15 décembre : Deathhammer, Savagery, Blackowl

16 décembre : Venefixion, Sacrifizer, Tower of Silence

17 décembre : Mercyless, Hexecutor, Skelethal, Liquid Flesh

Rock’n’Eat (Lyon)
Date du 15 au 17 décembre 2022
Chroniqueur Ségolène Cugnod
Photographe Ségolène Cugnod
https://www.rockneat.com

S’il existe à Lyon une association de promotion de groupes qui a le vent en poupe, il s’agit bien de Turbo Lovers. Fondée courant 2020 en plein cœur de pandémie de Covid-19, dans un contexte rendant difficile l’organisation de concerts, la petite bande de fans de Judas Priest n’a pourtant pas chômé. Bien au contraire, grâce à la mise en œuvre de tous les moyens à sa disposition, ainsi que de la bonne volonté de ses membres, elle peut à présent se vanter d’avoir à son actif quelques dates au succès local et mérité, parmi lesquels la première édition du Mo(r)moros Death Fest en décembre 2021. Un an plus tard, Larry Anderson et ses comparses remettent le couvert en revoyant leurs ambitions à la hausse, avec une seconde édition s’étendant cette fois-ci sur trois soirées portées par pas moins de dix groupes sur son affiche, du 15 au 17 décembre 2022. À partir de cela, et gardant un excellent souvenir de la première édition, il va de soi que mon Fujifilm et moi-même étions plus que curieux de découvrir ce que vaut cette nouvelle fournée combinant saveurs locales et diverses !

Le milieu de l’extrême est régi par un seul mot d’ordre : l’efficacité avant tout — et quelle meilleure représentation pour cela qu’un power trio ? Celui que forme Blackowl se voit confier l’ouverture de cette première soirée et du Mo(r)moros Death Fest par la même occasion ; un véritable honneur pour le groupe grenoblois qui n’a pour le moment qu’un seul album à son actif. Les trois musiciens se montrent en tout cas très énergiques et enthousiastes, à l’image de leur musique, un black/thrash metal à l’esprit bien punk comme on aime ! La setlist ne compte que cinq morceaux, tous possédant cependant, et heureusement, une assez bonne durée, un rythme constant et surtout une écriture très aboutie, bien plus que suffisant pour soutenir une prestation de quarante minutes. L’un d’eux donne même l’occasion au guitariste Spektr, sans doute le plus hyperactif du trio, de se lâcher comme jamais et d’enchaîner plusieurs soli ! En plus de son dynamisme, Blackowl brille également par son sens de l’humour, lorsque le frontman Dux lance impulsivement « Allez vous faire enculer ! », suivi d’un presque timide « Pardon » ou qu’il enchaîne les plaisanteries sur l’obsession de son groupe pour la Chartreuse, dont une bouteille trône d’ailleurs fièrement sur la scène… À la santé de Blackowl, et à ce début de fest dans la joie et la bonne humeur !

Blackowl

La suite des événements réserve au public un bon coup de boost, Savagery et son speed metal arrivant pour appuyer sur la pédale d’accélérateur. Les quatre Parisiens débarquent avec un set de sept morceaux, dont l’intensité et l’énergie folle suffisent à compenser la courte durée. Leur prestation a tôt fait de prendre la forme d’un hommage à Toxic Holocaust, principale influence du groupe tant dans la musique que dans l’énergie scénique. L’enthousiasme et l’envie d’en découdre se font en effet ressentir chez chacun des quatre membres de Savagery, que le public accueille du reste avec la même ferveur. À ce niveau, le guitariste fraîchement recruté, T. F., que d’aucuns pourraient décrire comme n’ayant pas la tête de l’emploi, véhicule une bonne partie de cette énergie, assurant la lead avec une aisance et une brio qui méritent compliment ! Savagery pousse l’hommage à ses maîtres jusqu’à inclure une reprise de Awaken the Serpent dans sa setlist, aussi réussie par ailleurs que les compositions originales du groupe, certes encore peu nombreuses mais qui recèlent de belles promesses. Toxic Holocaust a de quoi être fier !

