Tattva
Naraka
Genre Black metal
Pays France
Label Geistraum Records
Date de sortie 07/02/2022

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La philosophie indienne comporte son lot de concepts chargés en mystère dont l’abstraction génère chez le tout-venant une fascination mêlée de curiosité. Parmi ces fascinés, le mystérieux J, alias Jej, prend un de ces concepts, le tattva, terme sanskrit désignant les composants et aspects du réel, pour le mettre en musique. Ainsi le one-man-band Tattva voit-il le jour au cours de l’année 2020, projet traitant la spiritualité par le prisme du blackened death metal. Par la suite, J/Jej ne chôme pas, signant des contrats avec plusieurs labels, parmi lesquels Geistraum Records et Pile of Heads Productions, et sortant sa première trilogie musicale autour de la thématique aussi intrigante que méconnue du voyage karmique de l’âme dans l’au-delà ; tout ceci en l’espace de seulement deux ans. Débutée en 2021 avec l’album Nirjara suivi de l’EP Avanati la même année, cette saga conceptuelle trouve en 2022 sa conclusion avec le nouvel et second album de Tattva, intitulé Naraka.

Dans la religion Jain et la mythologie associée, le terme naraka désigne « la voie de l’Enfer », lieu de jugement des âmes où le karma fait son œuvre sur ces dernières, ceci en prenant tout le temps jugé nécessaire à les purifier de leurs péchés. Autrement dit, un lieu où règnent souffrance, tourment et désespoir ; une atmosphère qui mérite une retranscription à la hauteur de sa noirceur… Fort heureusement pour les pauvres âmes infortunées de ses auditeurs, Jej maîtrise son sujet et le prend à bras-le-corps dès le morceau éponyme, après la longue introduction Anima Oppressi (Winds of Pestilence) aux sonorités orientales. Sur fond d’un tempo frappé à grande vitesse par la batterie programmée, le compositeur-interprète rassemble riffs acérés tels des rasoirs et voix éraillée et rauque ; tous les éléments d’un Black Metal old-school, teinté par moments d’accents Death Metal lors de passages mid-tempo. Ces mêmes éléments se retrouvent sur le titre qui suit, Manu Shaya (Judgement). Sans contexte un des plus chargés en atmosphères oppressantes de l’album, portées en bonne partie par une basse puissante dans le premier tiers, il possède également comme atout une force évocatrice qui ne manquera pas de glacer le sang de plus d’un. Dans le royaume de Mara, le jugement des âmes est sans appel, ce que ce morceau ne se prive pas de rappeler…

Par la suite, cette force évocatrice change de forme pour prendre l’apparence du désespoir et du regret dans les pistes du milieu de Naraka. Jati (and… Death), morceau le plus court de l’album du haut de ses deux minutes et demie, prend ainsi la forme d’un intermède quasi-instrumental dont le tempo lent s’accommode aux lamentations d’un narrateur en vaine quête de rédemption. Le véritable cœur émotionnel et thématique de l’album se retrouve toutefois dans le bien nommé Karma (The Wheel of Life). Le cycle de la vie y ressort dans toute sa cruauté au travers de mélodies pleines de tristesse appuyées par une rythmique posée au sein de laquelle, encore une fois, la basse se démarque jusqu’à prédominer sur les dernières notes. Au travers de la voix de Jej, ici plus grinçante que jamais, s’incarne celle d’un narrateur à qui la mort n’a laissé que le regret de ses péchés passés et désormais condamné à endurer mille tourments durant des siècles.

Tout n’est pas toujours noir, pourtant, ni dans le voyage de l’âme, destinée à terme à la renaissance, ni dans le metal de Tattva. En concentrant les titres les plus sombres et agressifs au début de Naraka, Jej laisse tout loisir aux aspects plus oniriques et légers de s’exprimer au fil de l’écoute. Pour cela, le multi-instrumentiste fait bon usage du contraste. Cela passe bien sûr par celui susmentionné entre les blasts et mid-tempo, bien entendu, mais aussi, et surtout, entre les différents éléments cohabitant au sein de l’album, voire au sein d’un seul morceau. À ce titre, les moments où ce contraste se fait le plus saisissant résident dans le dernier tiers de Naraka. S’y succèdent un Prani (Liberated) très rythmé et aux mélodies presque dansantes qui tranchent avec le nihilisme du texte ainsi qu’un Peta Yoni (Ethered) du même acabit, qui se permet en outre un passage atmosphérique au synthé sur sa deuxième moitié. Cette épopée infernale trouve enfin son aboutissement dans le tout dernier titre, Nama Rupa (Expiate), dont les sept minutes rassemblent tous les meilleurs éléments de l’album, jusqu’à une outro grésillante faisant froid dans le dos…

Simple dans son écriture et son organisation, Tattva l’est également dans sa production. Le mixage et le mastering parviennent à faire cohabiter les instruments et la voix sans que l’un d’eux se retrouve submergé par les autres. La batterie synthétique, notamment, occupe une place assez secondaire, mixée à un niveau assez bas pour éviter d’en devenir assourdissante. Évitant ainsi les écueils de l’excès d’effets inutiles et de l’amateurisme brouillon, Jej et ses producteurs livrent avec Naraka un résultat final très lisible et sans fioritures et prouvent bien qu’au contraire d’une affirmation bien courante, rien ne sert de faire compliqué lorsque l’on peut faire simple.

La philosophie indienne et son lot de mythes associés méritaient bien un hommage à la hauteur de leur richesse et de la fascination qu’ils suscitent ; cela est désormais chose faite. En prenant le parti de traiter le sujet sous l’angle de l’au-delà infernal et au travers des codes du metal extrême, Tattva ne choisit pas la facilité. Cependant, le one-man-band s’acquitte de sa tâche avec sérieux et efficacité, démontrant une connaissance pointue de l’un comme des autres et les traitant avec le respect qui leur est dû, quitte à ne pas laisser place à l’effet de surprise… Cela étant, il serait malvenu de reprocher à Jej la constance dont il fait montre au travers de Naraka, synonyme ici de solidité d’écriture et de ton plutôt que de rigidité. Cet opus offre ainsi à la trilogie karmique une conclusion satisfaisante et en bonne et due forme, tout à la fois chargée en poésie et en brutalité. Vivement la prochaine…