Inferno Festival 2024 - jour 1
Rockefeller Kampfar, Candlemass, Nordjevel, Keep of Kalessin, Konvent

John Dee     Cattle Decapitation, Crypta, Orm, Nakkeknaekker

Date 28 mars 2024
Chroniqueur Ségolène Cugnod/Oli de Wacken
Photographe Ségolène Cugnod

Konvent a l’honneur d’ouvrir l’Inferno 2024 sur la scène du Rockefeller Music Hall. Le groupe officie en tant que quintet depuis 2022 ; la présence d’une deuxième guitariste, Sophie Lake, étoffant encore un son qui n’en avait pourtant pas besoin. Cette position à l’affiche n’est pas toujours enviable, pourtant, les spectateurs sont déjà bien présents pour apprécier un death/doom d’excellente facture dans lequel s’insinue puis s’incruste une atmosphère sombre et étrange, à laquelle la chanteuse Rikke Emilie List amène encore un plus : vêtue d’une longue robe noire ressemblant à une tunique de nonne que l’on devine maléfique, ses postures et sa position de poignet, comme cassé ou mi-recroquevillé, lui donnent l’air d’une morte-vivante ou d’une sorcière. Les amateurs de films d’horreur asiatiques comprendront ce que cela signifie en termes d’apparence, et conviendront que cet aspect visuel est parfaitement raccord avec la musique et en renforce l’impact. Un très bon début de festival. [Oli]

Nakkeknaekker est le premier à compter parmi les groupes que l’on ne s’attendait pas à voir à l’Inferno, d’une part de par son style death metal tranchant avec le reste d’une affiche orientée black, d’autre part de par sa jeunesse, formé en 2020 et n’ayant que deux démos à son actif, dont la première enregistrée à trois musiciens. Cette invitation représente alors une occasion en or pour le jeune groupe danois de faire connaître son nom à un public amateur d’extrême toujours friand de nouvelles découvertes. Une affirmation qui ne tarde pas à se vérifier, puisque les musiciens mettent en effet moins de temps à susciter un engouement qui se généralise à tous les spectateurs présents dans l’espace restreint de la salle John Dee que ces derniers n’en mettent à apprendre à écrire ledit nom sans faute ! En dépit de leur inexpérience, les cinq jeunes hommes font montre d’une solide assurance ainsi que d’une énergie débordante et communicative qui circule dans l’atmosphère avec les circle pits en guise de conducteurs. Les morceaux, eux, vont droit au but, simples et jamais trop longs, dont les riffs révèlent l’amour sincère que porte Nakkeknaekker au genre death metal et la complémentarité entre les deux guitaristes Joakim Kasparen et Johan Lundvig. Quant au chanteur Christopher Kofoed, en plus d’exceller dans sa communication avec le public, il apporte une touche de personnalité par sa voix au grain particulier. De quoi donner envie d’en découvrir plus, sur un potentiel premier album… [Ségolène]

Il me tardait de voir Keep of Kalessin pour avoir apprécié certains de leurs travaux en studio, et de me placer au mieux dans la salle pour assister à ce concert — et, accessoirement, pour disposer d’un point de vue convenable pour filmer quelques vidéos. Cette journée du jeudi n’est pas sold-out mais, outre celle du samedi qui verra Dimmu Borgir fêter ses trente ans de carrière et qui affiche complet depuis des lustres, il s’agit de la plus courue et dès le coup d’envoi donné par Konvent, il est difficile de s’installer confortablement pour jouir du spectacle dans des conditions visuelles optimales. Où se placer ? Dans les premiers rangs ? Tu oublies, il fallait arriver plus tôt. À gauche ? Bof, on dirait qu’il y a moins de monde à droite. Allons-y. Non, finalement, c’est pas top, on est près de la zone lounge qui accueille une partie des stands de merch, d’alimentation et diverses boutiques et les gens ne cessent d’aller et venir. Aux balcons ou dans les places assises du premier étage, alors ? Il semble y avoir encore quelques possibilités de s’incruster. On essaie, ça ne le fait pas non plus. Retour sur le plancher des vaches, on tâche de se poser et d’apprécier un tant soit peu le spectacle. En vain. Le temps de retrouver la zenitude nécessaire à l’appréciation d’un concert, celui de Keep of Kalessin se termine déjà. Tout comme ce paragraphe qui me permet juste de vous dire que je n’ai rien à dire. [Oli]

(Ségolène) Keep of Kalessin aura livré un show épique à la hauteur de son travail en studio, rapide, virtuose, diablement efficace et qui comprend en plus son lot de retours dans le passé, entre autres à l’album Armada de 2006, année ayant également été celle du premier passage du groupe à l’Inferno ; de quoi continuer d’échauffer les esprits !