Savagery

La France laisse ensuite place à la Norvège lorsque Deathhammer arrive pour conclure cette première soirée axée sur le black/thrash. Ici, pas le temps de philosopher sur le sens de la vie ; avec le quatuor nordique, tout est question de mort. Pour répandre cette dernière dans le sous-sol lyonnais, Deathhammer peut compter sur sa maîtrise des codes du genre extrême, aussi bien visuels qu’auditifs. Ainsi, le rouge étant une couleur connue pour exciter les esprits, il n’est pas étonnant de la retrouver un peu partout, à commencer par l’éclairage, en passant par les cheveux du guitariste, jusqu’aux taches ornant le T-shirt du frontman Sergent Salsten… mais aussi, et surtout, dans la musique ! Experts en black/thrash metal, les membres de Deathhammer le sont jusqu’au bout des riffs et en font la démonstration tout au long de près d’une heure de set ponctuée par quelques interventions de Sergent Salsten, certaines dans un français approximatif… Toutefois, il n’a nul besoin de longs discours pour se faire comprendre de spectateurs qui se montrent on ne peut plus réceptifs et se lancent dans de longs échanges sur le sens de la mort… à la façon qui est la leur, c’est-à-dire en passant par le langage corporel ! Heureusement, aucun mort réel n’est à déplorer dans la salle, ni le moindre faux pas sur scène. En revanche, s’il en est un à déplorer, c’est du côté de mon appareil photo, dont la carte SD me lâche en plein set, me faisant perdre toutes mes images… Je me console tout de même en profitant de la bonne ambiance instaurée par le talent et la bonne humeur de Deathhammer.

Une nuit et une journée de répit plus tard, et nous voilà repartis pour un tour ! Cette seconde soirée du Mo(r)moros Death Fest démarre sous des auspices pour le moins déroutants avec l’ouverture assurée par les locaux de Tower of Silence. Le quatuor lyonnais se positionne en quasi-opposition d’une affiche principalement centrée sur des groupes à l’esprit simple et direct et joue pour sa part un black metal orienté vers des aspects progressifs, agrémenté çà et là de quelques éléments issus du death metal. Les parties vocales, que se partagent Rudy et Sylvain, respectivement guitariste et bassiste, oscillent entre un registre black la grosse majorité du temps et quelques parties claires, le tout venant se greffer à des rythmiques et mélodies chaotiques et déstructurées, au point que certaines lead de guitare en paraissent dissonantes par moments… Le mélange est particulier, mais loin d’être désagréable pour autant, bien que mettant du temps à faire son bonhomme de chemin. La sensation d’étrangeté que dégage la musique de Tower of Silence se voit d’autant plus renforcée par le calibrage tout aussi particulier du son, qui place la basse au cœur de l’ensemble et lui donne une puissance et une justesse qui fait du bien aux oreilles. Mauvais point, en revanche, pour les passages en chant clair qui ressortent peu audibles… Le portrait que je dresse ici du groupe peut sembler peu reluisant ; cependant, malgré ces quelques aléas sonores ainsi que l’apparente timidité de Rudy, un peu hésitant dans ses interactions avec le public, Tower of Silence se révèle un groupe intrigant, qui marque par son originalité et mérite d’être découvert.

Tower of Silence

Succèdent Sacrifizer et son look tout en cuir, clous et maquillage noir ; une esthétique dont le kitsch est tel qu’il ne peut être que volontaire… et au vu de la prestation du groupe, il n’en fallait pas moins pour retranscrire visuellement un état d’esprit si rock’n’roll ! Celui-ci se retrouve dans tous les aspects de la prestation du groupe, speedy comme ce n’est pas permis, entre les riffs tranchants comme les rasoirs du titre de la première démo, Night of the Razors, et les morceaux qui s’enchaînent sans répit sous l’impulsion de cinq infatigables musiciens et chanteur. L’union fait la force, dit-on, et la principale force de Sacrifizer réside indubitablement dans l’union entre ses membres, qui affichent une coordination sans failles dans leur dress code comme dans l’exécution de leurs rituels sacrificiels. Ainsi, l’apparente grossièreté de l’ensemble révèle sous ses couches de saleté un diamant brut — Le diamant de Lucifer —, sous la forme d’une prestation diablement efficace de par sa constance et sa cohérence. Une prestation qui s’achève à l’image du début, avec les cinq sacrificateurs quittant la scène sans y mettre les formes ! Sacrifizer se sera montré constant, somme toute, jusqu’au bout, dans le rythme tout comme dans l’attitude.

