John Dee Koldbrann, Bell Witch, Phantom Fire, Dödsrit
La tâche d’ouvrir cette dernière soirée de festival revient à Misthyrming. Seul autre groupe venu d’Islande aux côtés de Sólstafir, le quatuor en a cependant ramené une musique à l’opposé polaire de celle de ses compatriotes, rapide, sombre et chaotique, plus proche des volcans que des aurores boréales ; les deux se reposant toutefois sur la même base qu’est : l’émotion, viscérale et sans filtre. Encore une fois, nul besoin de comprendre la langue islandaise pour saisir toute la rage brûlante comme la lave en fusion teintée de mélancolie qui anime les quatre membres de Misthyrming, rage qui se manifeste pour moitié dans les riffs à la fois mélodiques et agressifs, pour l’autre moitié dans une expression scénique tout autant hargneuse ! Tout de peintures de guerre couverts, les quatre musiciens donnent tout ce qu’ils ont dans les tripes et le cœur à une performance des plus théâtrales. En première ligne, le frontman D.G lance des coups de pied en l’air entre deux passages derrière le micro, flanqué de ses comparses bassiste et guitariste G.E qui passe son temps la tête en l’air et T.Í qui secoue la sienne jusqu’à s’écheveler ; à l’arrière, M.S n’est pas en reste, frappant une rythmique ciselée excité comme une puce assoiffée de sang. Dans le même temps, tous quatre semblent faire le concours de l’expression la plus digne d’un film d’horreur, ce qui, pour ma part, me rappelle quelques souvenirs avec des groupes tels Borgne et Vortex of End… Si son album live sorti l’an dernier, Með hamri í lifandi formi, fournissait déjà un bon aperçu de ce dont Misthyrming est capable en concert, son passage à l’Inferno confirme son statut en tant que groupe dont la performance est indispensable à voir sur scène en plus d’être écoutée pour en saisir toutes les nuances, en plus de donner un bon coup de fouet aux festivaliers en ce milieu d’après-midi ! [Ségolène]
Lors de mes sessions d’écoute des groupes pré-Inferno, Dödsrit m’avait gratté l’oreille grâce à son mélange black metal/crust marqué d’un sens du rythme entraînant et de mélodies catchy aux inspirations évoquant certains grands noms du heavy metal tels Iron Maiden ou Helloween ; preuve s’il en est du respect que les jeunes générations vouent à leurs aînés. À l’instar de beaucoup de leurs confrères, le Suédois Christoffer Öster et les Danois Jelle Soolsma, Brendan Duffy et Georgios Maxouris sont venus avec un nouvel album fraîchement sorti à promouvoir, Nocturnal Will, mis en avant dans la setlist aux côté de son prédécesseur Mortal Coil. Tous les quatre mettent beaucoup d’application à retranscrire ces morceaux sur scène avec fidélité… au point d’en oublier d’injecter un peu de fantaisie à une prestation qui en ressort du coup un chouïa statique. Ceci étant dit, les musiciens ont plus d’un atout dans leurs manches — de guitare et de basse — et possèdent une solide expérience malgré leur jeunesse, dont ils savent faire bon usage pour capter notre attention. Notamment, Christoffer Öster et Georgios Maxouris, qui partagent à la fois les guitares et voix lead, compensent leur manque de mobilité par une excellente complémentarité qui s’observe, d’une part dans leurs jeux aussi précis et virtuoses l’un que l’autre, d’autre part dans la puissance et le charisme de leurs voix, aiguë et très black pour le premier, plus grave et aux penchants hardcore pour le second. De même, le rythme et les mélodies accrocheurs mentionnés plus tôt sont bien présents, faisant que l’ennui ne se fait pas ressentir malgré la longueur des morceaux — en tête Irjala et ses plus de dix minutes — et la présence de nombreux passages instrumentaux, entre autres sur Celestial Will, un des petits nouveaux. Enfin, les quatre jeunes hommes se montrent aussi accessibles que leur musique, alpaguant joyeusement leur public entre deux morceaux, qui lui rend son enthousiasme avec les intérêts ! Le passage de Dödsrit apporte une fraîcheur sympathique dans une salle où il fait vite chaud et, pour cela, l’on ne peut que le remercier. [Ségolène]