De retour dans la salle John Dee, l’heure est à la découverte du black metal aux atmosphères progressives et métaphysiques tel que le produit Orm ; un moment de répit plus que bienvenu après les chevauchées épiques de Keep of Kalessin. Une musique aussi intellectuelle et contemplative — la durée de nombreux morceaux dépassant vingt minutes — ne se prête a priori pas aux conventions d’une prestation en live ; le quatuor danois ne fait toutefois que peu de cas de ces considérations. La vie est trop courte pour se priver de jouer un morceau tel que le magnifique Fra dyden au motif que lui serait « trop long » ! De toute manière, qu’il s’agisse de ce morceau ou d’autres plus « stage-friendly » tel Ancient Echoes, le groupe sait y faire pour capter l’attention du public qui s’en retrouve ainsi happé dans une prestation prenante de bout en bout. Cette réussite, Orm la doit à son écriture riche en nuances et subtilités multiples et au rythme soutenu ponctué de « pauses » acoustico-atmosphériques, mais avant tout à la façon qu’ont ses membres de rendre hommage aux thématiques et expériences profondes et personnelles dont ils tirent leur inspiration. Le public de John Dee se retrouve ainsi face à quatre musiciens qui, au vu des expressions habitées qu’ils affichent, apparaissent comme possédés par ces sources d’inspiration auxquelles ils montrent une dévotion de tout leur cœur et de toute leur âme. Impossible, dès lors, de détourner son regard d’eux, ni son attention d’une prestation qui n’en devient que plus intense et captivante. Pour cela, je salue Orm bien bas ! [Ségolène]

Nordjevel propose un black assez trve et un peu de pyrotechnie pour agrémenter son show. Cet élément visuel est toujours sympathique, même si les esprits chagrins — et certains autres, chacun ayant son avis sur la question — pourront le trouver un rien éculé. Le public de l’Inferno attend sa dose de black metal et Nordjevel la lui offre, avec savoir-faire. [Oli]

Second groupe entièrement féminin mis à l’honneur après Konvent, Crypta vient servir une dose de death/thrash metal old-school au public rassemblé devant John Dee ; un public qui, de tout évidence, l’attendait avec impatience, si j’en crois les cris de quelques personnes précédant de peu l’arrivée des quatre Brésiliennes sur scène ! Des cris que viennent bientôt supplanter les féroces vociférations de Fernanda Lira sur fond de The Other Side of Anger, issu du second album Shades of Sorrow, sorti en août 2023. En pleine tournée pour sa promotion, les quatre jeunes femmes sont motivées à bloc et le démontrent à grand renfort de headbang synchronisé au rythme des extraits de cet opus et de levés de poings en l’air en symbiose avec un public qui, pour sa part, exprime son ravissement face à cette leçon de metal extrême administrée par celles qui ont su s’imposer comme nouvelle valeur sûre du genre en à peine cinq ans de carrière. Le temps de set alloué à Crypta est court, mais largement suffisant à l’ex-frontwoman de Nervosa et ses consœurs pour livrer à l’Inferno une démonstration de la force de leur union en tant que musiciennes issues de milieux différents — du death/thrash pour les fondatrices Fernanda Lira et Luana Dametto au folk pour la guitariste Tainá Bergamaschi — et faire tomber les spectateurs masculins comme féminins sous leur charme vénéneux. Je reconnais pour ma part avoir un petit faible pour l’autre guitariste Jéssica di Falchi, benjamine du groupe par l’âge et par l’arrivée, au jeu et à la fougue très heavy metal « maidenesque »… ceci malgré un léger souci de son sur son instrument, heureusement vite résolu. [Ségolène]