Sacrifizer

Tête d’affiche du soir, Venefixion apparaît étonnamment similaire à Sacrifizer, autant dans l’apparence extérieure que dans l’esprit. Un détail, et non des moindres, fait cependant la différence ; il se situe dans le sang qui recouvre l’un comme l’autre aspect… et qui ne tarde pas à bouillir dans toutes les veines, sur scène comme en face. Venus de Bretagne aux côtés de Hexecutor qui joue le lendemain et dont le guitariste J. Obscene est membre également, les cinq hommes en ont ramené quelques histoires d’une magie dont la noirceur déteint sur leurs tenues de scène et sur le death metal qui sort de leurs instruments et voix. Ladite magie ne tarde pas à opérer, et le public du Rock’n’Eat se lance dans des mêlées encore plus agitées que celles de la prestation précédentes… au point que, pour ma part, j’ai bien du mal à suivre, et surtout à bouger pour prendre mes photos ! Cela étant, toujours à l’instar de Sacrifizer, la prestation de Venefixion révèle sous ses aspects « bêtes et méchants », d’autres aspects très en harmonie. Ceux-ci sont en grande partie véhiculés par les deux guitares, assurées de quatre mains de maître par J. Obscene et K. Desecrator, et qui tempèrent la « bourrinitude » de l’ensemble… À ceux qui souhaiteraient connaître le secret de l’alliance entre force et finesse, je ne peux que conseiller d’assister à une prestation scénique de Venefixion ; ils pourraient en tirer de très bonnes leçons…

Venefixion

Avec quatre groupes à l’affiche, dont à sa tête ni plus ni moins que Mercyless, la soirée du samedi 17 promet un dernier tiers de Mo(r)moros Death Fest en beauté. Elle commence avec Liquid Flesh, second power trio du lot après Blackowl — et originaire lui aussi de la région grenobloise. Encore une fois, comme pour tout bon power trio qui se respecte, l’efficacité avant tout est au rendez-vous. Rien d’étonnant pour moi qui ai déjà eu l’occasion de voir le groupe se produire sur la même scène en 2020 et qui apprécie de redécouvrir son death metal aux accents rock et blues, ainsi que la prestation de son nouveau batteur Niels Quiais. L’ensemble de la prestation est soutenu par un son à l’image des visuels du groupe, autrement dit, gras et dégoulinant. Ainsi, entre les mains des trois musiciens, chaque note paraît effectivement de la chair liquide, coulant lentement de nos oreilles jusqu’à atteindre le petit frisson dans le bas du dos… Il en est de même pour la performance vocale du chanteur et bassiste Putride Bruce. Ce dernier montre plus d’une corde vocale à son arc, passant  en un tournemain des grognements graves aux cris aigus ; il présente par là une gamme de tons variés dans sa manière de clamer des textes dont, petite rareté pour un groupe de death metal, certains sont écrits en français, et compense sa timidité dans les moments où il annonce les titres. Liquid Flesh livre en tout cas une setlist bien fournie pour une ouverture de soirée ; de quoi s’en mettre d’emblée plein les oreilles. On apprécie !

Liquid Flesh

Skelethal succède, qui officie dans le même genre musical dont il exploite des aspects plus sombres, en contraste avec le death metal aux couleurs flashy ayant précédé. À l’image du titre du premier album du groupe, Of the Depths…, le death metal que joue ce dernier semble tout droit sorti des profondeurs et dont chaque élément représente un niveau différent d’obscurité, de la voix caverneuse du vocaliste et guitariste Gui Haunting à la batterie aux blasts d’outre-tombe. Toutefois un des éléments les plus intéressants et appréciables chez Skelethal se situe dans le duo de guitares que forment le sus-cité Gui Haunting et Lucas. Tous deux aussi talentueux l’un que l’autre, leur dialogue ciselé apporte une touche de virtuosité et de mélodie bienvenue dans cet amas abyssal. Bien loin de tomber dans le travers du « trop grave et bourrin pour être audible » pour autant, le groupe est au contraire bien aidé par un son rendant le tout très limpide et le set facile à suivre. À propos du set, celui-ci doit malheureusement être écourté ; en cause, le bassiste d’Hexecutor ayant remplacé au pied levé Julien, le bassiste habituel, et n’ayant pas eu le temps d’assimiler tous les morceaux. Raison de plus pour le public d’en profiter à fond et se jeter dans la mêlée sous la lumière rouge ; « La bagarre ! »