Après les Écossais de Saor la veille, vient le tour de leurs voisins anglais de Winterfylleth de présenter au public de l’Inferno leur version du metal atmosphérique et progressif à la sauce extrême ; une sauce qui révèle bien vite une saveur plus épicée, les éléments black occupant ici une place plus importante. Aucun risque toutefois, malgré ceci ainsi que la longueur des morceaux, autre ingrédient commun aux deux groupes, de faire une indigestion : le groupe de Manchester possède un sens de la mesure aiguisé qu’il met au service d’une écriture et d’une prestation mettant l’accent sur l’immersion avant tout. Le show de Winterfylleth prend de cette manière l’allure d’une longue promenade en forêt, à l’ombre de chênes au feuillage aussi étoffé que les compositions ; à ce niveau, A Valley Thick with Oaks en constitue l’illustration la plus parlante. Parmi les éléments qui font plaisir à voir et à entendre, notons la présence d’un vrai clavier, que manie avec dextérité Mark Deeks et qui apporte beaucoup à l’onirisme de l’ensemble. La générosité de Winterfylleth se lit dans sa musique et jusque sur les visages des musiciens, en particulier celui de Chris Naughton aux expressions habitées ; de quoi donner du baume au cœur à des spectateurs fatigués par trois soirées mouvementées… La musique de Winterfylleth en live, au vu de sa densité sonore, nécessite toutefois de se distancer de la scène pour être appréciée au mieux, ce que je fais quelque peu à regret, manquant alors quelques moments d’échange humain. [Ségolène]
Le noyau de Phantom Fire, qui investit à présent la scène du John Dee, est constitué de Kjartan à la guitare et, au chant et à la basse, d’Eld, qui ne vous est sans doute pas inconnu, puisqu’il fait également partie, entre autres, d’Aeternus, Gaahls Wyrd et Hellbutcher, et est aussi le bassiste live de Taake, que nous pourrons apprécier plus tard en tête d’affiche. Le chant d’Eld est screamé, ou plutôt hurlé, se rapprochant d’un style typiquement black, mais sans l’être, pour soutenir une musique qui tient autant du black que du hard rock ou du heavy et du speed metal. C’est old-school, bourrin, et terriblement jouissif ! On relève quelques riffs vraiment bien troussés. Qui a parlé de Venom ? Il y a un peu de ça aussi chez Phantom Fire, mais avec une voix moins grave que celle de Cronos. L’air de rien, les titres sont bien construits, avec des breaks qui font leur effet. Ça écrase ! Tiens, voici un titre avec du Motörhead dans la voix, mais en bien plus speed. Une voix de Lemmy blackisant, un titre court. That’s all, folks ! [Oli]
Dire que Cynic est attendu comme le messie est vrai… pour une poignée d’aficionados. Le nombre de T-shirts à l’effigie de groupes de thrash des années 80/90 qui s’affichent aujourd’hui tend à démontrer qu’un nombre important de fans a fait le déplacement pour Cynic, et il est clair que certains n’étaient pourtant pas encore nés en 1993, année de parution de Focus, premier album des Floridiens. À la fois le groupe et ce LP allaient très rapidement devenir cultes, tant le mélange de thrash jazzy et progressif et de death qui nous était proposé, exécuté avec une technicité ébouriffante et inédite à l’époque, a marqué les esprits. Loin d’être absconses et rébarbatives, les compositions se montrent au contraire fluides malgré leur complexité. Les longs passages instrumentaux, parfois planants, permettent à l’auditeur de se laisser embarquer sans problème dans le voyage. Un nouveau growler vient d’intégrer le groupe — son nom nous échappe, bien qu’il nous fut présenté — et il s’agit de son tout premier show après avoir pris part à une seule répétition. Cela explique-t-il pourquoi il ne quitte jamais son mètre carré ? Laissons-lui le temps de s’intégrer avant de commenter son attitude scénique. D’autant que lorsqu’il s’agit d’un groupe comme Cynic, la musique compte avant tout. Et, cerise sur le gâteau, nous avons droit à une annonce selon laquelle un nouvel album est en préparation. Vivement sa sortie ! [Oli]
