Ils ne se connaissaient pas, le destin les a réunis. Deux ans après un passage prévu au Hard Rock Café annulé pour cause de pandémie, Oh Hiroshima s’est vu offrir la chance de jouer en ouverture de la tournée européenne The Beginning of the End de God Is an Astronaut. Après un premier passage à Paris, la deuxième étape française de cette tournée passe par Lyon et son Ninkasi Gerland, pour une soirée placée sous le signe du post-rock cinématographique et mélodieux. Arrivés de bonne heure pour réaliser une interview avec Jakob Hemström, le très sympathique chanteur et guitariste d’Oh Hiroshima, Olivier et moi-même pouvons prendre le temps de profiter du bar du Ninkasi avant de prendre place en première ligne dans la salle de concert. 20 heures, les lumières baissent, la soirée post-rock peut démarrer.
C’est ainsi dans une ambiance proche de celle d’une église qu’Oh Hiroshima fait son entrée en scène, puis démarre son set sur Veil of Certainty, issu de son dernier album en date, Myriad. En vérité, cette mise à l’arrêt forcée de deux ans représente un mal pour un bien puisqu’elle a donné le temps au groupe de sortir ce magnifique quatrième album, qui représente ainsi l’essentiel de la setlist. Fidèle à l’esprit post-rock, Oh Hiroshima aime cependant à aller au-delà des conventions du genre et le montre aussi bien sur scène qu’en studio, au travers d’un All Things Pass sur lequel le guitariste et claviériste jongle entre les deux instruments, ou bien de l’importance accordée à la voix de son frontman. Jakob Hemström n’a pas que le visage d’adolescent, et force est de constater que cette juvénilité apporte une touche de chaleur à une musique dont la délicatesse confère par moments à la froideur des contrées nordiques dont le groupe est originaire. Ceci, combiné à l’expressivité évidente des musiciens, ne tarde pas à prendre aux tripes les spectateurs, qui n’hésitent pas à montrer leur réceptivité par des acclamations bien méritées.
Au cœur du show, l’émotion atteint son apogée avec Humane. Probablement le titre le plus intense de Myriad, il prend sur scène une dimension autrement plus intimiste et percutante, renforcée par les cuivres (!) présents sur la fin. Chacun des musiciens brille comme jamais, et voir un groupe aussi habité par sa musique ne peut laisser insensible un public qui, à son tour, ferme les yeux pour rentrer dans la même transe. Il en est de même pour Ascension, autre extrait du même album à la montée en puissance parée des plus belles couleurs du rock progressif et qui s’achève presque dans les larmes, aussi bien du côté du groupe que de celui des spectateurs. D’un point de vue technique, la gestion du son contribue à faire ressortir chaque élément, du mariage entre deux guitares aux notes saturées et cristallines à une section basse-batterie dont la puissance a de quoi surprendre. Malgré un ensemble en apparence très doux et contenu, Oskar Nilsson ne retient pas ses coups, n’en rendant par là les morceaux que plus poignants.
Pour l’ambiance de son show, Oh Hiroshima a choisi un éclairage à l’image de son morceau Darkroom Aesthetics, c’est-à-dire en basses lumières… autrement dit, un choix qui ne facilite pas la tâche aux photographes ! Ces derniers peinent à obtenir une luminosité suffisante même depuis le balcon… L’exercice se révèle d’autant plus satisfaisant qu’il est périlleux pour les fous de l’image.
Au bout de seulement sept morceaux, Oh Hiroshima achève ce set court mais non moins riche sur un morceau plus ancien, Drones, extrait du deuxième album In Silence We Yearn, quasi-instrumental au final entêtant, avant de quitter la scène. Dans tous les cas, il y a fort à parier que ce concert restera dans la tête des spectateurs du Ninkasi pour un long moment à venir…
Après une courte pause, l’Irlande succède à la Suède. Dépourvue de tout accessoire ou élément de décor pour accueillir God Is an Astronaut, la scène du Ninkasi en paraît immense et presque déserte ; en accord, finalement, avec les immensités stellaires. Les quatre musiciens irlandais viennent ce soir emmener le public lyonnais dans un voyage vers l’espace dont le secret réside dans un post-rock instrumental, psychédélique et, surtout, cinématographique. Sans perdre de temps, le groupe occupe la totalité de l’espace physique et sonore à sa disposition et nous prend par surprise une première vague de sons saturés et de coups de fûts bien placés sur le morceau d’ouverture, Adrift. Dès ce premier titre ainsi que le suivant, Spectres, tous deux issus du dernier album en date Ghost Tapes #10, God Is an Astronaut démarre sur les chapeaux de roue et nous sert une bonne dose de post-rock à sa sauce, c’est-à-dire puissant et indéfectible.