La vie et l’œuvre de Candlemass ont eu une influence conséquente et évidente sur un bon nombre des groupes figurant, ayant figuré et qui figureront à l’affiche de l’Inferno ; il apparaît donc logique de faire honneur aux grands maîtres suédois du doom metal épique en leur réservant une bonne place sur l’affiche de cette année. Pour moi qui n’ai jusqu’ici jamais vu le groupe sur scène, je considère cette occasion comme une chance… Bien m’en prend, puisqu’en témoignage de sa joie d’être ici, il livre une ouverture à la hauteur en s’adressant directement à un public qui se retrouve littéralement « Bewitched » par la puissance des ondes sonores qu’il reçoit ! Tout ce que l’on pouvait espérer, en somme, d’un groupe qui, à l’image d’une bouteille de bon vin, ne cesse de se bonifier avec le temps. Pour filer la métaphore, cette bouteille que possède Candlemass se ressent et se savoure à chaque instant passé à la partager. En dépit de l’âge — ou peut-être grâce à lui ? —, c’est une énergie très « jeune » qui se dégage de ces cinq musiciens de la vieille école dont le talent n’a d’égales que la bonne humeur et la complicité de tous les instants qu’ils partagent entre eux comme avec une audience dont ils savent accaparer l’attention par des méthodes bien à eux… pour le moins facétieuses. De sa longue histoire, Candlemass a tiré beaucoup de petites à raconter, aussi bien au travers d’un tour d’horizon musical dont on ne sait jamais où la prochaine étape va mener — l’ordre des morceaux changeant d’un concert à l’autre — qu’en dehors, par exemple lorsque Leif Edling évoque le souvenir de la tournée South of Heaven de Slayer en 1988, non sans un sourire malicieux… Un autre point fort réside dans le binôme que forment les guitaristes Mappe Björkman et Lars Johansson, complémentaires dans leur jeu et jusque dans la main qui tient le médiator ! Autant d’éléments qui donnent à ce show de Candlemass des allures de bon moment passé en famille… un si bon moment qu’il me mène à m’attarder plus longtemps que prévu, oublier l’heure et manquer arriver en retard pour la suite ! (en prochain paragraphe) [Ségolène]

Depuis bientôt trente ans, Cattle Decapitation exploite à sa manière le mélange (d)étonnant entre grindcore et death metal progressif, ceci grâce à une écriture toujours plus intelligente et diversifiée d’un album à l’autre. Il va alors sans dire qu’au vu de mon coup de cœur surprise pour les derniers d’entre eux, et en tant qu’aficionada du black metal connaissant mal le genre dont le groupe se revendique, je brûlais d’impatience de le découvrir et le photographier sur scène. En ce qui concerne le second point, l’expérience ne tarde pas à tourner au vinaigre. En effet, pour une quelconque raison, le pit photo est inaccessible et ma petite taille me pose souci pour cadrer proprement à distance, tant et si bien que je ne parviens à sauver qu’une image… En revanche, du côté de ce qui se passe sur scène, c’est un carton plein pour le groupe, qui livre une prestation à l’image de ce que l’on pouvait en attendre, c’est-à-dire blindée jusqu’à l’os de folie furieuse et des revirements cyclothymiques qu’on lui connaît entre pure bourrinitude et technicité !  Il n’en fallait pas moins pour mettre en avant une setlist constituée de titres récents mais déjà cultes, issus en bonne partie du dernier brûlot en date, Terrasite. Sur scène comme en face, hors de question de laisser place au moindre temps mort, y compris sur Finish Them, morceau le plus « calme » ; la moindre relâche pourrait bien être fatale. De là où je suis (mal) placée, j’ai plaisir à observer Travis Ryan haranguer son public entre deux tours de montagnes russes vocales entre death, black et clean nasillard, public qui de son côté y répond de la manière la plus appropriée qui soit, c’est-à-dire en se lançant dans des circle pits en boucle ! En un éclair, Cattle Decapitation allume l’étincelle qui met le feu aux poudres, et la chaleur se propage dans l’atmosphère… au point que cette dernière en devient vite irrespirable et que je me retrouve à devoir quitter la salle, manquant ainsi les derniers morceaux et le rappel Kingdom of Tyrants, pour ma propre survie et mon grand regret. En dépit du péril et de sa durée écourtée, cette première expérience avec Cattle Decapitation me donne largement l’envie d’en découvrir davantage… vivement la prochaine occasion ! [Ségolène]

Kampfar sera la tête d’affiche de cette première journée. Son black pagan, penchant tantôt vers l’un ou l’autre côté du spectre, comporte son lot de passages radicaux, alternés avec des ambiances façon Bathory ou Enslaved. Si, en nos contrées, cette formation est perçue comme une valeur sûre dans ce créneau, ce qu’elle est assurément, elle représente bien plus que cela en Norvège et semble d’ailleurs très fière de ses origines, au vu des drapeaux aux couleurs du pays qui ornent la scène. Folklore, fierté ou nationalisme, peu importe, la musique vous booste littéralement, la prestation est très solide et les lumières mettent le tout en valeur. Impeccable. [Oli]