Pour la suite de la soirée, du côté de chez John Dee, le tempo descend, non d’un cran, mais d’au moins une bonne dizaine, courtoisie des Américains de Bell Witch et de leur funeral doom. Groupe atypique parmi les groupes atypiques que voit défiler le fest, Dylan Desmond et Jesse Shreibman font leur entrée sur les planches munis simplement d’une batterie, d’une basse à sept cordes, d’un micro et de leur dernier album à l’unique titre décomposé en quatre mouvements, The Clandestine Gate, premier d’une future trilogie conceptuelle. Autrement dit, une artillerie — très — lourde avec laquelle le binôme lance une première charge à l’assaut des tympans des festivaliers, qui prend la forme d’un bourdon dont les vibrations se ressentent jusque dans le sol… gare à ceux qui auraient négligé la protection de leurs oreilles ! En plus de cet incontournable du genre funeral doom, les deux musiciens possèdent un arsenal dont ils dévoilent la richesse au fil de la progression du set. Cette richesse s’exprime sous de multiples traits, tels le jeu de basse en tapping de Dylan Desmond, sa voix très réverbérée — et claire plutôt que gutturale, à ma grande surprise —, ou le jeu intense d’un Jesse Shreibman lui aussi intense, habité par une rythmique aussi puissante que lourde… En communion avec leur musique et surtout avec eux-mêmes, les deux moitiés du tandem dégagent des ondes hypnotiques qui se répandent parmi des spectateurs qui, hormis quelques dissipés au fond de la salle, n’ont d’autre choix que d’écouter et de se taire, captivés par l’atmosphère envoûtante. Quelques projections lumineuses viennent compléter cette ambiance, qui se ne distinguent malheureusement pas très bien sur le tissu noir en fond de scène, ce qui m’amène à me dire que la présence de bougies et candélabres à la façon d’In Twilight’s Embrace la veille aurait été ici du plus bel effet… Dans tous les cas, et bien que n’étant pas experte médicale, je me permets d’avancer que si d’aventure certains estimeraient que le funeral doom est un genre qui ne se prête pas aux prestations scéniques, assister à un show de Bell Witch devrait constituer une prescription adaptée. [Ségolène]
Avec Finntroll, le plus agressif alterne avec le plus festif. L’ambiance monte crescendo à chaque titre et, dans l’ensemble, la setlist garde quand même le plus festif pour la seconde moitié du set. La chronique de ce concert pourrait se résumer en ces quelques mots : on prend son pied et c’est tout ce qui compte. [Oli]
Pour tout groupe sur toute scène de tout fest, se retrouver programmé avant une tête d’affiche constitue souvent une position bien ingrate — en particulier lors de la soirée de clôture. Les spectateurs répondent tout de même bien présents devant la scène John Dee pour prendre une dose du black metal old-school tel que le produit Koldbrann et du charisme vocal et scénique de son chanteur Mannevond. À l’avant de la scène, ce dernier mène la danse (macabre), appuyé par des musiciens chez qui la motivation se voit tout autant — parmi lesquels les plus attentifs auront reconnu Sturt, bassiste de Tilintetgjort. À cinq, les musiciens occupent l’espace physique par leur présence forte ainsi que sonore par un black metal glauque, froid, sans compromis et gangréné à l’image du nom du groupe ; en somme très punk dans l’esprit et qui fait mouche malgré la fatigue qui se fait ressentir. Outre cela, alors que onze ans se sont écoulés depuis la sortie du dernier album du groupe, Vertigo, Koldbrann débarque avec de la nouveauté dans sa setlist sous forme du double single Den 6. Massedød / Inhumanitær ingripper sorti en décembre dernier, nouveauté annonciatrice d’un prochain opus à venir. Une bonne nouvelle pour — presque — finir le festival en beauté, que demander de plus ? [Ségolène]
À Taake revient l’honneur de jouer en tête d’affiche de la dernière journée de l’Inferno. En nos contrées, la position de headliner pour un groupe comme Taake ne pourrait s’envisager dans le cadre d’un festival d’une telle envergure. En revanche, en Norvège, rien ne semble plus normal… Hoest arrive vêtu d’une toge de chanoine maléfique et enchaîne les poses à la Nosferatu. L’on peut dire qu’il a de la gueule, et pas qu’un peu. Taake est peut-être le plus trve de tous les représentants du trve Norwegian black metal du festival ; du trve black du fond des forêts. Le seul élément perturbant dans cet univers se trouve dans le solo de banjo sur Myr. Chez Taake, cela relève presque de l’avant-gardisme. Le groupe n’a en effet jamais montré d’évolution stylistique tangible durant sa carrière, contrairement à Gorgoroth, par exemple — même si cela est tout relatif. Stay trve ! [Oli]