyls, le plus hard-rock Gemini ou le très groovy Domino qui met à l’honneur le jeu de basse de Sharlee D’Angelo. Le grand brun en costume noir se montre d’ailleurs le plus touchant des huit musiciens et chanteurs, dévoilant une facette de sa personnalité de musicien pleine de tendresse, bien différente de ses performances aux côtés d’Arch Enemy. Plus discret à l’arrière, Sebastian Forslund se distingue en jonglant entre la guitare et les percussions — quand il ne manie pas les deux en même temps ! À ses côtés, le batteur Jonas Källsbäck démontre une puissance de frappe rare dans le style sur une intro particulièrement punchy — vous me pardonnerez de ne pas saisir de quel morceau il s’agit. Du côté des derniers arrivés dans les rangs de The Night Flight Orchestra, le claviériste John Lönnmyr impressionne par sa facilité à jongler, lui aussi, entre plusieurs instruments sans jamais perdre son air nonchalant ; Rasmus Ehrnborn, lui, n’a de cesse de démontrer son enthousiasme et ses talents de guitariste, et il ne fait nul doute que feu David Andersson serait très fier de son remplaçant… Du côté des Aeromanticas, comme elles se surnomment elles-mêmes, Anna Brygård, la blonde à la voix aiguë, et Åsa Lundman, aux cheveux roses et à la voix plus douce, passent le temps qu’elles ne passent pas à apporter leur élégant appui vocal à Björn Strid à s’amuser entre elles, dansant, trinquant et rigolant. En parlant de Björn Strid, en bon commandant de bord, il mène le jeu en donnant de la voix dans son registre le plus pop-rock, sans pour autant tomber dans le moindre excès vocal ou physique, et s’amuse à taquiner le public en lui faisant remarquer qu’il est bien silencieux. Il se montre aussi très bavard et jovial, surtout au moment d’annoncer Paloma, extrait de Give Us the Moon dont la vidéo est sortie le jour-même, en même temps que l’album et dont il raconte l’histoire, inspirée de celle d’une amie proche. Avec ce morceau, le groupe nous offre un très beau moment chargé en sentiment, d’autant plus renforcé par la dimension du live. Satellite, single culte de 2019, suit, pour nous faire danser.

Par la suite, le tempo ralentit d’un cran sur Transmissions, extrait d’Aeromantic qui emmène une nouvelle fois la MJC Ô Totem en voyage dans l’espace et donne l’occasion à John Lönnmyr de jouer un solo style musique de film rétro-futuriste. Une autre pause s’ensuit, Björn demandant alors aux spectateurs combien étaient déjà présents à la sortie du premier album Internal Affairs ; en réponse, un nombre impressionnant de mains se lève dans l’audience, surtout au vu de la taille de l’endroit ! Le frontman déclare alors que le prochain morceau sera un extrait de cet album joué en la mémoire du défunt David Andersson, aussi un des plus longs du groupe : « On remonte au tout début pendant au moins sept minutes… ou huit, je ne sais plus compter ! » plaisante-t-il de bon cœur. En raccord avec son titre, Transatlantic Blues, le morceau possède des sonorités blues et une rythmique bien puissante, de même que, en raccord avec la remarque du chanteur, une bonne montée en puissance typique du prog rock à la façon de Rush et consorts. Sur ce morceau dédié à leur ami, tous se donnent à fond, ce que le public leur rend bien.

Revient ensuite le moment de danser sur Burn with Me, que Björn Strid introduit d’une superbe vocalise qui lui vaut des acclamations. Après quoi, vient le temps des rappels, qui commence avec White Jeans, visiblement très attendu et sur lequel le réservé Sebastian vient rejoindre le fantasque Rasmus à l’avant de la scène pour un moment de duo guitaristique. Ce sur quoi, Björn Strid annonce la conclusion du set. « Je n’ai plus vingt-trois ans et demi, je fatigue vite ! » justifie-t-il, toujours aussi plaisantin, tandis que, de là où je suis placée, j’observe avec amusement Sharlee D’Angelo siroter du champagne dans un verre à bière. Et quelle conclusion The Night Flight Orchestra nous offre là ! D’abord Way to Spend the Night, morceau le plus festif de Give Us the Moon, puis un West Ruth Ave dont tout le monde profite pour se lâcher à fond les ballons. Une réussite totale, pour laquelle je tire pour l’occasion mon béret de pilote à The Night Flight Orchestra !

Cette soirée, pour les jeunes comme pour ceux qui le restent dans l’esprit, aura paru un voyage dans le temps et un moment hors de ce dernier, hommage aux 80’s sous toutes leurs formes, dans un esprit  tout à la fois festif et émouvant. What a way to spend the night, indeed !