En vérité, du terme post-rock, God Is an Astronaut a surtout conservé le rock ; ceci au grand étonnement de spectateurs qui de toute évidence ne s’attendaient pas à un tel déferlement d’ondes noires dès le début… Cependant, bien loin de s’en plaindre, ces derniers savent apprécier l’audace dont font preuve les Irlandais dans leur façon de jouer. Quel intérêt, après tout, de faire dans la retenue lorsque l’on a tant à transmettre ? Venus, à l’instar de leurs comparses d’Oh Hiroshima, avec un album récent dans leurs bagages, ils mettent très justement en avant ce dernier dans la setlist au travers des sus-cités deux premiers morceaux, mais aussi du presque dansant In Flux, sur lequel la basse de Nils Kinsella fait des merveilles, avant de remonter une première fois en arrière avec Mortal Coil, extrait d’Epitaph.
Par la suite, God Is an Astronaut multiplie ces retours en arrière, nous faisant ainsi généreusement profiter de la richesse de sa discographie et évitant soigneusement les écueils de la monotonie. Ainsi, les musiciens comme nous-mêmes profitons de quelques moments de calme, par exemple sur un From Dust to the Beyond très centré sur les claviers aux sonorités assez vintage, ou sur le plus doux et mélancolique Forever Lost. Cependant, comme pour Oh Hiroshima, cette mélancolie atteint son paroxysme au cœur du show, sur les extraits regroupés de l’album de 2005 All Is Violent, All Is Bright, et plus particulièrement sur le morceau Suicide by Star. Déjà l’un des plus sombres de l’album — et du groupe en général —, l’exécution scénique le rend d’autant plus brut et sincère, portée par l’interprétation très organique des quatre musiciens. À ce sujet, j’attribue pour ma part une mention spéciale à Jamie Dean, dont la double performance à la fois à la guitare et aux claviers porte la plupart des crescendos, ainsi qu’au jeu très dynamique de Lloyd Hanney à la batterie. Captivant, le mot paraît pourtant bien faible pour décrire ce qu’offrent les Irlandais.
De la même façon, alors que la puissance musicale de God Is an Astronaut saute aux oreilles, l’enthousiasme des musiciens saute quant à lui aux yeux. Les quatre membres du groupe sont tous heureux d’être là et le manifestent par des sourires jusqu’aux oreilles et des regards pétillants, en particulier Torsten Kinsella. Avare en mots dans sa musique, le frontman ne l’est pas en dehors, n’hésitant pas à s’adresser fréquemment à son public entre deux morceaux pour en annoncer les titres ou pour lancer quelques petites plaisanteries bien senties. En outre, et ce bien que dans le cas de God Is an Astronaut les notes en disent davantage que les mots, il se laisse également aller à quelques vocalises ; malheureusement, sa voix se retrouve noyée dans la masse et pratiquement inaudible… Dommage, au vu du petit plus qu’elle apporte.
Sur la fin d’une setlist aux airs rétrospectifs, God Is an Astronaut effectue un dernier revirement vers le présent et Ghost Tapes #10 en enchaînant Burial et Fade, sous les applaudissements d’un public qui en redemande. « Là c’est le moment où on fait semblant de partir en se cachant derrière et que vous nous rappelez », lance alors Jamie Dean sur un ton on ne peut plus humoristique. S’exécutant, les spectateurs n’ont pas à réclamer longtemps le retour des quatre musiciens sur scène, ces derniers étant de toute manière bien mal dissimulés derrière les amplis… En guise de conclusion, le groupe s’offre en même temps qu’à nous un dernier retour aux sources en mode rétro avec Route 666, mythique extrait de son non moins mythique premier album The End of the Beginning. La clôture de ce concert de God Is an Astronaut se voit réserver un accueil triomphal, et c’est avec regret que les spectateurs regardent les musiciens quitter la scène… pour mieux les retrouver au stand de merchandising à la sortie.
De notre côté, Olivier, nos compagnons de concert et moi-même repartons avec le souvenir de deux prestations nous ayant remué les tripes, dans le bon sens du terme, marqué dans l’esprit, ainsi que deux certitudes profondément ancrées dans ce dernier. D’une part, Oh Hiroshima mérite largement de trouver sa place parmi les plus grands noms du post-rock et a tout à gagner de cette tournée. D’autre part, si un Dieu existe, c’est bel et bien un astronaute.