Skelethal

Hexecutor possède une configuration similaire à celle de Skelethal, toutefois, avec eux, la différence se situe dans le style. Ce dernier n’est en vérité pas évident à définir, à la croisée du thrash, du heavy et du black metal, avec un tempo bien speed ; en d’autres termes, une combinaison aussi bordélique qu’agressive et qui appelle plus que jamais à semer le chaos devant la scène du Rock’n’Eat… ce que les spectateurs ne se font bien entendu pas prier pour faire ! Ceci, tout au long du set, à tel point que la prise de vues ne tarde pas à devenir périlleuse… Toutefois, au milieu de cet ensemble chaotique se détache un semblant d’ordre, qui prend la forme de nombreuses mélodies assurées de mains de maître par Joey Demönömanic alias J. Obscene, qu’il fait plaisir de retrouver sur scène après sa performance de la veille avec Venefixion, et son comparse chanteur et guitariste Jey Deflagratör, qui assure sur toutes ses cordes, vocales comme du manche. Du reste, dans la lignée du tempo des morceaux, l’attitude des musiciens se veut très « à l’arrache » et rentre-dedans ; comprendre par-là qu’ils ne perdent pas de temps pour enchaîner les morceaux ni pour manifester leur joie d’être là. Hexecutor fait preuve, en somme, de la plus pure des honnêtetés dans sa prestation, ce qui ne peut que lui valoir des éloges !

Hexecutor

Alors qu’il se fait tard et que la fatigue a déjà eu raison de quelques spectateurs, vient le temps pour Mercyless de conclure cette deuxième édition du Mo(r)moros Death Fest. Faire suite à la superbe prestation de clôture qu’a été celle de Ritualization lors de la première édition semble alors comme un défi à relever ; à ce titre, il fait plaisir de reconnaître dans le public les membres du groupe orléanais venus encourager leurs confrères de Mulhouse… Ces derniers font sur scène une entrée solennelle, sur fond d’une introduction orchestrale qui donne le ton d’emblée : avec Mercyless, le sérieux est de mise dans la prestation, au travers d’un rythme plus posé que pour la plupart des groupes précédents et d’une rigueur sans faille chez chacun des musiciens. Cela étant, et qui a assisté à sa performance de clôture de la première édition du New Blood Fest s’en souvient, Mercyless ne laisse pas le fun de côté pour autant et met un point d’honneur à ce que tout le monde s’amuse, sur la scène comme devant ! Ceci, grâce d’une part à l’excellence de la setlist, composée de morceaux triés sur le volet, d’autre part à l’énergie débordante des quatre musiciens, en particulier Max Otero qui affiche une forme olympique du haut de ses cinquante-trois ans. Où réside donc le secret de ce death/thrash qui semble à l’épreuve du temps ? « Sortir un putain de premier album, puis disparaître pendant deux ans et faire un come-back », avance un spectateur en guise d’explication. Si la recette a connu quelques modifications au fil de la carrière de Mercyless, elle semble en tout cas bien fonctionner. Il n’y a qu’à observer la complémentarité du duo de guitares formé par Gautier Merklen et Max Otero, les vocalises éraillées façon blues de ce dernier et le dynamise enthousiaste du combo basse/batterie formé par Yann Tilgui et Laurent Michalak pour s’en rendre compte ! Du côté des spectateurs, ceux-ci continuent de s’agiter malgré l’heure tardive, leur nombre moindre créant un espace plus large qui renforce d’autant plus l’amplitude des mouvements de foule. Ainsi, au bout de près d’une heure, Mercyless conclut son set et par la même cette seconde édition du Mo(r)moros Death Fest par un hommage aux maîtres du genre au travers d’une reprise d’Evil Dead de Death, certes dans la fatigue, mais aussi dans l’allégresse générale.

Mercyless

Ainsi, sur cette fin de Mo(r)moros Death Fest II, 2022 trouve son terme en tant qu’année de concerts, dans un concentré de noirceur et de mort qui prouve bien que, pour qui sait la comprendre,  la joie de vivre y est décelable. Serait-ce finalement là où trouver la vraie beauté ? L’année 2023 et son lot de futurs événements, parmi lesquels une potentielle troisième édition, nous le diront…