Acte Profane
La grande chevauchée
Genre raw black metal
Pays France
Label Hypogea Invictus
Date de sortie 15/05/2023

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Dans un contexte socio-politique toujours plus tendu de jour en jour, et dans une scène black metal au sein de laquelle le sous-genre se fait rare, sortir un album de raw black metal traitant d’un sujet aussi épineux que la Guerre de Cent-Ans constitue un pari d’autant plus risqué ; un pari qu’a décidé de relever Acte Profane. Fort de dix ans d’existence, ce n’est pourtant que cette année, le 15 mai plus précisément, que le projet solo devenu duo sort son premier album, intitulé La grande chevauchée, sous le label Hypogea Invictus. Histoire de relater le plus fidèlement possible son sujet et, qui sait, de relever un peu plus un défi déjà conséquent, Théo Langlois et Jules Thomann ajoutent du sel dans la sauce en reprenant tels quels des textes littéraires d’époque sans le filtre de la nôtre ! L’audace du duo aura-t-elle donc porté ses fruits ? À cette question, il est déjà impossible de répondre simplement par la positive ou la négative, la seule certitude étant qu’une telle tactique ne peut aboutir ni à une victoire ni à une défaite totale, en tout cas pas à un résultat autre que clivant en matière de réactions.

Une première écoute « à l’aveugle », sans rien connaître du groupe ni disposer des textes sous les yeux, risque ma foy fort de soulever une question chez la plupart des auditeurs ; à savoir, pour rester dans des termes polis, « Diantre, mais que dyable vient-il de se produire ? » Acte Profane ne prend en effet pas de gants — plutôt des gantelets d’acier — pour retranscrire l’ambiance poisseuse et imprégnée de violence des événements qu’il relate. Pour résumer La grande chevauchée en peu de terme, il est constitué peu ou prou de deux parties, scindé en son milieu par l’intermède Chant à Sainte-Jeanne d’Arc — reprise d’un enregistrement par Vincent Cornier d’un chant religieux de la fin du XIXè siècle —, la première traitant de faits politiques et guerriers que mon absence d’expertise m’empêche de citer, vive et nerveuse en conséquence, la seconde traitant du martyr de Jeanne d’Arc et des événements l’encadrant. Fondamentalement peu différente de la première, elle est toutefois moins rapide et plus grave dans son ton, peut-être pour souligner la tragédie du destin de la doulce et amiable Pucelle… Dans tous les cas, chacun des dix titres, à l’exception de l’intermède, rassemble les éléments caractéristiques d’un metal noir brutal et guerrier, entre riffs agressifs joués par des guitares usant et abusant de la distorsion et rythmique chaotique frappée sur une batterie surpuissante dont la caisse claire aurait de quoi porter plainte pour maltraitance, au-dessus desquels se posent des cris maladifs à peine articulés. Cette combinaison infernale résulte en un son sale et noir comme la peste qui laissera à plus d’un la sensation d’avoir eu les tympans piétinés par les sabots des chevaux de La grande chevauchée… Cependant, par chance pour nous, pauvres hères que nous sommes, les maîtres d’armes n’ont pas oublié de disséminer des mélodies au milieu de cette desordenance : dans les riffs en général, dans les quelques rares lead guitars comme celle de Dogue Noir, dans la rythmique presque dansante d’un titre comme Le sage ou celle plus posée de Félonie… qui se décèlent pour qui a le courage de tendre l’oreille. La basse se distingue elle aussi par moments, tels la fin de La perfide Albion ou Le sacre, pour ne citer que ces deux exemples, tranchante comme une espee bien aiguisée.

En somme, comme souligné plus tôt, Acte Profane offre à son album et à la populace à laquelle il est destiné un meslinge sonore volenteusement décousu et créant la confusion ; à l’image des événements qu’il dépeint. Bien loin de l’imaginaire du grand public, les champs de bataille sont lieux où règnent barbarie et terreur, ce que les deux jeunes hommes prennent un malin plaisir à rappeler à un public dont ils s’acharnent sur les oreilles à coups de fer de lance jusqu’à les faire saigner tout au long de la geste de presque quarante-cinq minutes qu’est La grande chevauchée. Ce choix artistique assumé joue en faveur, non seulement d’une cohérence globale qui en devient totale, mais aussi du facteur immersif…

… pour finir, infortuneusement et paradoxalement, par exister au détriment de ce dernier, ceci pas seulement parce qu’il est hostile aux non avertis. En effet, comme souligné précédemment, encore une fois, les crupees (« volée de coups de bâton », ndlr) sur la batterie et surtout sur le bouclier caisse claire sont puissantes, très puissantes… voire trop, jusqu’à prendre le dessus sur des cordes qui peinent alors à se faire entendre. Se couplent à cela des textes difficiles d’accès y compris en les lisant pendant l’écoute — d’autant plus pour ceux ne connaissant pas le français médiéval —, qui renforcent la complexité de l’ensemble et ajoutent au sentiment de confusion de départ ; un tout qui finit, fatalement, par rendre l’album et l’histoire qu’il narre très compliqués, voire impossibles à suivre sans perdre le fil.

Une autre élément caractéristique de l’identité de La grande chevauchée réside dans la multiplicité des acteurs venant prêter leurs vois à cette fresque aussi épique que sanglante, se comptant à un nombre non moindre que cinq, répartis sur neuf morceaux. Théo Langlois, bien qu’il assure la majorité des parties vocales, s’est entouré d’autres chanteurs issus de la scène black metal et de son entourage proche — à commencer par son binôme Jules Thomann. Ainsi, les fans de Skaphos ne seront pas surpris de voir la figure de proue de ce groupe, Stéphan Petitjean alias Lepr, faire une apparition sur le morceau Le sage, de même pour ceux connaissant Sentier des Morts, ex-groupe toulonnais comme Acte Profane, dont l’ex-chanteur Loïck Espinasse alias Modaïs pose sa vois sur le titre Patay. Cette diversité de spectre vocal, à l’instar de la partie instrumentale, constitue tout à la fois une force et une faillance pour l’album, pour des raisons somme toutes évidentes. Par exemple, le duo entre Théo Langlois et Jules Thomann dévoile son efficacité sur Le Roy Godon, titre le plus simple et efficace dans son écriture et son écoute— et dans une moindre mesure sur Le victorieux, Jules s’y trouvant très en retrait —, tous deux s’y livrant à des performances aussi écorchées et maladives l’une que l’autre, chacun à sa façon. De manière générale, toutes les performances vocales se distinguent largement assez les unes des autres pour être complémentaires…

… si tant est qu’elles parviennent à se distinguer tout court au milieu de la tumultation. Une fois encore, le souci trouve sa racine au niveau de l’ouvrage sonore : hormis l’excession de zèle sur les percussions déjà soulignée, le traitement ne s’adapte pas aux spécificités de tous les cinq interprètes, de sorte qu’un déséquilibre ne tarde pas à se noter, dont tous se trouvent affectés à divers degrés. Cette afflicture touche primement des pistes telles La perfide Albion — notoirement l’une des plus intéressantes d’un point de vue musical et structurel — et Patay, où les vois de Théo Langlois et Modaïs sont assourdies au point que l’on n’en a point du tout ouïe sur la première moitié des deux morceaux. Lepr partage un sort similaire, dont la palette vocale large et reconnaissable pâtit d’un espace d’expression trop limité sur un Le sage par ailleurs solide dans son écriture. Le seul interprète un tant soit peu épargné se trouve finalement être Benjamin Brie alias Lethal von Lethal, dont l’intervention aux airs de chant pagan sur Pluie d’acier ressort somme toute assez bien ; il en est de même pour la guitare acoustique présente çà et là, au son très clair et organique et qui vient apporter, sur la fin du dernier titre Le victorieux, une parfaite concluante à la geste guerroiale qu’est La grande chevauchée.

Au regard de certains, les propos tenus dans cette chronique pourront paraître empreints de durece vis-à-vis de La grande chevauchée et des deux membres d’Acte Profane ; il n’en est en vérité rien. Bien au contrable, de quelques écoutes de cet album se voulant chanson, et par-delà ses défauts, ressort chez les deux chansonniers une maîtrise poussée, à la fois des codes du sous-genre « metal noir brut » dont ils font bon us dans leur écriture musicale et de leurs instruments, bien sûr, ainsi que, et surtout, une authentique et sincère volonté de faire bon ouvrage dans l’hommage qu’ils rendent aux uns comme aux autres. De toute faisure, comme souligné dans l’introduction, une démarche telle la leur menant à la création d’un tel album est vouée à ne pas faire l’unanimité, y compris chez le public cible. De ce fait, s’il parlera à certains tout en déplaisant fortement à d’autres, La grande chevauchée apparaît comme une sortie rafraîchissante dans une scène qui tend à mettre en avant des productions plus modernes et « grand public », de même qu’Acte Profane apparaît comme un groupe qui possède les atouts pour s’accomplir davantage dans un futur proche. Moins de dispersion dans la répartition des parties vocales et une mise en retrait des parties de batterie le mèneraient vers l’équilibre qu’il n’a pour le moment pas encore atteint. Gageons que la prochaine chevauchée mènera ses cavaliers encore plus loin…

Deus Vult.